Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°28 [mars 2000 - avril 2000]
© Passant n°28 [mars 2000 - avril 2000]
par Pierre Cocrelle
Imprimer l'articleTourmente in Bègles
Voilà. Ca s’est passé comme ça. La maîtresse nous a demandé de rencontrer un monsieur, un peu chauve, avec des lunettes, une cravate, et des petits yeux. Il avait l’air très gentil. Mais il sentait fort de la bouche. La cigarette et le pourri. Il m’a demandé mon prénom. Je lui ai dit que je m’appelai Lisa. Si c’était pas la maîtresse qui m’aurait dit de lui répondre, j’aurais pas voulu : Papa ne veut pas que je parle à des messieurs que je ne connais pas. Bon. Tant pis !
Il m’a interrogée : « as-tu eu peur de la tempête ? » J’ai répondu : « un peu. Oui ! Oui ! Le vent soufflait fort. C’était comme un train qui aurait voulu entrer dans la cheminée. Ensuite, plus de lumière ! Bon, tant pis ! Ca m’a donné des frissons. Alors on a allumé des bougies. Comme pour mon anniversaire. Puis il y a eu l’eau qui faisait flotter les meubles. On est tous montés dans les chambres. Comme si on allait se coucher. Maman faisait des gros yeux. Elle disait, fort, très fort :
- Mickey ! Tu te rends compte !
Mais papa souriait. Il lui a répondu :
- Tu vois, Ghislaine, ma douce chérie, combien j’avais raison de ne pas vouloir me taper la peinture du couloir ! Et ton putain de canapé que je peux pas saquer, il va couler comme le Titanic ! »
Moi non plus je ne l’aime pas ce canapé : maman ne veut pas que je mette les pieds dessus, parce que c’est mamie Colette qui l’a acheté ! Bon tant pis ! Je préfère le vieux fauteuil de papa que maman a foutu au grenier, parce qu’elle ne le trouve pas beau… Papa me laisse sauter comme je veux sur les pose-bras…
Après, l’eau est redescendue. En bas, il y avait de la boue. Partout. Ca faisait drôle. Bon. Tant pis ! Pendant la tempête, maman avait les yeux tout rouges. Mais papa est allé chercher une bouteille. Du champagne. Elle ne brillait pas du tout. Elle était couverte de caca. Il a fait péter le bouchon : poum ! Et il a dit :
- Jackpot ! Darlinge ! Quand tu es au fromage, (peut être qu’il a dit un autre mot), tu as tout le temps d’étudier les dossiers d’assurance… Ca va payer ! On peut se taper la dernière ! »
Papa avait raison : hier on est allé à Auchan et chez Boulanger commander des meubles et la nouvelle télé. Papa, il a dit qu’on n’allait plus s’emmerder avec le chauffage électrique :
- La raquette (ou un autre mot) terminé ! On passe au gaz ! », qu’il a ajouté...
Maman et papa, ils s’embrassaient ! Papa, il a dit aussi qu’on allait pouvoir faire plein de frites :
- Quarante patates ! Ton putain de placo il peut moisir ! Rien à foutre ! »
Après, maman, elle lui a demandé de parler meilleur ; que j’étais là, à coté.
Papa a ajouté :
- En plus ta mère ne viendra pas nous faire chier ! Au moins jusqu’à cet été ! Le bonheur ! »
Mamie, elle sent comme vous, monsieur. De la bouche. Et quand papa lui sert à manger elle dit toujours :
- Assez ! Assez ! Ca suffit maintenant ! ».
Le monsieur, il a eu l’air étonné. Il n’a rien dit. Il m’a regardé bizarrement quand je suis sortie de la classe. Il paraît que c’est un pepsichologue. Moi je bois que du Coca. Celui avec le sucre. Après le monsieur, il a parlé avec la maîtresse. J’ai entendu :
- Ah les parents ! Ils ne nous aident pas beaucoup ! »
Bon, tant pis pour la pauvre maîtresse et le vieux monsieur, s’ils ont de méchants parents !
Moi, ma maman et mon papa, ils sont supers !