Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°32 [décembre 2000 - janvier 2001]
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Le trou du cul du monde
Le trou du cul du monde est un endroit sinistre. Huntsville. Une prison aux murs de briques rouges. On y exécute à tour de bras, la nuit, les condamnés à mort du Texas. Depuis que le gouverneur de l'État, George W. Bush, est aux affaires, cent quarante-cinq détenus ont été mis à mort dans cette prison. Le gouverneur Bush est un joyeux drille. Il rit plus facilement que son père, l'ancien président des États-Unis. George Bush junior, « W », a fait les quatre cents coups dans sa jeunesse. Il a été arrêté pour conduite en état d'ivresse, ce qui en Amérique, enlève des points dans les sondages. Mais la courbe remonte à chaque exécution.
Depuis 1930, quatre mille quatre cents condamnés à mort, des Noirs surtout, ont été exécutés aux États-Unis par des moyens variés, la pendaison, la chaise électrique, l’injection de poison. Jusqu'aux années trente, la justice était plus expéditive. Le procès n’était pas obligatoire. Surtout dans les Etats du Sud. On allait en foule et en famille, regarder le shérif et ses acolytes brancher un nègre quand l'occasion se présentait. C'était joyeux, il y avait des applaudissements, des plaisanteries, des rires. Des photographes immortalisaient la victime et ses bourreaux. Clic-clac, voilà figés sur la pellicule les hommes, les femmes, les enfants qui s'amusaient à voir tourner les cadavres pendus aux poteaux télégraphiques et aux arbres. A New York, cette année, une exposition a rendu compte de cette barbarie typiquement américaine : la loi du lynch.
Cela ne se fait plus, sauf exception. C'est une tradition perdue. Mais il reste la peine de mort. Personne ne songe à y toucher. Pas Al Gore, en tout cas, le démocrate qui a trop peur des sondages, et sûrement pas le républicain George W. Bush qui s'amuse bien, comme les enfants d'autrefois, au Texas. Parce qu'il a son mot à dire sur les exécutions. C'est lui qui donne le feu vert à Huntsville, le trou du cul du monde. Puis, en bon Américain, il s'en remet à Dieu et à sa miséricorde. Pour l'année 2000, jusqu'au jour de 1'élection présidentielle, il s'est payé la tête de vingt-cinq condamnés. Et en Amérique, il n'est pas besoin d’être coupable pour être exécuté.
Dans l’une des rubriques « Gros bonnets et fortes têtes » de 1919 - L'An premier du siècle, John Dos Passos conte la mort de Joe Hill, un immigré syndicaliste condamné à Salt Lake City, au pays des Mormons. « L'ange Moroni - inspirateur des Mormons - n'aimait pas les syndicalistes, et en cela il partageait les goûts des directeurs du réseau de chemin de fer Southern Pacific, écrivait Dos Passos. L'ange Moroni émut le cœur des Mormons et leur fit comprendre que Joe Hill avait tué l'épicier Morrison... Emprisonné pendant un an, il composa des chansons. En novembre 1915, il se tint le dos au mur de la prison de Salt Lake City. « Ne me pleurez pas, organisez-vous ! », tels furent les derniers mots qu'il fit parvenir à ses camarades. » Don’t mourn, organize !
Devant la prison de Huntsville, au Texas, des gens se réunissent avec des pancartes à chaque exécution et chantent We Shall Overcome, l’hymne des droits civiques des années soixante. Quand Garry Graham a été exécuté à Huntsville, le 22 juin 2000, ses dernières paroles ont été : « Voici ce qui arrive aux hommes noirs, le meurtre sanctionné par l’Etat ! Marche peuple noir, continue à marcher ! Ils sont en train de me tuer ce soir, ils m'assassinent. »
A Huntsville, le trou du cul du monde, George W. Bush est roi.
Depuis 1930, quatre mille quatre cents condamnés à mort, des Noirs surtout, ont été exécutés aux États-Unis par des moyens variés, la pendaison, la chaise électrique, l’injection de poison. Jusqu'aux années trente, la justice était plus expéditive. Le procès n’était pas obligatoire. Surtout dans les Etats du Sud. On allait en foule et en famille, regarder le shérif et ses acolytes brancher un nègre quand l'occasion se présentait. C'était joyeux, il y avait des applaudissements, des plaisanteries, des rires. Des photographes immortalisaient la victime et ses bourreaux. Clic-clac, voilà figés sur la pellicule les hommes, les femmes, les enfants qui s'amusaient à voir tourner les cadavres pendus aux poteaux télégraphiques et aux arbres. A New York, cette année, une exposition a rendu compte de cette barbarie typiquement américaine : la loi du lynch.
Cela ne se fait plus, sauf exception. C'est une tradition perdue. Mais il reste la peine de mort. Personne ne songe à y toucher. Pas Al Gore, en tout cas, le démocrate qui a trop peur des sondages, et sûrement pas le républicain George W. Bush qui s'amuse bien, comme les enfants d'autrefois, au Texas. Parce qu'il a son mot à dire sur les exécutions. C'est lui qui donne le feu vert à Huntsville, le trou du cul du monde. Puis, en bon Américain, il s'en remet à Dieu et à sa miséricorde. Pour l'année 2000, jusqu'au jour de 1'élection présidentielle, il s'est payé la tête de vingt-cinq condamnés. Et en Amérique, il n'est pas besoin d’être coupable pour être exécuté.
Dans l’une des rubriques « Gros bonnets et fortes têtes » de 1919 - L'An premier du siècle, John Dos Passos conte la mort de Joe Hill, un immigré syndicaliste condamné à Salt Lake City, au pays des Mormons. « L'ange Moroni - inspirateur des Mormons - n'aimait pas les syndicalistes, et en cela il partageait les goûts des directeurs du réseau de chemin de fer Southern Pacific, écrivait Dos Passos. L'ange Moroni émut le cœur des Mormons et leur fit comprendre que Joe Hill avait tué l'épicier Morrison... Emprisonné pendant un an, il composa des chansons. En novembre 1915, il se tint le dos au mur de la prison de Salt Lake City. « Ne me pleurez pas, organisez-vous ! », tels furent les derniers mots qu'il fit parvenir à ses camarades. » Don’t mourn, organize !
Devant la prison de Huntsville, au Texas, des gens se réunissent avec des pancartes à chaque exécution et chantent We Shall Overcome, l’hymne des droits civiques des années soixante. Quand Garry Graham a été exécuté à Huntsville, le 22 juin 2000, ses dernières paroles ont été : « Voici ce qui arrive aux hommes noirs, le meurtre sanctionné par l’Etat ! Marche peuple noir, continue à marcher ! Ils sont en train de me tuer ce soir, ils m'assassinent. »
A Huntsville, le trou du cul du monde, George W. Bush est roi.