Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°29 [juin 2000 - juillet 2000]
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Charbons ardents, la création d’une utopie
Dans son très beau documentaire Charbons Ardents, Jean-Michel Carré relate l’utopie réalisée de mineurs gallois qui ont pris leur destinée à bras le corps en rachetant leur entreprise tout en conservant leur idéal socialiste. Fuck Thatcher ! Rien n’est pourtant facile à Tower : l’avenir est en hypothèse, les décisions donnent lieu à d’âpres discussions, certains freinent, mais la démocratie avance, l’autogestion fonctionne, contre-pied « dynamite » à la sacro-sainte productivité et au dieu profit. Et les mineurs voient plus loin que leur bout de charbon. Ils financent des associations locales, des projets éducatifs et culturels, les travailleurs en lutte à travers le monde... Au fond de la mine ou en surface travaillent « des femmes et des hommes ordinaires », comme ils aiment à se définir.
L’utopie, c’est la vérité de demain.
Victor Hugo
Ce documentaire s’intéresse à l’histoire extraordinaire des mineurs de la mine Tower de Aberdare (Pays de Galles), qui, à l’époque des privatisations anglaises en 1994, ont défié la logique du mondialisme économique en rachetant avec leurs indemnités de licenciement la mine de charbon dans laquelle ils avaient travaillé. Ces « hommes et ces femmes ordinaires », comme ils aiment à se nommer, loin de tout fatalisme, ont décidé de prendre leur destinée en main ! Ils ont pris des risques inouïs pour eux et pour leur famille, remettant en jeu le peu de biens accumulés après des années de travail à la mine, rachetant leur entreprise, s’attelant à des domaines alors inconnus d’eux : la gestion, le marketing, la direction du personnel, la législation, les rapports avec les avocats, les banquiers. En même temps, ils ont sauvegardé leur idéal socialiste. Tout cela ils l’ont appris dans la lutte, sur le terrain, démontrant, une fois de plus si nécessaire, qu’il suffit de vouloir pour pouvoir.
Il aurait certainement été passionant de suivre leur combat pendant l’années 1994, année de fermeture de leur mine par le gouvernement conservateur, mais il m’a semblé beaucoup plus passionnant de les retrouver trois ans plus tard, pour bien comprendre les tenants et aboutissants de ce qu’implique « la gestion d’une réussite ». Car il s’agit d’une réussite. Hormis la sauvegarde de leurs emplois, les mineurs ont géré la mine comme, ni la British Coal (propriétaire nationalisé jusqu’en 1994 de la mine), ni les entrepreneurs privés d’avant ne l’avaient jamais fait, réalisant d’importants bénéfices, sans pour autant tout sacrifier à la sacro-sainte productivité. Ils ont également crée de nouveaux emplois, augmenté de façon considérable les salaires (un mineur est payé en moyenne 21 000 francs par mois), amélioré la sécurité de la mine, mais surtout ils ont réussi à transformer le rapport au travail, à la hiérarchie, à la culture… et ceci de manière irréversible.
Pour autant, c’est aujourd’hui, trois années après leur première victoire, que le véritable combat commence pour ces « patrons-employés ». Et pour cause. Dans un monde où la concurrence est de plus en plus violente, où Tower voit objectivement la disparition à plus ou moins long terme de ses gisements, il est indispensable d’inventer pour les années et les générations à venir. Aujourd’hui pour eux, il ne s’agit pas simplement de sauvegarder des emplois, mais d’en créer de nouveaux, d’être capables de former des jeunes. Il ne s’agit plus de d’augmenter seulement les salaires et les dividendes mais d’imaginer comment aider financièrement et humainement le tissu associatif des vallées et comment soutenir les luttes d’autres travailleurs à travers le monde.
Ainsi ils sponsorisent des associations de chômeurs, des école d’handicapés et d’orphelins, des projets éducatifs et culturels. Ils ont envoyé deux ambulances et du matériel médical aux habitants de Tchernobyl, ils ont offert du matériel de sécurité aux mineurs du Vietnam, ils soutiennent le peuple Kurde, ont soutenu financièrement la marche sur Bruxelles des chômeurs britanniques et lors de la grève des dockers de Liverpool, chaque mineur de Tower faisant directement virer entre 5% et 10% de son salaire sur le compte du comité de lutte des dockers.
Le résultat de ces trois années de politique et d’apprentissage réussi de la gestion d’une entreprise, et qui se poursuit aujourd’hui, appartient désormais à ces travailleurs. Chaque nouveau problème, chaque nouvelle difficulté doit trouver sa résolution dans une optique socialiste au sens profond du terme.
Afin d’être le témoin et d’universaliser leurs combats, j’ai tourné le temps d’une année. J’en ai rapporté cent heures de vie, de réflexions, de questionnements. Partageant avec eux leur travail au fond de mine, leurs assemblées générales, leurs réunions syndicales ou leurs discussions au pub. Dès que la confiance a été établie, ils se sont montrés intarissables sur leurs années de lutte, d’espoir, comme sur leurs récentes années de conquête de leur outil de travail, sur leur invention d’une autre manière de vivre, sur leurs rêves, parfois modestes. Sur l’avenir de leur mine, sur celui de leurs enfants, mais aussi sur celui de notre monde, dont ils se sentent si différents, tout en étant totalement impliqués.
Si passionnant que soit ce débat d’idées parfois réalistes, parfois utopistes, j’ai choisi dans mon film de révéler une démocratie en marche, en racontant une histoire à travers le quotidien de ces mineurs, en révélant leurs émotions, leurs sensations, leurs coups de gueule, leurs instants de déprime et de joie. Il ne s’agit pas d’un film relatant une lutte d’exception, mais d’un film mettant en scène un combat quotidien, où chaque citoyen, chaque spectateur pourra se nourrir, tant des contradictions que ces résolutions, mais surtout d’une volonté farouche de vivre autrement pour une société véritablement humaine.
L’utopie, c’est la vérité de demain.
Victor Hugo
Ce documentaire s’intéresse à l’histoire extraordinaire des mineurs de la mine Tower de Aberdare (Pays de Galles), qui, à l’époque des privatisations anglaises en 1994, ont défié la logique du mondialisme économique en rachetant avec leurs indemnités de licenciement la mine de charbon dans laquelle ils avaient travaillé. Ces « hommes et ces femmes ordinaires », comme ils aiment à se nommer, loin de tout fatalisme, ont décidé de prendre leur destinée en main ! Ils ont pris des risques inouïs pour eux et pour leur famille, remettant en jeu le peu de biens accumulés après des années de travail à la mine, rachetant leur entreprise, s’attelant à des domaines alors inconnus d’eux : la gestion, le marketing, la direction du personnel, la législation, les rapports avec les avocats, les banquiers. En même temps, ils ont sauvegardé leur idéal socialiste. Tout cela ils l’ont appris dans la lutte, sur le terrain, démontrant, une fois de plus si nécessaire, qu’il suffit de vouloir pour pouvoir.
Il aurait certainement été passionant de suivre leur combat pendant l’années 1994, année de fermeture de leur mine par le gouvernement conservateur, mais il m’a semblé beaucoup plus passionnant de les retrouver trois ans plus tard, pour bien comprendre les tenants et aboutissants de ce qu’implique « la gestion d’une réussite ». Car il s’agit d’une réussite. Hormis la sauvegarde de leurs emplois, les mineurs ont géré la mine comme, ni la British Coal (propriétaire nationalisé jusqu’en 1994 de la mine), ni les entrepreneurs privés d’avant ne l’avaient jamais fait, réalisant d’importants bénéfices, sans pour autant tout sacrifier à la sacro-sainte productivité. Ils ont également crée de nouveaux emplois, augmenté de façon considérable les salaires (un mineur est payé en moyenne 21 000 francs par mois), amélioré la sécurité de la mine, mais surtout ils ont réussi à transformer le rapport au travail, à la hiérarchie, à la culture… et ceci de manière irréversible.
Pour autant, c’est aujourd’hui, trois années après leur première victoire, que le véritable combat commence pour ces « patrons-employés ». Et pour cause. Dans un monde où la concurrence est de plus en plus violente, où Tower voit objectivement la disparition à plus ou moins long terme de ses gisements, il est indispensable d’inventer pour les années et les générations à venir. Aujourd’hui pour eux, il ne s’agit pas simplement de sauvegarder des emplois, mais d’en créer de nouveaux, d’être capables de former des jeunes. Il ne s’agit plus de d’augmenter seulement les salaires et les dividendes mais d’imaginer comment aider financièrement et humainement le tissu associatif des vallées et comment soutenir les luttes d’autres travailleurs à travers le monde.
Ainsi ils sponsorisent des associations de chômeurs, des école d’handicapés et d’orphelins, des projets éducatifs et culturels. Ils ont envoyé deux ambulances et du matériel médical aux habitants de Tchernobyl, ils ont offert du matériel de sécurité aux mineurs du Vietnam, ils soutiennent le peuple Kurde, ont soutenu financièrement la marche sur Bruxelles des chômeurs britanniques et lors de la grève des dockers de Liverpool, chaque mineur de Tower faisant directement virer entre 5% et 10% de son salaire sur le compte du comité de lutte des dockers.
Le résultat de ces trois années de politique et d’apprentissage réussi de la gestion d’une entreprise, et qui se poursuit aujourd’hui, appartient désormais à ces travailleurs. Chaque nouveau problème, chaque nouvelle difficulté doit trouver sa résolution dans une optique socialiste au sens profond du terme.
Afin d’être le témoin et d’universaliser leurs combats, j’ai tourné le temps d’une année. J’en ai rapporté cent heures de vie, de réflexions, de questionnements. Partageant avec eux leur travail au fond de mine, leurs assemblées générales, leurs réunions syndicales ou leurs discussions au pub. Dès que la confiance a été établie, ils se sont montrés intarissables sur leurs années de lutte, d’espoir, comme sur leurs récentes années de conquête de leur outil de travail, sur leur invention d’une autre manière de vivre, sur leurs rêves, parfois modestes. Sur l’avenir de leur mine, sur celui de leurs enfants, mais aussi sur celui de notre monde, dont ils se sentent si différents, tout en étant totalement impliqués.
Si passionnant que soit ce débat d’idées parfois réalistes, parfois utopistes, j’ai choisi dans mon film de révéler une démocratie en marche, en racontant une histoire à travers le quotidien de ces mineurs, en révélant leurs émotions, leurs sensations, leurs coups de gueule, leurs instants de déprime et de joie. Il ne s’agit pas d’un film relatant une lutte d’exception, mais d’un film mettant en scène un combat quotidien, où chaque citoyen, chaque spectateur pourra se nourrir, tant des contradictions que ces résolutions, mais surtout d’une volonté farouche de vivre autrement pour une société véritablement humaine.