Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°31 [octobre 2000 - novembre 2000]
© Passant n°31 [octobre 2000 - novembre 2000]
par Patrick Rödel
Imprimer l'articleFiat lux !
Fiat lux ! Que la lumière soit et la lumière fut ! Archétype de l'acte créateur dans la Genèse, même si beaucoup ne le savent pas ou l'ont oublié, qui se disent benoîtement créateurs. Création ex nihilo, dit-on, création à partir de rien. De rien ? Pas véritablement, puisque le Créateur met en ordre le tohu-bohu primordial, comme le Démiurge grec le chaos ; qu'il faut donc le désordre et l'idée d'un ordre pour que quelque chose soit qui n'était pas (ce qui pourrait remettre en cause une partie de la critique spinoziste de la théorie créationniste : absurde, dit Spinoza, que quelque chose soit qui n'est pas ; aussi absurde que si une vérité devenait erreur ou le blanc noir) : il y a toujours quelque chose qui précède la chose, même si cette précession n'est pas temporelle puisque le temps, écrit Saint Augustin, est affaire d'homme, donc de créature, alors que Dieu est hors du temps. Mais l'ordre qu'est la Création n'est jamais acquis et certains même doutent qu'il y en ait un, à voir toutes les irrégularités (tremblements de terre, cyclones, épidémies, guerres et autres menues saloperies).Imagine-t-on, avec Descartes, que Dieu ait un instant de distraction et tout retournerait au chaos ! heureusement pour nous, la doctrine cartésienne de la création continuée résoud le problème : Dieu n'est jamais distrait. Pour les irrégularités, s'il faut en croire Leibniz, ça pourrait être pire, le monde dans lequel nous vivons est celui qui constitue le meilleur mélange de biens et de maux possible.
On peut voir, of course, les choses différemment et penser que l'ordre qu'est la Création n'est jamais achevé ; cette intuition de Saint Paul laisse à l'homme le soin d'aider une Création en gésine à accoucher de toutes ses potentialités. C'est ainsi que, de l'acte du Créateur et du résultat de cet acte, nous passons à l'action créatrice de l'homme lui-même. Si nous laissons de côté la sacralisation de l'Art qui fait, au 19e siècle, de l'artiste un équivalent du Dieu créateur, théorie qui, avec le recul, peut paraître assez ringarde, nous nous trouvons en face de deux attitudes possibles. Une récupération par le poltique, à son bénéfice, de l'activité créatrice de l'artiste (vieille histoire depuis Mécène en passant par Louis XIV et en débouchant sur l'aide à la création ou tout aussi bien sur ce que fut le réalisme socialiste). On n'est jamais assez prudent et si la nouveauté qui reste au cœur même de l'activité artistique allait donner des idées à d'autres ? Il faut impérativement encadrer tout ça, minimiser les risques, marginaliser les déviants, payer les artistes pour faire de l'œuvre d'art une marchandise comme les autres obéissant aux lois du marché. Une célébration des forces créatrices, qu'elles s'alimentent au plus profond de l'inconscient ou au plus haut de l'esprit humain, qu'elles s'appuient sur les hasards objectifs ou sur les jeux les plus formels. Jamais, affirme-t-on; aucun cadre social ne parviendra à les contenir; rien n'est moins sûr. Ou bien personne n'accèdera jamais à ces œuvres, ou bien le marché les boulottera, comme le reste !
Mais, et c'est là que nous retrouvons les pages de Marx dans L’Idéologie allemande, on peut rêver d'un état social où chaque individu pourrait épanouir les forces créatrices qui sont en lui et que seules des conditions socio-économiques déterminées, si vous voyez ce que je veux dire, permettent à un petit nombre de développer. Et pas seulement rêver. Le lien entre Art et Utopie, Art et Révolution est manifeste, dans la mesure où l'Art est l'inscription de la liberté humaine dans le domaine de la Nature - ce qui est aller plus loin, évidemment que ne le laisse supposer cette formule kantienne.
Patrick Rödel*
On peut voir, of course, les choses différemment et penser que l'ordre qu'est la Création n'est jamais achevé ; cette intuition de Saint Paul laisse à l'homme le soin d'aider une Création en gésine à accoucher de toutes ses potentialités. C'est ainsi que, de l'acte du Créateur et du résultat de cet acte, nous passons à l'action créatrice de l'homme lui-même. Si nous laissons de côté la sacralisation de l'Art qui fait, au 19e siècle, de l'artiste un équivalent du Dieu créateur, théorie qui, avec le recul, peut paraître assez ringarde, nous nous trouvons en face de deux attitudes possibles. Une récupération par le poltique, à son bénéfice, de l'activité créatrice de l'artiste (vieille histoire depuis Mécène en passant par Louis XIV et en débouchant sur l'aide à la création ou tout aussi bien sur ce que fut le réalisme socialiste). On n'est jamais assez prudent et si la nouveauté qui reste au cœur même de l'activité artistique allait donner des idées à d'autres ? Il faut impérativement encadrer tout ça, minimiser les risques, marginaliser les déviants, payer les artistes pour faire de l'œuvre d'art une marchandise comme les autres obéissant aux lois du marché. Une célébration des forces créatrices, qu'elles s'alimentent au plus profond de l'inconscient ou au plus haut de l'esprit humain, qu'elles s'appuient sur les hasards objectifs ou sur les jeux les plus formels. Jamais, affirme-t-on; aucun cadre social ne parviendra à les contenir; rien n'est moins sûr. Ou bien personne n'accèdera jamais à ces œuvres, ou bien le marché les boulottera, comme le reste !
Mais, et c'est là que nous retrouvons les pages de Marx dans L’Idéologie allemande, on peut rêver d'un état social où chaque individu pourrait épanouir les forces créatrices qui sont en lui et que seules des conditions socio-économiques déterminées, si vous voyez ce que je veux dire, permettent à un petit nombre de développer. Et pas seulement rêver. Le lien entre Art et Utopie, Art et Révolution est manifeste, dans la mesure où l'Art est l'inscription de la liberté humaine dans le domaine de la Nature - ce qui est aller plus loin, évidemment que ne le laisse supposer cette formule kantienne.
Patrick Rödel*
* Du même auteur à paraître aux éditions du Passant Pour solde de tout compte, notes acerbes sur la philosophie française du XXe siècle.