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© Passant n°30 [août 2000 - septembre 2000]
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Sexualité, prison et culpabilité


« Les personnes détenues ne sont pas des anges » nous dit-on. Pourtant on fait comme si, tant on les considère comme assexuées, allant jusqu’à les priver de sexualité. La non mixité reste toujours la règle dans les géôles françaises comme dans les salles de classe d’antan. La prison devrait pourtant être un « lieu idéal » pour la sexualité puisqu’elle est le lieu de l’ombre, de l’obscurité, du caché, du pas propre... Que neni !

« La force de l’habitude, du pouvoir, de la répression et des textes est parvenu à occulter en nous, prisonniers et ex-prisonniers l’idée élémentaire que l’activité sexuelle est indissociable de la vie humaine. Les réducteurs de têtes et d’aspirations qui nous gouvernent sont parvenus à tuer en nous le désir du désir »(1). Ces propos de Serge Livrozet date de 1978. La même année, Jacque Lesage de la Haye

- un ex-détenu - publiait La guillotine du sexe. Où en sommes nous à ce jour ?

La réforme du régime pénitentiaire disciplinaire du 2 avril 1996 notifie que « constitue une faute du deuxième degré, le fait d’imposer à la vue d’autrui des actes obscènes ou susceptibles d’offenser la pudeur ». La rédaction de cet article et cette manière de désigner la sexualité sans la nommer ou en la réduisant à des « actes obscènes » en dit long sur les représentations du législateur à l’endroit de la sexualité. Quand à la « pudeur offensée », c’est un peu l’hôpital qui se fout de la charité.

Paradoxalement, la chancellerie annonçait le 2 mars dernier, l’implantation d’unité de visites familiales (UVF) sur trois sites pilotes, à la maison centrale de Poisssy (Yvelines), au centre de détention de Saint-Martin-de-Ré (Charentes-Maritime) et à la maison centrale des femmes de Rennes d’ici fin 2001(2). Ce projet a été abordé à moultes reprises ces vingt dernières années et sans cesse remis aux calendes grècques si bien qu’il fait aujourd’hui figure d’arlésienne(3).

Quoiqu’il en soit les UVF ne suffiront pas à répondre à la question du droit à l’intimité et à la vie privée des personnes détenues - notamment en maisons d’arrêt - et à juguler la surpopulation et la surinflation carcérale. Une relance des alternatives à l’incarcération, le développement de réelles politiques d’aménagement des peines avec possibilités de recours, une réforme de la loi sur la présomption d’innocence, l’instauration de numérus clausus sont des préalables à une évolution significative en ce sens.

En l’état, la détention assigne la personne détenue dans une enclave où le plaisir est une zone interdite. Tout est comme si la personne n’était pas reconnue comme digne de mériter et de donner du plaisir ni comme sujet désirant et désiré. La peine ou la punition doit inclure l’interdiction du plaisir. Tout est comme si le détenu devait être banni sur un plan affectif et sexuel.

Cette non reconnaissance d’une liberté d’accès au droit à l’intimité participe de la négation de l’intégrité de la personne. La personne doit être une personne sans « ça » ; avec la sexualité en moins. Tout est comme si on punissait la sexualité en l’être. Comme si la sexualité était jugée coupable ou empreinte de culpabilité. Notons que dans le lieu où l’on punit d’une faute, la sexualité fait faute. Faute au sens de faire défaut mais également de manière pratique, implicite ou symbolique comme si la sexualité était une faute, un « pêché » qu’il fallait réprimer ou réprimander. La prison désigne ici la sexualité comme quelque chose de punissable et nous tend une fois encore un miroir dans lequel on ne veut pas se voir.

Situation humiliante et dégradante que d’infliger cette peine supplémentaire à un individu, que de lui dénier le droit à la sexualité. Infantilisation comme si la personne n’était pas à même d’assumer la responsabilité de sa sexualité, ce qui justifierait une ingérence de l’autorité publique dans sa vie privée. Tout est comme si le détenu devait discipliner son corps sur lequel l’administration aurait un droit de contrôle.

La négation de la reconnaissance du droit à la sexualité est une constante de l’enfermement carcéral, psychiatrique et religieux. Il nous faudrait considérer ici l’influence du fait religieux sur la punition et la détention.

Historiquement la religion catholique a eu une influence majeure sur la détention ; la gestion de celle-ci et le contrôle des corps. Souvenons-nous des débats animés qui avaient cours au 18e siècle sur la sodomie ou la masturbation. Le contrôle de la sexualité déterminait des options dans la manière de détenir et de contenir. Certains prônaient l’enfermement cellulaire (c’est-à-dire individuel) là où d’autres prônaient l’enfermement collectif(4).

Le projet et les mécanismes disciplinaires de la prison ont été démontrés en détail par Michel Foucault(5). Souvenons-nous que le philosophe rappelait que par-delà la volonté de discipliner les corps, le jugement et la peine visaient à changer « l’âme des criminels ». Ne serait-il pas temps de nous défaire de cette emprise du religieux et de notre religiosité à l’endroit de la peine d’emprisonnement pour que la sanction - lorsque sanction il doit y avoir - prenne un visage laïque et par là plus humain ?

Sociologue, auteur de Sexualités et violences en prison avec Daniel Welzer-Lang et Lilian Mathieu, éditions Observatoire international des prisons/Aléas.
(1) Voir l’excellent ouvrage de Christophe Soulié Liberté sur Parole, éditions Analis 1995.
(2) Voir Jean-Michel Dumay, dans Le Monde du 4 mars 2000.
(3) Voir Michaël Faure, Le Passant Ordinaire n°26 et Le Monde diplomatique de Mai 1998.
(4) Voir Daniel Welzer-Lang, Lilian Mathieu, Michaël Faure, Sexualités et violences en prison, édition Aléas/O.I.P, 1996.
(5) Voir Michel Foucault, Surveiller et punir, Gallimard 1975.

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