Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°22 [octobre 1998 - novembre 1998]
© Passant n°22 [octobre 1998 - novembre 1998]
par Hervé Le Corre
Imprimer l'articleLa Gauche ? Où ça ?
Vous avez senti, à l'occasion du débat à propos du PACS, ces relents d'encens, ces effluves de soutanes mal lavées, ces remugles pétainistes que rotait à la moindre occasion la droite catholique ? L'air du temps, faut croire. Fleur de Bible de chez Monseigneur... L'eau de cologne qui cogne grave. Pas un after-shave pour pédé. Toute la sainte famille unie dans les mêmes émanations bigotes... Un film d'horreur en odorama : tu grattes le missel, et ça pue comme un pissoir de sacristie !
À Bordeaux, les foulards de chez Dior et les jupes plissées bleu marine étaient de sortie pour la manif devant la mairie, début octobre. Parmi les têtes de núuds, entre deux piquets de banderoles se dressant avec impudeur en présence des enfants, quelques élus RPR, ceints de l'écharpe qu'on enfile, si on peut dire, pour célébrer les mariages, et les inévitables pit-bulls du Front National. La droite, quoi, telle qu'en elle-même, unie comme dans ses rêves les plus érotiques, bête, bornée, mal branlée par les épouses des chefs faschos.
On pouvait croire, malgré l'indispensable vigilance écologique qui s'impose devant de telles pollutions diurnes, à quelques flatulences sans lendemain, à des écoulements dus au trop-plein. Du douteux, du sale, mais qui ne laisse que peu de traces, confiées aussitôt à la lingère avant de partir à la messe, dont madame est folle...
Las ! Voilà-t-il pas qu'à propos d'un bouquin de photos de Bettina Rheims un abbé Labeyrie, ou Laguerrie, bref, un blase évoquant assez le foie gras, un intégriste, si vous voulez tout savoir, sapé corbeau comme il sied à cette engeance, avec une allure d'aumônier Waffen-SS, se mêle de porter plainte pour faire interdire d'exposition dans les librairies le livre satanique (quoi, ma mère ? touche-z-y pas, c'est une sainte, justement), et obtient gain de cause. Merci le juge. Tout le monde ne s'appelle pas Castagnède, au Palais de Justice de Bordeaux.
Là, c'est vraiment la merde. La vue, l'odeur. Et d'en refiler un coup dans la couche d'ozone. À vos masques ! Après l'attentat de la secte Aum au gaz sarin dans le métro de Tokyo, les cathos maréchalistes attaquent les tribunaux !
Atmosphère viciée ! Plaignants vicieux ! Vertueurs en séries ! Alerte au poison !
Heureusement qu'il y a la gauche, et qu'elle est au pouvoir.
Elle est même au pouvoir dans 16 pays d'Europe, la gôche. Y'a des mecs très futés qui ont fait le décompte. On sait pas encore comment ils ont effectué le tri, mais bon, 16, c'est un chiffre qui en vaut bien un autre pour numéroter les arrondissements parisiens. À écouter certains commentateurs, l'autre jour, on était sur le point de redouter l'émergence d'un pouvoir rouge groupé autour du quatuor Jospin, Prodi, Schreyer, Blair. La cinquième internationale, si vous voulez. Au Figaro, on s'est préparé à la clandestinité, on a planqué quelques imprimantes, et André Glucksmann a même proposé de mettre à disposition son vieux stock de stencils Gestetner du temps qu'il était mao stalinien. Et Libé était prêt à rajouter la mention « organe central » sous son titre. Le 10 mai 81, à côté de cette révélation qu'ont eue les journaleux, ça pesait à peu près autant que la proclamation d'un soviet par trois moujiks ukrainiens en septembre 17. Le monde allait changer de base.
Inutile de la jouer Monde Diplomatique bis : on préférera toujours, et l'on aura raison, l'original à la copie. Quelques exemples suffiront à prouver, s'il en était besoin, que la gauche européenne, et singulièrement française, inquiète davantage ceux qui l'ont élue que les marchés financiers (qui, soit dit en passant, n'ont pas besoin de ministres communistes pour paniquer).
Le PACS, puisqu'on en parle. Un certain vendredi 9 octobre, les députés socialistes ont fait faux bond lors du vote de la loi à l'assemblée. Motif ? On a oublié de venir ! On avait un vin d'honneur avec les anciens de la Gaule De Saint-Trou. On inaugurait une piste de danse dans un foyer de cul-de-jatte. On avait rendez-vous chez le dentiste au bled, parce qu'à Paris c'est vachement cher, et qu'on veut pas creuser davantage le déficit de la Sécu, Martine Aubry nous a fait un mot d'excuses.
Ah les cons ! Injoignables le jour même, portable éteint, secrétaire muette, permanence déserte. Aux fraises, qu'ils étaient. À faire rougir les remontantes en leur racontant de gros mensonges. Le soir même, aux infos, la gueule enfarinée, ils jouaient les innocents : comment ? la droite a lâchement profité de ce que nous nous occupions de nos braves électeurs pour faire capoter le vote ? Vraiment, ces gens n'ont pas de morale ! Les leaders parisiens, eux, tâchaient de rattraper le coup : il ne s'agissait que d'un peu de retard à l'allumage, tout le monde était vachement pour le PACS, parole de socialiste ! On voterait, avant l'août, foi d'animal, ce putain de projet, puisqu'on l'avait promis, et chacun sait que les promesses, pour un gouvernement de gauche, c'est juré, craché.
Pas un pour reconnaître que la majorité des élus du PS n'ont pas voulu voter ce texte parce qu'ils redoutaient qu'une partie de leur électorat leur tienne rigueur d'avoir encouragé des pratiques que la morale réprouve : ce texte c'était ni plus ni moins que Sodome et Gomorrhe, les mairies envahies de gouines et de pédés demandant à se marier, voyez-vous ça, dans ma commune, vu qu'en vertu du cumul des mandats je suis également maire, pour quoi je vais passer au bar des Sports, vous déconnez, mais bien arrosé, c'est cinquante voix pour le progrès social. Ainsi s'exprimaient les repêchés du second tour.
Pas un pour rappeler qu'une pétition a été signée par plusieurs milliers d'élus locaux, majoritairement de droite, mais auxquels se sont mêlés un nombre appréciable de socialistes, et même quelques communistes, eh oui, sans doute des tenants de la mythique fraction Thorez-Vermeersch*, du nom de la veuve du « Fils du Peuple », qui s'est toujours opposée, au PCF, à toutes les actions des femmes dans les années 70 en faveur de l'avortement et de la contraception, au nom d'une morale « prolétarienne » de la famille... Maxime Gremetz, qui n'hésita pas il y a peu à manifester aux côtés des associations familiales cathos, en est un des fleurons les plus allumés. Bref. Dans notre région, un élu PCF de La Réole a trempé sa plume à la même encre frelatée, à croire qu'il n'a rien de mieux à foutre.
Bref, comme dit la chanson révolutionnaire, ça branle dans le manche. Car il fut un temps où la gauche, sur les problèmes dits de société, savait se démarquer de la droite et s'opposer à elle, en proposant des projets courageux qui n'hésitaient pas à prendre l'opinion publique à rebrousse-poil, et contribuaient ainsi au débat démocratique, tout simplement. Sur les múurs, le racisme, la justice, etc. Aujourd'hui, non contente d'avoir renoncé à toute transformation économique et sociale, elle déserte de plus en plus ce qui a fait une bonne partie de sa force, et, au bout du compte, l'a portée au pouvoir. De sorte que l'écart se resserre, les différences s'estompent, et, osons le mot (quelle audace !) les trahisons se multiplient. Au nom d'un « réalisme » qui n'a rien de socialiste, mais qui emprunte à l'esthétique stalinienne le lyrisme creux, la rhétorique décervelée, la grisaille conformiste.
Lentement, sûrement, cette bande de tiédasses, à la remorque d'une charrue traînée par un bourrin assoupi, creusent les sillons, sèment les graines vénéneuses d'une alternance hard , faite d'ordre moral, d'intolérance et de libéralisme triomphant. Une fois dans l'opposition, ils se réveilleront, ils se mettront à gueuler, ils lanceront de grandes pétitions, de belles grosses grèves contre des mesures... qu'ils enrageront de n'avoir pas eu le temps de prendre.
Où sont les toilettes ? Je me sens mal... C'est sûrement cette odeur
À Bordeaux, les foulards de chez Dior et les jupes plissées bleu marine étaient de sortie pour la manif devant la mairie, début octobre. Parmi les têtes de núuds, entre deux piquets de banderoles se dressant avec impudeur en présence des enfants, quelques élus RPR, ceints de l'écharpe qu'on enfile, si on peut dire, pour célébrer les mariages, et les inévitables pit-bulls du Front National. La droite, quoi, telle qu'en elle-même, unie comme dans ses rêves les plus érotiques, bête, bornée, mal branlée par les épouses des chefs faschos.
On pouvait croire, malgré l'indispensable vigilance écologique qui s'impose devant de telles pollutions diurnes, à quelques flatulences sans lendemain, à des écoulements dus au trop-plein. Du douteux, du sale, mais qui ne laisse que peu de traces, confiées aussitôt à la lingère avant de partir à la messe, dont madame est folle...
Las ! Voilà-t-il pas qu'à propos d'un bouquin de photos de Bettina Rheims un abbé Labeyrie, ou Laguerrie, bref, un blase évoquant assez le foie gras, un intégriste, si vous voulez tout savoir, sapé corbeau comme il sied à cette engeance, avec une allure d'aumônier Waffen-SS, se mêle de porter plainte pour faire interdire d'exposition dans les librairies le livre satanique (quoi, ma mère ? touche-z-y pas, c'est une sainte, justement), et obtient gain de cause. Merci le juge. Tout le monde ne s'appelle pas Castagnède, au Palais de Justice de Bordeaux.
Là, c'est vraiment la merde. La vue, l'odeur. Et d'en refiler un coup dans la couche d'ozone. À vos masques ! Après l'attentat de la secte Aum au gaz sarin dans le métro de Tokyo, les cathos maréchalistes attaquent les tribunaux !
Atmosphère viciée ! Plaignants vicieux ! Vertueurs en séries ! Alerte au poison !
Heureusement qu'il y a la gauche, et qu'elle est au pouvoir.
Elle est même au pouvoir dans 16 pays d'Europe, la gôche. Y'a des mecs très futés qui ont fait le décompte. On sait pas encore comment ils ont effectué le tri, mais bon, 16, c'est un chiffre qui en vaut bien un autre pour numéroter les arrondissements parisiens. À écouter certains commentateurs, l'autre jour, on était sur le point de redouter l'émergence d'un pouvoir rouge groupé autour du quatuor Jospin, Prodi, Schreyer, Blair. La cinquième internationale, si vous voulez. Au Figaro, on s'est préparé à la clandestinité, on a planqué quelques imprimantes, et André Glucksmann a même proposé de mettre à disposition son vieux stock de stencils Gestetner du temps qu'il était mao stalinien. Et Libé était prêt à rajouter la mention « organe central » sous son titre. Le 10 mai 81, à côté de cette révélation qu'ont eue les journaleux, ça pesait à peu près autant que la proclamation d'un soviet par trois moujiks ukrainiens en septembre 17. Le monde allait changer de base.
Inutile de la jouer Monde Diplomatique bis : on préférera toujours, et l'on aura raison, l'original à la copie. Quelques exemples suffiront à prouver, s'il en était besoin, que la gauche européenne, et singulièrement française, inquiète davantage ceux qui l'ont élue que les marchés financiers (qui, soit dit en passant, n'ont pas besoin de ministres communistes pour paniquer).
Le PACS, puisqu'on en parle. Un certain vendredi 9 octobre, les députés socialistes ont fait faux bond lors du vote de la loi à l'assemblée. Motif ? On a oublié de venir ! On avait un vin d'honneur avec les anciens de la Gaule De Saint-Trou. On inaugurait une piste de danse dans un foyer de cul-de-jatte. On avait rendez-vous chez le dentiste au bled, parce qu'à Paris c'est vachement cher, et qu'on veut pas creuser davantage le déficit de la Sécu, Martine Aubry nous a fait un mot d'excuses.
Ah les cons ! Injoignables le jour même, portable éteint, secrétaire muette, permanence déserte. Aux fraises, qu'ils étaient. À faire rougir les remontantes en leur racontant de gros mensonges. Le soir même, aux infos, la gueule enfarinée, ils jouaient les innocents : comment ? la droite a lâchement profité de ce que nous nous occupions de nos braves électeurs pour faire capoter le vote ? Vraiment, ces gens n'ont pas de morale ! Les leaders parisiens, eux, tâchaient de rattraper le coup : il ne s'agissait que d'un peu de retard à l'allumage, tout le monde était vachement pour le PACS, parole de socialiste ! On voterait, avant l'août, foi d'animal, ce putain de projet, puisqu'on l'avait promis, et chacun sait que les promesses, pour un gouvernement de gauche, c'est juré, craché.
Pas un pour reconnaître que la majorité des élus du PS n'ont pas voulu voter ce texte parce qu'ils redoutaient qu'une partie de leur électorat leur tienne rigueur d'avoir encouragé des pratiques que la morale réprouve : ce texte c'était ni plus ni moins que Sodome et Gomorrhe, les mairies envahies de gouines et de pédés demandant à se marier, voyez-vous ça, dans ma commune, vu qu'en vertu du cumul des mandats je suis également maire, pour quoi je vais passer au bar des Sports, vous déconnez, mais bien arrosé, c'est cinquante voix pour le progrès social. Ainsi s'exprimaient les repêchés du second tour.
Pas un pour rappeler qu'une pétition a été signée par plusieurs milliers d'élus locaux, majoritairement de droite, mais auxquels se sont mêlés un nombre appréciable de socialistes, et même quelques communistes, eh oui, sans doute des tenants de la mythique fraction Thorez-Vermeersch*, du nom de la veuve du « Fils du Peuple », qui s'est toujours opposée, au PCF, à toutes les actions des femmes dans les années 70 en faveur de l'avortement et de la contraception, au nom d'une morale « prolétarienne » de la famille... Maxime Gremetz, qui n'hésita pas il y a peu à manifester aux côtés des associations familiales cathos, en est un des fleurons les plus allumés. Bref. Dans notre région, un élu PCF de La Réole a trempé sa plume à la même encre frelatée, à croire qu'il n'a rien de mieux à foutre.
Bref, comme dit la chanson révolutionnaire, ça branle dans le manche. Car il fut un temps où la gauche, sur les problèmes dits de société, savait se démarquer de la droite et s'opposer à elle, en proposant des projets courageux qui n'hésitaient pas à prendre l'opinion publique à rebrousse-poil, et contribuaient ainsi au débat démocratique, tout simplement. Sur les múurs, le racisme, la justice, etc. Aujourd'hui, non contente d'avoir renoncé à toute transformation économique et sociale, elle déserte de plus en plus ce qui a fait une bonne partie de sa force, et, au bout du compte, l'a portée au pouvoir. De sorte que l'écart se resserre, les différences s'estompent, et, osons le mot (quelle audace !) les trahisons se multiplient. Au nom d'un « réalisme » qui n'a rien de socialiste, mais qui emprunte à l'esthétique stalinienne le lyrisme creux, la rhétorique décervelée, la grisaille conformiste.
Lentement, sûrement, cette bande de tiédasses, à la remorque d'une charrue traînée par un bourrin assoupi, creusent les sillons, sèment les graines vénéneuses d'une alternance hard , faite d'ordre moral, d'intolérance et de libéralisme triomphant. Une fois dans l'opposition, ils se réveilleront, ils se mettront à gueuler, ils lanceront de grandes pétitions, de belles grosses grèves contre des mesures... qu'ils enrageront de n'avoir pas eu le temps de prendre.
Où sont les toilettes ? Je me sens mal... C'est sûrement cette odeur
*On prête à Jean-Patrick Manchette la contrepèterie suivante à propos de la regrettable Jeannette : « Camarades, enfonçons notre perche dans la vermine ! » Ce garçon avait du talent.