Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°28 [mars 2000 - avril 2000]
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Mao et moi étions mendiants
Il y a très longtemps, Mao et son compagnon décidèrent de faire la route, de parcourir le pays pour s’instruire. Mais quelle voie choisir ? A gauche ou à droite ? « Nous allons éviter les chemins aisés, dit-il, et rechercher la difficulté. Bon. Allons-y. Vers la gauche. » Et ils se mirent en marche, baluchon sur l’épaule. Ils sortirent par la petite porte ouest de Changsha, chef lieu de la province du Hunan, et traversèrent la rivière en bateau sans payer une sapèque. « Vous êtes des voleurs, criait le passeur. Je me souviendrai de vous, je suis physionomiste. » Ce bon tour réjouissait Mao et son compagnon qui se débrouillaient pour vivre aux crochets du voisin. « Allez, il faut qu’on demande, soupirait Mao. Je n’attendrai pas une seconde de plus, je meurs de faim. » Il était rare qu’on leur refuse un peu de monnaie. Ils avaient le flair pour frapper aux bonnes portes et des dons de bonimenteurs. Ils citaient Lao Zi quand il le fallait. Ils étaient heureux et libres. Un proverbe assure qu’après trois ans de la vie de mendiant, personne n’accepterait même un poste de mandarin.
C’était il y a longtemps. Avant que le pouvoir ne s’en prenne aux étudiants de Pékin. Bien avant. Il faut dire que c’était l’époque de la révolution. La première, celle où l’on coupait les nattes et où la jeunesse croyait dans la République. Avant que l’armée ne réprime les étudiants, le 4 mai 1919 à Pékin, avant que le Seigneurs de Guerre ne mettent la Chine en coupe réglée, avant la guerre civile et l’invasion japonaise, avant la Longue Marche de 25 000 li. Celui qui raconte cette histoire était un vieux Chinois de Montevideo qui n’avait plus vu Mao depuis un bail. Il avait déjà fui, sans demander son reste, lorsque le 1er octobre 1949, Mao prononça son premier discours de président, avec l’accent du Hunan, depuis la Porte de la Paix céleste, devant la Cité interdite. « Dans toute la Chine, le peuple a connu de pénibles souffrances et tribulations depuis que le gouvernement réactionnaire de Chiang Kaï-Shek a trahi la mère patrie, conspiré avec les impérialistes et déclenché la guerre contre-révolutionnaire... » Mao annonça, ce jour, la naissance de la République populaire de Chine.
En Chine, les années en 9 sont riches en anniversaires dignes de célébration.
En 1959, l’année du dixième anniversaire de la République populaire, le Chinois de Montevideo qui avait mendié avec Mao n’était plus de ce monde. Malgré l’insurrection écrasée de Lhassa et le limogeage de Peng Dehuai, le maréchal trop sensible aux misères du peuple, l’anniversaire du régime fut grandiose. Il y eut des défilés avec pléthore de drapeaux rouges. Pas autant, cependant, qu’en 1969, l’année du Neuvième Congrès, quand la Révolution culturelle battait son plein sous la houlette de Lin Biao et de la Bande des Quatre. Et puis, finalement, Mao est mort. Celui qui l’a remplacé, par un petit coup d’État, le monde a presque oublié son nom : Hua Guofeng, un cadre de la Sécurité publique. « Avec toi aux affaires, alors je suis tranquille », aurait dit Mao. Mais, en 1979, Hua Guofeng s’effaça devant le grand retour de Deng Xiaoping, un des étudiants en colère de 1919, un ancien de la Longue Marche, un limogé de la Révolution culturelle, l’incarnation du changement et de la nouvelle donne chinoise. C’est alors que, sur les murs, s’épanouirent cent fleurs de papier. La revue non officielle Beijing zhi chun, Le Printemps de Pékin, publia la nouvelle de politique-fiction « Tragédie 2000 » qui racontait l’histoire, en l’an 2000, du Dazibao-collé-ici-vingt-deux-ans-auparavant et signé Yuzi, Crainte persistante. Le 16 octobre 1979, le dissident Wei Jingsheng fut condamné à quinze ans de réclusion criminelle pour son activité au cours du Printemps de Pékin, notamment la rédaction du dazibao « La Cinquième modernisation : la démocratie ». Faut-il aller à gauche ? Faut-il aller à droite ? La question n’avait guère de sens pour Deng Xiaoping. Qu’importe la couleur du chat pourvu qu’il attrape des souris, avait-il coutume de répéter. Il fit la couverture de Times magazine. En 1989, c’est lui qui décida de tirer sur les étudiants rassemblés place Tiananmen, le grand massacre du 4 juin. Il y a dix ans.
Et voilà que la République populaire a fêté son demi-siècle. Cela tombe mal.
En Chine, les années en 9 sont riches en anniversaires dignes de célébration. Chacun reconnaîtra les siens. Li Shangyin, un poète de la dynastie des Tang, a laissé ces vers définitifs : « Le chant des jeunes phénix est plus mélodieux que celui des vieux. »
C’était il y a longtemps. Avant que le pouvoir ne s’en prenne aux étudiants de Pékin. Bien avant. Il faut dire que c’était l’époque de la révolution. La première, celle où l’on coupait les nattes et où la jeunesse croyait dans la République. Avant que l’armée ne réprime les étudiants, le 4 mai 1919 à Pékin, avant que le Seigneurs de Guerre ne mettent la Chine en coupe réglée, avant la guerre civile et l’invasion japonaise, avant la Longue Marche de 25 000 li. Celui qui raconte cette histoire était un vieux Chinois de Montevideo qui n’avait plus vu Mao depuis un bail. Il avait déjà fui, sans demander son reste, lorsque le 1er octobre 1949, Mao prononça son premier discours de président, avec l’accent du Hunan, depuis la Porte de la Paix céleste, devant la Cité interdite. « Dans toute la Chine, le peuple a connu de pénibles souffrances et tribulations depuis que le gouvernement réactionnaire de Chiang Kaï-Shek a trahi la mère patrie, conspiré avec les impérialistes et déclenché la guerre contre-révolutionnaire... » Mao annonça, ce jour, la naissance de la République populaire de Chine.
En Chine, les années en 9 sont riches en anniversaires dignes de célébration.
En 1959, l’année du dixième anniversaire de la République populaire, le Chinois de Montevideo qui avait mendié avec Mao n’était plus de ce monde. Malgré l’insurrection écrasée de Lhassa et le limogeage de Peng Dehuai, le maréchal trop sensible aux misères du peuple, l’anniversaire du régime fut grandiose. Il y eut des défilés avec pléthore de drapeaux rouges. Pas autant, cependant, qu’en 1969, l’année du Neuvième Congrès, quand la Révolution culturelle battait son plein sous la houlette de Lin Biao et de la Bande des Quatre. Et puis, finalement, Mao est mort. Celui qui l’a remplacé, par un petit coup d’État, le monde a presque oublié son nom : Hua Guofeng, un cadre de la Sécurité publique. « Avec toi aux affaires, alors je suis tranquille », aurait dit Mao. Mais, en 1979, Hua Guofeng s’effaça devant le grand retour de Deng Xiaoping, un des étudiants en colère de 1919, un ancien de la Longue Marche, un limogé de la Révolution culturelle, l’incarnation du changement et de la nouvelle donne chinoise. C’est alors que, sur les murs, s’épanouirent cent fleurs de papier. La revue non officielle Beijing zhi chun, Le Printemps de Pékin, publia la nouvelle de politique-fiction « Tragédie 2000 » qui racontait l’histoire, en l’an 2000, du Dazibao-collé-ici-vingt-deux-ans-auparavant et signé Yuzi, Crainte persistante. Le 16 octobre 1979, le dissident Wei Jingsheng fut condamné à quinze ans de réclusion criminelle pour son activité au cours du Printemps de Pékin, notamment la rédaction du dazibao « La Cinquième modernisation : la démocratie ». Faut-il aller à gauche ? Faut-il aller à droite ? La question n’avait guère de sens pour Deng Xiaoping. Qu’importe la couleur du chat pourvu qu’il attrape des souris, avait-il coutume de répéter. Il fit la couverture de Times magazine. En 1989, c’est lui qui décida de tirer sur les étudiants rassemblés place Tiananmen, le grand massacre du 4 juin. Il y a dix ans.
Et voilà que la République populaire a fêté son demi-siècle. Cela tombe mal.
En Chine, les années en 9 sont riches en anniversaires dignes de célébration. Chacun reconnaîtra les siens. Li Shangyin, un poète de la dynastie des Tang, a laissé ces vers définitifs : « Le chant des jeunes phénix est plus mélodieux que celui des vieux. »