Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°21 [août 1998 - septembre 1998]
© Passant n°21 [août 1998 - septembre 1998]
par Jacques Fénimore
Imprimer l'articleBaisse la tête t'auras l'air d'un coureur !
La plupart sont levés depuis cinq heures du matin. Campés au bord de la route, ils attendent dans leurs étranges costumes : mémé en chapeau posée sur un pliant, bob Ricard pour papa, robe imprimée à grosses fleurs pour maman, casquette Nike pour la marmaille.
Rougis par le soleil de juillet, ils ont commencé à aboyer avec les klaxons trois tons de la caravane avant qu'une pluie de merdes bariolés ne leur tombe sur les espadrilles. Plein les mains, plein les fouilles, ils se sont précipités comme, hier, on courait au cul de l'US Army pour attraper au vol chewing-gum ou chocolat après cinq ans de privations.
C'est alors qu'ont surgi les forcés de la route. 180 Musclors déboulant et disparaissant en moins d'une minute dans une bruit assourdi de cigales écrasées.
Juste le temps pour les spectateurs de décharger leur haine contre les journaleux et d'ovationner l'équipe Festina.
Des années qu'on leur dit que leurs héros sont chargés comme des mules et qu'une fois éteints les feux de la rampe, ils s'en vont crever loin des sponsors et des caméras d'un cancer vicelard ou d'une thrombose anonyme. Rien n'y fait. Ils n'admettent toujours pas que leurs hommes sandwichs ne sont pas des héros mais des victimes comme vous et moi. La vérité leur pète à la figure, ils la refusent, la tête dans le sable. Terrorisés à l'idée de perdre leur jouet, leurs illusions, leur mythologie et pourquoi pas leurs dieux.
Car il y a bien quelque chose de religieux dans cette attitude. La rondeur de la terre dérange l'Eglise, on la refuse.
La démarche est la même. D'où vient ce besoin d'acclamer partout des êtres infaillibles ? De la peur de regarder le monde en face ou de se regarder soi-même petit, faillible, seul et lâche?
Mais les transis de la pédale ne sont pas seuls. Que dire de ces parents dont les enfants ont péri en mer parce qu'un curé intégriste pensait que des youkaïdi-youkaïda en patte de latin valaient mieux qu'une boussole et qui ne demandent qu'une chose : retrouver au plus vite le «saint homme» sans qui leur vie n'a plus de sens.
Tout ça ne date pas d'hier : combien de résistants ont passé leur vie à acclamer un Georges Messerschmidt Marchais au nom du dogme. Combien d'autres ont remis leurs renoncements entre les mains du fan club d'Adolf, sur la lippe grotesque d'un Benito, dans le livre d'un grand timonier ou au fond de l'oeil torve d'un Jean-Marie.
Phénomènes de foule, aveuglement du bon peuple? Point du tout. Il suffit de voir le comportement de nos sectes à cols blancs. L'Intelligentsia feutrée scrutant chaque jour les courbes de Wall Street sur leur écran comme un dieu au fond de son tabernacle. Les supporters du «marché» eux aussi nie une réalité tangible qui s'appelle misère, faim, oppression. Essayez de contredire leur dogme, aujourd'hui ils vous méprisent du haut de leur caste et demain ne viendront-ils pas nous redire que le «travail rend libre» ?
Depuis que Dieu est mort, ses remplaçants au petit pied prolifèrent : barbus hystériques, militants aveugles, supporters débiles tous unis par le même besoin psychotique de dévotion.
Est-il donc si difficile de ne pas vivre par procuration ? Sans dieu ni maître.
Rougis par le soleil de juillet, ils ont commencé à aboyer avec les klaxons trois tons de la caravane avant qu'une pluie de merdes bariolés ne leur tombe sur les espadrilles. Plein les mains, plein les fouilles, ils se sont précipités comme, hier, on courait au cul de l'US Army pour attraper au vol chewing-gum ou chocolat après cinq ans de privations.
C'est alors qu'ont surgi les forcés de la route. 180 Musclors déboulant et disparaissant en moins d'une minute dans une bruit assourdi de cigales écrasées.
Juste le temps pour les spectateurs de décharger leur haine contre les journaleux et d'ovationner l'équipe Festina.
Des années qu'on leur dit que leurs héros sont chargés comme des mules et qu'une fois éteints les feux de la rampe, ils s'en vont crever loin des sponsors et des caméras d'un cancer vicelard ou d'une thrombose anonyme. Rien n'y fait. Ils n'admettent toujours pas que leurs hommes sandwichs ne sont pas des héros mais des victimes comme vous et moi. La vérité leur pète à la figure, ils la refusent, la tête dans le sable. Terrorisés à l'idée de perdre leur jouet, leurs illusions, leur mythologie et pourquoi pas leurs dieux.
Car il y a bien quelque chose de religieux dans cette attitude. La rondeur de la terre dérange l'Eglise, on la refuse.
La démarche est la même. D'où vient ce besoin d'acclamer partout des êtres infaillibles ? De la peur de regarder le monde en face ou de se regarder soi-même petit, faillible, seul et lâche?
Mais les transis de la pédale ne sont pas seuls. Que dire de ces parents dont les enfants ont péri en mer parce qu'un curé intégriste pensait que des youkaïdi-youkaïda en patte de latin valaient mieux qu'une boussole et qui ne demandent qu'une chose : retrouver au plus vite le «saint homme» sans qui leur vie n'a plus de sens.
Tout ça ne date pas d'hier : combien de résistants ont passé leur vie à acclamer un Georges Messerschmidt Marchais au nom du dogme. Combien d'autres ont remis leurs renoncements entre les mains du fan club d'Adolf, sur la lippe grotesque d'un Benito, dans le livre d'un grand timonier ou au fond de l'oeil torve d'un Jean-Marie.
Phénomènes de foule, aveuglement du bon peuple? Point du tout. Il suffit de voir le comportement de nos sectes à cols blancs. L'Intelligentsia feutrée scrutant chaque jour les courbes de Wall Street sur leur écran comme un dieu au fond de son tabernacle. Les supporters du «marché» eux aussi nie une réalité tangible qui s'appelle misère, faim, oppression. Essayez de contredire leur dogme, aujourd'hui ils vous méprisent du haut de leur caste et demain ne viendront-ils pas nous redire que le «travail rend libre» ?
Depuis que Dieu est mort, ses remplaçants au petit pied prolifèrent : barbus hystériques, militants aveugles, supporters débiles tous unis par le même besoin psychotique de dévotion.
Est-il donc si difficile de ne pas vivre par procuration ? Sans dieu ni maître.
P.S. Pourvu que líon ne viennent pas nous dire que Chirac a «acheté» la Coupe du Monde sinon nous courons au suicide collectif.