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Sortie du DVD de Notre Monde

Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
Rassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°30 [août 2000 - septembre 2000]
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« Un monde se lève » à Millau


« Un monde se lève » à Millau

Une larme perle sous les lunettes profilées de Manu ; Christine en a oublié ses genoux douloureux. Le Papet se fait une cure de jouvence entre deux cerises juteuses. Léon Maillé, Richard Maillé le fils, Jean-Paul Delaitte, Frédéric Libot, Alain Soulié, Gilbert Fenestraz, Raymond Fabrègues, Christian Roqueirol, Jean-Emile Sanchez, Bové le poing dressé, tous les prévenus sont sur l’estrade du tribunal citoyen, avec les avocats, les témoins du monde qui viennent des USA, de Polynésie, de Pologne, d’Inde, du Sénégal… Les mains crépitent des ovations à la volée. Les mots sont du miel, Millau lyrique, jusqu’à l’emphase, cantatrice moustachue, ténors du barreau. Ici et là, ça chair de poule.

Le maire RPR de Millau, Jacques Godfrain, qui traîne une réputation sulfureuse d’ex-membre du SAC pourra toujours venir au petit matin avec son appareil photo jetable minable et son huissier caniche photographier les détritus jonchant l’espace où s’est déroulé le concert, rien ne jettera le discrédit sur ce moment magique, qui plus est quand un troupeau joyeux de petites mains viendra nettoyer en quelques heures les reliefs du bonheur.

Car Millau fut une sacré émotion, une émotion politique dont l’acuité a été accentuée par cette nuit de fête sous les décibels étoilées de Noir Désir et Zebda, par ces gouttes orageuses envoyant des nuées de campeurs improviser un sommeil léger sous les ponts et les porches de la ville. Une émotion politique revigorante, roborative. Certains tentent pourtant encore de faire passer Bové et ses amis pour des nationalo-poujadistes déguisés en anarcho-libertaires alors que ces militants paysans luttent avec vaillance contre la mondialisation capitaliste, pensent le monde autrement, développent des moyens de lutte novateurs, non-violents et diablement efficaces, à l’instar du démontage du Mac Do. Quand la loi est abrupte, inique, voire quand il n’y a tout simplement pas de loi pour régir le marché cannibale, la légitimité est dans l’action directe, dans la légitimité de l’illégalité face à la légalité de l’illégitimité.



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Et ça forcément, les partis ont du mal, le plus grand mal même à s’y retrouver, à lutter ainsi, à penser ce changement des rapports économiques et sociaux ailleurs que dans le cadre rassurant de leur appareil politique dont l’horizon rougit périodiquement d’échéances électorales castratrices. Quand le choix délivré par les urnes devient aphone à force de mutisme, de lâcheté bien ordonnée, le peuple gueule ses tripes nouées, dans la rue. Et Jospin peut toujours affirmer « que le refus de la mondialisation n’est pas une approche progressiste », nous lui laissons son progressisme.com qu’il pourra toujours lustrer entre amis à Matignon.

La gauche plurielle était absente, tristement absente à Millau, à tel point comme disait le Papet qu’on a l’impression éminemment subjective mais fortement détestable d’avoir affaire à un gouvernement de « droite » : les socialos avaient bien envoyé quelques jeunes pousses roses, histoire de démontrer que tout cela n’était qu’enfantillage ; les cocos, eux, avaient délégué aux vendeurs de « luma » -escargot en Charentais - leur lenteur à se réformer ; quant aux verts, malgré la présence de militants et de quelques cadors, ils sont sévèrement gainés dans leur compromis gouvernemental.

Je ne leur ferai pas l’injure de penser que ce monde les réjouit, qu’ils n’ont pas

- pour certains tout au moins - une volonté sincère de changement mais ils sont passés à côté, une fois de plus, ce qui devient une fâcheuse habitude et risque à terme de créer un fossé irrémédiable avec ce mouvement né à Seattle, son jumeau à Millau et qui annonce une recomposition politique autour d’une utopique OMC, « Organisation Mondiale de la Citoyenneté ». Heureusement, SUD, surtout, et la CGT ont assuré les gros bras et le reste quand la CFDT ne peut et flirter avec le MEDEF et coucher sous les ponts.

Si jamais Bové et la Confédération Paysanne remettent le couvert l’an prochain à Millau, faut pas hésiter, faut y aller. Vous aurez peut-être les doigts qui sentent un peu le Roquefort mais, à la différence de la confiture, la tartine retombera du bon côté, celle du désir d’un autre monde, d’un autre monde qui se lève et que nous devons porter.


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