Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°22 [octobre 1998 - novembre 1998]
© Passant n°22 [octobre 1998 - novembre 1998]
par Claude Corman
Imprimer l'articleBagatelles pour un WC
L'Amérique vient de s'offrir un pipe-show hors du commun qui restera dans les « annales » de la fin du XXe siècle.
Je ne m'attarderai pas sur la naissance, via le net, d'un voyeurisme de masse. Freud et même Reich, pourtant plus sociologue que le premier, y perdraient leur hébreu, fût-il à nouveau une langue vivante.
Díautres mieux que moi ( ) ont déjà commenté la petite histoire de William Clinton (WC), voué aux gémonies pour s'être fait tailler une pompe par Paula Jones (simple faute de goût) ou par Monica (c'est à voir), alors que presque personne ne s'attarde sur ses déculottades répétées devant les diverses mafias financières de la planète. Simple affaire de point de vue, mais que la publication du rapport Starr a transformé en affaire d'Etat, voire de civilisation. Et il n'y a pas que Monica à en être restée bouche bée !
M. Lang est monté sur les tréteaux médiatiques pour défendre WC contre les vilains suppôts de Torquemada et de Joseph de Maistre. Jim Harrison s'est fendu d'un article depuis son exil boréal dans le Monde du 30 septembre. Ce même journal, d'ordinaire plus modéré et prudent, a publié un éditorial vengeur « L'enfer, c'est l'Amérique !», n'hésitant pas à comparer les méthodes du procureur Starr à celle du Saint Office. Bref, nombreux sont ceux prêts à épouser la cause de WC contre les tenants de l'Ordre moral au nom du droit élémentaire de chacun (Jack, Joë ou Averell, par exemple) à défendre son intimité et sa vie privée. Nous avons presque envie d'être des leurs.
Ne serait-ce que par le dégoût que nous inspirent ces justiciers-lyncheurs avec leurs lampes à sonder la nudité fugitive et capricieuse des corps et leurs mouchards magnétiques captant les vaniteuses indiscrétions des co « pines ». Mais à travers ce procès odieux et ridicule, c'est surtout la mythologie missionnaire de l'Amérique (Maison Blanche et Congrès) qui se met elle-même en accusation.
Le premier mythe fondateur de la nation américaine est de prendre le Nouveau Monde pour un autre Canaan... et l'Amérique pour la Terre d'Election. « Le peuple américain se prend pour un second Israël », disait Daniel Lindenberg ( ). Il suffit de lire le rapport, publié le 11 septembre par l'US House of Representatives, et l'avenant au rapport de líindépendant Councel (procureur indépendant) Starr : « The long hard march of humanity toward the promised land of freedom. (...) Let us conduct ourselves and this inquiry in such a way as to vindicate the sacrifices of blood and treasure that have been made across the centuries to create and defend this last best hope of humanity on earth, the United States of America. »( ) juge ainsi WC de très très haut : depuis la Sainte Bible en personne, et des dix commandements, seule littérature qui convienne au grandiose projet des Etats-Unis d'Amérique, ce « dernier grand espoir de l'humanité sur terre » . Du coup, WC fait appel à son tour à des pasteurs pour organiser son repentir public. L'Amérique, fille aînée de la Bible hésite entre le pardon de la pipe et la condamnation du parjure. En aucun cas, elle ne doute d'incarner la plus parfaire réalisation terrestre de l'idéal biblique, car elle a reçu mandat de Dieu lui-même pour mettre les nations égarées dans le droit chemin et pour mener l'humanité vers son salut. L'Amérique de Starr (comme celle de William) croit en son destin messianique.
Qu'il me soit donc permis de faire à M. Starr et aux apprentis-messies de la bannière étoilée un petit rappel d'histoire biblique. Ça démarre très scabreux, par líhistoire de Lot et de ses filles :
« Lot ... habite une grotte, lui avec ses deux filles. L'aînée dit à la puînée : « Notre père est vieux. Et point d'homme sur terre pour venir sur nous, selon la route de toute la terre. Allons ! Nous abreuverons notre père de vin : couchons avec lui, vivifions semence de notre père ! » Elles abreuvent leur père de vin, en cette nuit-là. L'aînée vient et couche avec son père. Il ne connaît d'elle ni son coucher ni son lever. Et c'est le lendemain. L'aînée dit à la puînée : « Oui, j'ai couché hier avec mon père. Nous l'abreuverons de vin cette nuit aussi. Viens, couche avec lui. Vivifions semence de notre père. » Cette nuit-là aussi elles abreuvent de vin leur père. La puînée se lève et couche avec lui. Il ne connaît d'elle ni son coucher ni son lever. Les deux filles de Lot sont enceintes de leur père. L'aînée enfante un fils. Elle crie son nom : Moab - du père. Il est le père de Moab, jusqu'à ce jour. » ( ) Fin provisoire de l'histoire.
Déjà, il y de quoi pas mal gratter pour le procureur indépendant Starr. Un double inceste aggravé par l'ivresse et la félonie ! On l'imagine instruisant l'interrogatoire des filles de Lot : « Alors, mademoiselle Lot, que lui avez-vous fait à votre vieil homme de père ? La bébête qui monte qui monte, le mille-pattes paillard, la brouette yaponaise ou le derviche à grand braquet ? »
Bon, mais cíest pas tout, ça. Un simple hors díúuvre pour refoutre dans la mémoire de l'Indépendent Counsel que les personnages de la Bible ne sont pas si américains que ça ! Surtout que quand les filles ne baisent pas leur père, c'est l'oncle d'Abraham qui va sacrifier son fils sur la colline de Moryah.
Mais écoute la suite, Starr !
Bien des siècles plus tard, en l'an 967 avant l'ère commune des procureurs indépendants, une fille de Moab, Ruth, décide de suivre sa belle-mère Naomi qui s'en retourne vivre en Judée. On connaît la suite : Ruth, la Moabite fait la rencontre dans un champ de blés murs de Boaz qui deviendra son mari. De cette union, naîtra Oved, père de Yichaï (Jessé), père du roi David.
Et oui, monsieur le procureur, le grand roi David, le plus grand roi d'Israël, le poète des « Psaumes », le père de Salomon est l'arrière petit-fils d'une moabite, et donc, une lointaine descendante de ces amours ordurières, incestueuses et alcooliques que tu croyais réservées à un vieux dégueulasse comme Bukowski. Mais je sais ce que tu es en train de penser, Starr. Tout ça, c'est de la vieille merde de la Tora, plaine de forniqueurs et de sodomites. Jésus est passé par là, et a purifié la Loi et les prophètes. Il a contracté une nouvelle alliance avec les justes des nations en pensant déjà à líAmérique. Mais fouille un peu dans ta mémoire, procureur. Quand Jésus entre à Jérusalem, que crient les foules qui vont devant lui et celles qui le suivent : « Hoshaína, Bèn David ! » ( ). Et que crient les enfants dans le sanctuaire : « Hoshaína, Bèn David ! »
Et oui, mon petit Starr, le Christ Jésus... « issu de la semence de David selon la chair ! », comme l'affirme Saint Paul au début de l'Epître des Romains, « le rejeton et le descendant de David, l'Etoile brillante du Matin », selon l'Apocalypse de Saint Jean. Jésus-Christ ou Jésus-Messie, ce qui veut dire la même chose, Iesous-Christos ou Yeschoua Meschiha, selon les langues (encore elles, nom de Dieu) est le lointain rejeton de la fille aînée de Lot, cette souillon qui a baisé son père après l'avoir enivré. Quelle filiation, mon gars ! Avoue qu'après ces révélations, les pipelettes de Monica, c'est de la romance à l'eau de rose. Bon, jíen ai assez dit. Je vais tirer la chasse sur le rapport Starr que jíai jeté au fond de la cuvette, prêt à être aspiré par la grande bouche des égouts.
Chaque chose, en ce bas monde finit un jour ou l'autre par trouver sa place
Je ne m'attarderai pas sur la naissance, via le net, d'un voyeurisme de masse. Freud et même Reich, pourtant plus sociologue que le premier, y perdraient leur hébreu, fût-il à nouveau une langue vivante.
Díautres mieux que moi ( ) ont déjà commenté la petite histoire de William Clinton (WC), voué aux gémonies pour s'être fait tailler une pompe par Paula Jones (simple faute de goût) ou par Monica (c'est à voir), alors que presque personne ne s'attarde sur ses déculottades répétées devant les diverses mafias financières de la planète. Simple affaire de point de vue, mais que la publication du rapport Starr a transformé en affaire d'Etat, voire de civilisation. Et il n'y a pas que Monica à en être restée bouche bée !
M. Lang est monté sur les tréteaux médiatiques pour défendre WC contre les vilains suppôts de Torquemada et de Joseph de Maistre. Jim Harrison s'est fendu d'un article depuis son exil boréal dans le Monde du 30 septembre. Ce même journal, d'ordinaire plus modéré et prudent, a publié un éditorial vengeur « L'enfer, c'est l'Amérique !», n'hésitant pas à comparer les méthodes du procureur Starr à celle du Saint Office. Bref, nombreux sont ceux prêts à épouser la cause de WC contre les tenants de l'Ordre moral au nom du droit élémentaire de chacun (Jack, Joë ou Averell, par exemple) à défendre son intimité et sa vie privée. Nous avons presque envie d'être des leurs.
Ne serait-ce que par le dégoût que nous inspirent ces justiciers-lyncheurs avec leurs lampes à sonder la nudité fugitive et capricieuse des corps et leurs mouchards magnétiques captant les vaniteuses indiscrétions des co « pines ». Mais à travers ce procès odieux et ridicule, c'est surtout la mythologie missionnaire de l'Amérique (Maison Blanche et Congrès) qui se met elle-même en accusation.
Le premier mythe fondateur de la nation américaine est de prendre le Nouveau Monde pour un autre Canaan... et l'Amérique pour la Terre d'Election. « Le peuple américain se prend pour un second Israël », disait Daniel Lindenberg ( ). Il suffit de lire le rapport, publié le 11 septembre par l'US House of Representatives, et l'avenant au rapport de líindépendant Councel (procureur indépendant) Starr : « The long hard march of humanity toward the promised land of freedom. (...) Let us conduct ourselves and this inquiry in such a way as to vindicate the sacrifices of blood and treasure that have been made across the centuries to create and defend this last best hope of humanity on earth, the United States of America. »( ) juge ainsi WC de très très haut : depuis la Sainte Bible en personne, et des dix commandements, seule littérature qui convienne au grandiose projet des Etats-Unis d'Amérique, ce « dernier grand espoir de l'humanité sur terre » . Du coup, WC fait appel à son tour à des pasteurs pour organiser son repentir public. L'Amérique, fille aînée de la Bible hésite entre le pardon de la pipe et la condamnation du parjure. En aucun cas, elle ne doute d'incarner la plus parfaire réalisation terrestre de l'idéal biblique, car elle a reçu mandat de Dieu lui-même pour mettre les nations égarées dans le droit chemin et pour mener l'humanité vers son salut. L'Amérique de Starr (comme celle de William) croit en son destin messianique.
Qu'il me soit donc permis de faire à M. Starr et aux apprentis-messies de la bannière étoilée un petit rappel d'histoire biblique. Ça démarre très scabreux, par líhistoire de Lot et de ses filles :
« Lot ... habite une grotte, lui avec ses deux filles. L'aînée dit à la puînée : « Notre père est vieux. Et point d'homme sur terre pour venir sur nous, selon la route de toute la terre. Allons ! Nous abreuverons notre père de vin : couchons avec lui, vivifions semence de notre père ! » Elles abreuvent leur père de vin, en cette nuit-là. L'aînée vient et couche avec son père. Il ne connaît d'elle ni son coucher ni son lever. Et c'est le lendemain. L'aînée dit à la puînée : « Oui, j'ai couché hier avec mon père. Nous l'abreuverons de vin cette nuit aussi. Viens, couche avec lui. Vivifions semence de notre père. » Cette nuit-là aussi elles abreuvent de vin leur père. La puînée se lève et couche avec lui. Il ne connaît d'elle ni son coucher ni son lever. Les deux filles de Lot sont enceintes de leur père. L'aînée enfante un fils. Elle crie son nom : Moab - du père. Il est le père de Moab, jusqu'à ce jour. » ( ) Fin provisoire de l'histoire.
Déjà, il y de quoi pas mal gratter pour le procureur indépendant Starr. Un double inceste aggravé par l'ivresse et la félonie ! On l'imagine instruisant l'interrogatoire des filles de Lot : « Alors, mademoiselle Lot, que lui avez-vous fait à votre vieil homme de père ? La bébête qui monte qui monte, le mille-pattes paillard, la brouette yaponaise ou le derviche à grand braquet ? »
Bon, mais cíest pas tout, ça. Un simple hors díúuvre pour refoutre dans la mémoire de l'Indépendent Counsel que les personnages de la Bible ne sont pas si américains que ça ! Surtout que quand les filles ne baisent pas leur père, c'est l'oncle d'Abraham qui va sacrifier son fils sur la colline de Moryah.
Mais écoute la suite, Starr !
Bien des siècles plus tard, en l'an 967 avant l'ère commune des procureurs indépendants, une fille de Moab, Ruth, décide de suivre sa belle-mère Naomi qui s'en retourne vivre en Judée. On connaît la suite : Ruth, la Moabite fait la rencontre dans un champ de blés murs de Boaz qui deviendra son mari. De cette union, naîtra Oved, père de Yichaï (Jessé), père du roi David.
Et oui, monsieur le procureur, le grand roi David, le plus grand roi d'Israël, le poète des « Psaumes », le père de Salomon est l'arrière petit-fils d'une moabite, et donc, une lointaine descendante de ces amours ordurières, incestueuses et alcooliques que tu croyais réservées à un vieux dégueulasse comme Bukowski. Mais je sais ce que tu es en train de penser, Starr. Tout ça, c'est de la vieille merde de la Tora, plaine de forniqueurs et de sodomites. Jésus est passé par là, et a purifié la Loi et les prophètes. Il a contracté une nouvelle alliance avec les justes des nations en pensant déjà à líAmérique. Mais fouille un peu dans ta mémoire, procureur. Quand Jésus entre à Jérusalem, que crient les foules qui vont devant lui et celles qui le suivent : « Hoshaína, Bèn David ! » ( ). Et que crient les enfants dans le sanctuaire : « Hoshaína, Bèn David ! »
Et oui, mon petit Starr, le Christ Jésus... « issu de la semence de David selon la chair ! », comme l'affirme Saint Paul au début de l'Epître des Romains, « le rejeton et le descendant de David, l'Etoile brillante du Matin », selon l'Apocalypse de Saint Jean. Jésus-Christ ou Jésus-Messie, ce qui veut dire la même chose, Iesous-Christos ou Yeschoua Meschiha, selon les langues (encore elles, nom de Dieu) est le lointain rejeton de la fille aînée de Lot, cette souillon qui a baisé son père après l'avoir enivré. Quelle filiation, mon gars ! Avoue qu'après ces révélations, les pipelettes de Monica, c'est de la romance à l'eau de rose. Bon, jíen ai assez dit. Je vais tirer la chasse sur le rapport Starr que jíai jeté au fond de la cuvette, prêt à être aspiré par la grande bouche des égouts.
Chaque chose, en ce bas monde finit un jour ou l'autre par trouver sa place