Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°32 [décembre 2000 - janvier 2001]
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Gabriel Garcia Marquez prend congé
L’écrivain colombien, né en 1928, auteur de Cent ans de Solitude et de l’Automne du patriarche, prix Nobel de littérature en 1982 est en train de mourir. Il a envoyé à ses amis cet ultime, magnifique texte. Une exhortation à vivre et à aimer.
Si, durant un instant, Dieu daignait oublier que je suis une poupée de chiffon et me faisait cadeau d'un bout de vie, il est fort probable que je ne dirais pas tout ce que je pense, mais penserais certainement tout ce que je dis.
J'accorderais de la valeur aux choses, non pour ce qu'elles valent, mais pour ce qu'elles signifient.
Je dormirais peu, rêverais plus ; j'ai compris que pour chaque minute où nous fermons les yeux, nous perdons soixante secondes de lumière.
Je marcherais lorsque les autres s'arrêtent, me réveillerais lorsque les autres dorment.
J'écouterais lorsque les autres parlent et... combien je savourerais une bonne glace au chocolat !
Si Dieu me faisait présent d'un bout de vie, je me vêtirais simplement, m'étalerais à plat ventre au soleil, en laissant non seulement mon corps à découvert, mais aussi mon âme.
Bon Dieu, si j'avais un cœur, j'écrirais ma haine sur la glace et attendrais que le soleil se lève. Dans un rêve de Van Gogh, je peindrais sur les étoiles un poème de Benedetti et une chanson de Serrat serait la sérénade que je dédierais à la lune.
J'arroserais de mes larmes les roses, afin de sentir la douleur de leurs épines et le baiser incarnat de leurs pétales.
Bon Dieu, si j'avais un bout de vie... Je ne laisserais pas un seul jour se terminer sans dire aux gens que je les aime, que je les aime.
Je persuaderais toute femme ou homme qu'ils sont mes préférés et vivrais amoureux de l'amour.
Aux hommes, je prouverais combien ils sont dans l'erreur de penser qu'ils ne tombent plus amoureux en vieillissant, sans savoir qu'ils vieillissent en ne tombant plus amoureux.
A un enfant, je donnerais des ailes, mais ferais en sorte qu'il apprenne tout seul à voler.
Aux anciens, j'apprendrais que la mort ne vient pas avec la vieillesse, mais avec l'oubli.
J'ai appris tellement de choses de vous autres, les humains... J'ai appris que tous veulent vivre sur le sommet de la montagne, sans savoir que l'authentique joie se trouve dans la manière dont on gravit le sentier escarpé.
J'ai appris que lorsqu'un nouveau-né serre avec son petit poing, pour la première fois, le doigt de son père, il l'a attrapé pour toujours.
J'ai appris qu'un homme a le droit de regarder un autre d'en haut seulement lorsqu'il va l'aider à se mettre debout.
Il y a tellement de choses que j'ai pu apprendre de vous autres... Mais en fait, elles ne serviront pas à grande chose, car lorsque l'on devra me ranger dans cette petite valise, malheureusement, je serai mort.