Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
Retour
© Passant n°22 [octobre 1998 - novembre 1998]
© Passant n°22 [octobre 1998 - novembre 1998]
par Jacques Fénimore
Imprimer l'articleUn monome peut en cacher un autre
Putain ça te file un de ces coups de vieux une manif de lycéens ! Díabord parce qu'ils sont jeunes, les cons. Ensuite, parce qu'au premier abord tu comprends pas tout. Tu te dis que tes oreilles te trahissent, rapport à l'âge. Alors tu écarquilles les yeux pour voire des banderoles du genre « 68-98 même combat » ou « Révolution » (véridique). Tu t'approches, sourire aux lèvres pour fraterniser avec la relève tout en reconnaissant qu'elle a quand même mis du temps à venir.
C'est à ce moment là quíon t'explique que tout ça c'est pour avoir «plus de profs», «plus de pions», «plus de salles», « plus d'ordinateurs ». Y'en a même un qui s'insurge parce que dans son lycée faute de moyens, «on ne peut même pas prendre le grec en option». L'injustice est vraiment partout ! Droits de l'homme bafoués, famines en marche, génocides rampants grignotent le monde tandis qu'ici chômage, misère et intégrismes rongent nos quartiers. Et pendant ce temps la jeunesse de la patrie des droits de l'Homme en appelle au grec (pourquoi pas le latin ?).
OK, tu ricanes. Mais fais gaffe à pas basculer trop tôt du côté obscur du vieux con. Bien sûr, on est loin du temps où l'on rêvait díun monde sans fac, sans prof, sans usine. Aujourdíhui, ils veulent bosser à l'école pour avoir du boulot après.
Faut dire aussi que l'idée ne date pas d'hier. Depuis 73, on nous bourre le moue avec ça : « la formation d'aujourd'hui, c'est l'emploi de demain ». Le postulat pourrait convaincre. Il est pourtant stupide. En effet, il est évident qu'une meilleure formation peut, au mieux, réduire le nombre d'offres d'emplois non satisfaites mais reste sans effet sur le nombre d'emplois proposés.
Peut-ont reprocher aux lycéens de chevaucher ces fausses évidences ? Non. Prisonnier d'un système aux cadences infernales, où les parents obsédés de réussite poussent à la roue, ils sont le nez dans le guidon à attendre la ligne d'arrivée. Seulement voilà, la ligne est toujours plus loin. Encore un petit effort, tu y es. Ah, désolé avec un diplôme de plus tu aurais toutes tes chances... Tu sais, la concurrence...
Le mot est laché. L'obsession de la formation de qualité n'est pas de faire des têtes bien faites mais de plus en plus pleines et capables d'écraser leurs congénères du poids de leur matière grise et molle.
Faute de places, c'est la compétition qui est érigée en dogme. C'est cette « struggle for job » qui pousse certains étudiants de grandes écoles à brûler les cours du copain pour prendre l'avantage. Objectif : décrocher un bac + 4 pour baiser les bac + 3 à la soupe de l'emploi.
Et si ce système-là, ils n'en voulaient pas les lycéens ? Et si sous leurs discours de premiers de la classe c'était tout ça qu'ils refusaient en bloc. Ils étaient déjà debout contre le SMIC jeunes ou la sélection Devaquet. Alors ne ricanons pas trop tôt.
Face à un monde qui ne parlent que performance, ils demandent des moyens pour être performants. Mais ils sont aussi conscients du revers de la médaille. Comme la Sécu de Juppé avait servi de détonateur au mouvement de décembre 95, le mouvement lycéen trouvera peut-être un autre souffle. Il ne leur reste qu'à trouver les mots capables de porter leurs espoirs. Cela peut prendre du temps, celui de s'affranchir du discours des maîtres, ou jaillir díun coup comme une étincelle.
Certes, à l'heure où j'écris ces lignes, ce mouvement a encore quelque chose de diablement «enfants gâtés qui s'encanaillent». Les autres, les exclus, le sous-prolétariat des teen-agers en sont absents. Encerclés dans leurs réserves, cernés de tuniques bleues, ceux-là n'ont souvent plus comme seule distraction que d'attaquer de temps en temps la diligence et de piller un peu les boutiques de quelques colons plus courageux que les autres pour être venus tenter de faire du fric sur leur territoire. Ils s'en prennent même parfois les lycées comme ces ouvriers qui, jadis, cassaient les machines qui leur prenait le travail.
Le fossé est grand entre ces renégats et les tribus bien mises défilant dans nos rues. Et l'école ne semble guère prête à le combler. Trop occupée qu'elle est à gaver de savoirs prédigérés les têtes blondes qui lui sont abandonnées pour les lâcher, neurones et mains liés, comme un perdreau la veille de l'ouverture, dans le qui-perd-gagne de l'emploi. Gouffre sans fond dans lequel puise avec une parcimonie perverse des patrons suffisants et de droit divin.
Et s'il fallait brûler les cahiers, les mettre au bon milieu et revenir aux livres ?
C'est à ce moment là quíon t'explique que tout ça c'est pour avoir «plus de profs», «plus de pions», «plus de salles», « plus d'ordinateurs ». Y'en a même un qui s'insurge parce que dans son lycée faute de moyens, «on ne peut même pas prendre le grec en option». L'injustice est vraiment partout ! Droits de l'homme bafoués, famines en marche, génocides rampants grignotent le monde tandis qu'ici chômage, misère et intégrismes rongent nos quartiers. Et pendant ce temps la jeunesse de la patrie des droits de l'Homme en appelle au grec (pourquoi pas le latin ?).
OK, tu ricanes. Mais fais gaffe à pas basculer trop tôt du côté obscur du vieux con. Bien sûr, on est loin du temps où l'on rêvait díun monde sans fac, sans prof, sans usine. Aujourdíhui, ils veulent bosser à l'école pour avoir du boulot après.
Faut dire aussi que l'idée ne date pas d'hier. Depuis 73, on nous bourre le moue avec ça : « la formation d'aujourd'hui, c'est l'emploi de demain ». Le postulat pourrait convaincre. Il est pourtant stupide. En effet, il est évident qu'une meilleure formation peut, au mieux, réduire le nombre d'offres d'emplois non satisfaites mais reste sans effet sur le nombre d'emplois proposés.
Peut-ont reprocher aux lycéens de chevaucher ces fausses évidences ? Non. Prisonnier d'un système aux cadences infernales, où les parents obsédés de réussite poussent à la roue, ils sont le nez dans le guidon à attendre la ligne d'arrivée. Seulement voilà, la ligne est toujours plus loin. Encore un petit effort, tu y es. Ah, désolé avec un diplôme de plus tu aurais toutes tes chances... Tu sais, la concurrence...
Le mot est laché. L'obsession de la formation de qualité n'est pas de faire des têtes bien faites mais de plus en plus pleines et capables d'écraser leurs congénères du poids de leur matière grise et molle.
Faute de places, c'est la compétition qui est érigée en dogme. C'est cette « struggle for job » qui pousse certains étudiants de grandes écoles à brûler les cours du copain pour prendre l'avantage. Objectif : décrocher un bac + 4 pour baiser les bac + 3 à la soupe de l'emploi.
Et si ce système-là, ils n'en voulaient pas les lycéens ? Et si sous leurs discours de premiers de la classe c'était tout ça qu'ils refusaient en bloc. Ils étaient déjà debout contre le SMIC jeunes ou la sélection Devaquet. Alors ne ricanons pas trop tôt.
Face à un monde qui ne parlent que performance, ils demandent des moyens pour être performants. Mais ils sont aussi conscients du revers de la médaille. Comme la Sécu de Juppé avait servi de détonateur au mouvement de décembre 95, le mouvement lycéen trouvera peut-être un autre souffle. Il ne leur reste qu'à trouver les mots capables de porter leurs espoirs. Cela peut prendre du temps, celui de s'affranchir du discours des maîtres, ou jaillir díun coup comme une étincelle.
Certes, à l'heure où j'écris ces lignes, ce mouvement a encore quelque chose de diablement «enfants gâtés qui s'encanaillent». Les autres, les exclus, le sous-prolétariat des teen-agers en sont absents. Encerclés dans leurs réserves, cernés de tuniques bleues, ceux-là n'ont souvent plus comme seule distraction que d'attaquer de temps en temps la diligence et de piller un peu les boutiques de quelques colons plus courageux que les autres pour être venus tenter de faire du fric sur leur territoire. Ils s'en prennent même parfois les lycées comme ces ouvriers qui, jadis, cassaient les machines qui leur prenait le travail.
Le fossé est grand entre ces renégats et les tribus bien mises défilant dans nos rues. Et l'école ne semble guère prête à le combler. Trop occupée qu'elle est à gaver de savoirs prédigérés les têtes blondes qui lui sont abandonnées pour les lâcher, neurones et mains liés, comme un perdreau la veille de l'ouverture, dans le qui-perd-gagne de l'emploi. Gouffre sans fond dans lequel puise avec une parcimonie perverse des patrons suffisants et de droit divin.
Et s'il fallait brûler les cahiers, les mettre au bon milieu et revenir aux livres ?