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Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
Rassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°33 [février 2001 - mars 2001]
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La guerre, cet outil puissant


Susan George offre, pour ce numéro

consacré aux guerres, un extrait de son ouvrage, Le rapport Lugano, où elle se met dans la peau de neuf experts, commandités par les puissances économiques et

politiques de la planète. Ils sont chargés de rédiger un rapport destiné à identifier les menaces qui pèsent sur le capitalisme au XXe siècle et à préconiser des solutions. Celles-ci sont à la fois d’une logique

capitaliste implacable - et déjà largement mises en œuvre - et terrifiantes pour

l’humanité… Par ce subterfuge Susan George dénonce avec une grande lucidité la perversion et l’horreur de l’ultra-libéralisme.



Parallèlement aux épidémies et aux famines, les guerres intestines constituent une stratégie de réduction de la population extrêmement prometteuse dans le monde moderne. L'usage d'une force extérieure pour « tuer » devrait être considéré comme l'ultime recours. Aujourd'hui, il est tout à fait exclu d'imiter Gengis Khan, encore plus de l'égaler ; nous ne devrions pas essayer même si nous en avions la possibilité.

Où appliquer cette stratégie ? Certainement pas dans le Nord, ou alors dans des secteurs soigneusement déterminés. Comme de raison, les trois quarts de tous les investissements et l'essentiel des capacités de production de la planète sont concentrés dans les pays riches. Y fomenter des guerres serait contre-productif et exigerait d'engager des ressources politiques et matérielles disproportionnées.

En dépit de situations archaïques exceptionnelles comme en Bosnie et au Kosovo, la perspective d'une guerre entre des États européens ou à l'intérieur de ceux-ci est devenue presque aussi impensable qu'un conflit entre les États-Unis et le Canada. En revanche, la guerre n'est nullement démodée dans le Sud ou dans les républiques islamistes de l'ancienne URSS. Là, elle reste un outil puissant pour « émonder la croissance luxuriante ».

Faire en sorte que ces gens « s'entre-tuent » exige la mise en œuvre d'armes matérielles, mais aussi psychologiques. Nous avons déjà abordé ces dernières, en particulier au niveau de la façon de définir ce que désigne « auto » dans « autodéfense ». La politique identitaire engendre la violence, elle réduit la solidarité vis-à-vis des victimes de cette violence. Celles-ci deviennent foncièrement étrangères, d'une essence différente de vous et moi. La discrimination et l'oppression qui prennent pour cibles des groupes particuliers renforcent cette perte d'identité et devraient, pour cette raison, être discrètement encouragées. Quand on se croit victime, on est conduit à choisir à son tour des souffre-douleur.

On ne devrait pas non plus négliger une force relativement récente et que l'on pourrait baptiser indifféremment les « jeteurs d'huile sur le feu à distance » ou la « diaspora chauvine ». Les populations d'immigrés, en effet, disposent souvent de ressources matérielles plus grandes que leurs anciens compatriotes restés au pays. Leurs membres peuvent aussi nourrir un sentiment de culpabilité, du fait qu'ils ne participent pas aux mouvements nationalistes ou religieux « chez eux », et, en guise de compensation, promouvoir des stratégies extrémistes. Ce phénomène affecte des diasporas qui vont des Juifs et Palestiniens américains aux Croates du Canada, aux Tigres tamouls et aux fondamentalistes islamiques basés en Europe. Ces groupes méritent d'être soutenus tant qu'ils circonscrivent strictement leurs activités à leur patrie d'origine et n'interfèrent pas avec la politique de leur pays d'accueil.

Quels que soient les groupes considérés, sur place ou à l'extérieur, on doit veiller à faire monter les enchères et à faire clairement comprendre que tout le monde ne pourra pas bénéficier de telle ou telle ressource, de tel ou tel projet, de tel ou tel investissement. Dans le monde pauvre, où seront mises en œuvre la plupart des stratégies recommandées, on pourra tirer un excellent parti de la poursuite du « développement » et des projets supposés le permettre.

Les personnes déplacées lors de la construction de grands barrages, ou privées de leurs ressources par l'érosion commerciale ou écologique, ainsi poussées au désespoir, font d'excellentes recrues pour les dirigeants fondamentalistes, nationalistes ou religieux. Une fois qu'elles ont découvert et forgé leur « identité », ce qui les sépare du reste du monde, on peut les opposer à d'autres groupes.

Une grande partie de la population rurale, dans ces cas-là, finit par se retrouver dans les bidonvilles périurbains. La surpopulation, avec les extrêmes de promiscuité qu'elle engendre, est une source supplémentaire de querelles. En termes de conflit (mais aussi de famine et de maladie, comme nous allons l'examiner d'ici peu), des conditions prometteuses existent dans de nombreuses grandes villes du Tiers Monde, susceptibles de les transformer en autant de Beyrouth, d'Alger ou de Colombo, sur fond d'affrontements ethniques ou religieux.

La surpopulation a également joué un rôle prépondérant dans le cadre rural du conflit Hutus-Tutsis du Rwanda, conflit que l'on peut partiellement expliquer en termes de guerre de ressources. Comme le déclarait le ministre rwandais de l'Agriculture de l'époque, en 1991, c'est-à-dire bien avant que les tensions aient débouché sur les massacres que l'on sait : « Nous connaissons une forte pression démographique et une productivité agricole en baisse, due à l'érosion des sols. [...] Nous pouvons produire assez de denrées alimentaires pour nourrir 5 millions d'habitants, mais nous en avons 7,3 millions... » La solution de ce problème élémentaire d’arithmétique ne tarda pas à être trouvée.

Bien que les recherches montrent que fomenter une guerre est une entreprise complexe, aucune guerre n'ayant jamais une cause unique, on peut cependant identifier des éléments qui les favorisent nettement. L'Institut de recherches pour la paix d'Oslo (IRPO), qui recense les conflits, a montré

que les années quatre-vingt-dix avaient connu nombre de conflits armés (98 entre janvier 1990 et décembre 1996) et qu'il s'agissait avant tout de guerres civiles, et non pas de guerres entre États. D'après l'IRPO, toutes se caractérisent par un certain nombre d'éléments :

- Elles se produisent principalement dans les pays pauvres, où l'agriculture est encore la principale contribution au PIB.

- Les facteurs d'environnement les plus fréquemment associés aux conflits civils sont « la dégradation des terres arables [...] le manque d'eau douce disponible per capita et une forte densité de population », dans cet ordre.

- Les régimes les plus enclins à faire la guerre sont, statistiquement, les «gouvernements semi-démocratiques».

- Une corrélation particulièrement forte existe entre une dette extérieure très lourde et le déclenchement des guerres civiles.

- « Une chute des revenus provenant de l'exportation des matières premières est toujours étroitement associée au déclenchement d'une guerre civile » (c'est l'IRPO qui souligne).

- Les vigoureuses interventions du FMI, si on en fait l'historique, présentent également un lien positif avec toutes les formes de conflits, politiques ou armés. « Le nombre des plans d'ajustement imposés par le FMI et des conditions draconiennes sont cruciaux pour que se produisent des protestations politiques et des conflits civils. »

Ces facteurs de causalité, opérant en synergie, sont faits sur mesure pour servir nos objectifs. La dette continue de s'alourdir. Le prix des matières premières continue de baisser, puisque les produits exportables de nombreux pays tombent dans une même et étroite catégorie, ce qui provoque la pléthore sur les marchés mondiaux. Le pouvoir d'achat engendré par les matières premières est en chute libre ; actuellement, avec les revenus de ses exportations, l'Afrique peut acheter seulement 40 % de ce qu'elle pouvait se procurer en 1980 sur les marchés étrangers. Les exportateurs de pétrole constituent une cible particulièrement intéressante, car pour la plupart ils sont dans l'impossibilité de diversifier leurs exportations. Nous recommandons de faire baisser le prix du pétrole dans toute la mesure du possible.

Une dette qui gonfle et des prix qui baissent entraînent un défaut de paiement partiel ou total, lequel conduit le FMI à imposer des conditions encore plus sévères. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, les conflits devraient également s'intensifier. L'Asie du Sud-Est, prise fermement dans les griffes du FMI, prouve que même les anciens « tigres » ne sont pas à l'abri de telles mésaventures. Le niveau élevé de leur dette et la densité de leur population en font de bons candidats pour de vigoureuses Stratégie de Réduction de la Population (SRP).

L'Indonésie, par exemple, est le quatrième pays du monde par sa population ; pendant des dizaines d'années, elle s'est efforcée de gérer l'ingérable - son boom démographique - par le biais d'un programme, le Transmigrasi, qui consistait à envoyer quantité de ses ressortissants peupler les îles extérieures. Obligée de se plier aux exigences du FMI, l'Indonésie ne pourra plus financer ce programme, ni la corruption à grande échelle qui permet de graisser tant de pattes et de roues. Il s'agit du même pays qui, en 1965, a massacré un demi-million de personnes dans des pogroms anticommunistes, ce qui constitue un précédent intéressant.

Dans d'autres pays surpeuplés et pauvres, le syndrome du surendettement joint à des conditions draconiennes, présent depuis longtemps, a exacerbé les haines de classe et les divisions ethniques. Ces pays ne contribuant que très peu ou pas du tout au bien-être mondial, c'est précisément dans ceux-ci qu'il faut « émonder la croissance luxuriante ».

Les institutions qui conçoivent les programmes d'ajustement protestent souvent, mais du bout des lèvres, de leur attachement aux idéaux de la démocratie, bien que celle-ci soit largement incompatible avec les conditions imposées par ces mêmes institutions. L'IRPO parle avec circonspection de régimes « semi-démocratiques » comme étant caractéristiques des situations conflictuelles. Les gouvernements des pays pauvres sont obligés d'accepter la dérégulation de leurs marchés et de s'ouvrir à la concurrence mondiale, tout en essayant en même temps de garder le contrôle de populations mécontentes. Comme le niveau de vie de la majorité se dégrade constamment, ces gouvernements courent le risque d'être renversés par la violence (sans même parler de la sanction des urnes). Ils se trouvent donc pris dans une triple contradiction : être démocratiques, appliquer les conditions sévères imposées, et rester au pouvoir. Ce paradoxe est peut-être ce qui explique la corrélation relevée par l'IRPO entre les régimes semi-démocratiques et la guerre civile.

Dans le cadre de nos objectifs, il faut convaincre les gouvernements, de gré ou de force, de s'attaquer sérieusement à la question du contrôle de la population par des méthodes pouvant aller jusqu'à l'élimination de leurs criminels et de leurs éléments antisociaux, mais aussi par des incitations à la stérilisation et à la contraception (ce point sera abordé plus loin). Tant que ces fonctions sont assurées par les autorités locales, rien n'exige ou ne justifie des interventions extérieures directes.

La stratégie curative de la guerre peut-elle être appliquée sans que la politique y fasse obstacle ? Des gouvernements du Nord interventionnistes ou des mouvements « humanitaires » ne chercheront-ils pas à s'y opposer ? De telles interférences devront sans doute être parfois prises en compte, mais, dans l'ensemble, on peut remarquer que les conflits engendrés par des haines et rivalités ethniques, régionales, ou même d'origine écologique, ne provoquent plus guère de sympathie dans le Nord.

L'ère des fortes oppositions politiques et des grands fronts de solidarité, tels qu'ils se sont développés à propos du Viêt-nam, du Chili, du Nicaragua ou de l'Afrique du Sud - cette ère-là est terminée. Lorsqu'il sera question des batailles contemporaines conduites par les pauvres, avec leurs stratégies politiques confuses et leurs massacres en apparence aveugles, il faudra toujours laisser sous-entendre que cela se passe chez des barbares et des sauvages, que le monde civilisé considère ces conflits comme pitoyables, infantiles et insolubles. La cohésion de l'Occident en sortira renforcée, ce qui est un avantage supplémentaire.

La réaction du monde civilisé aux conflits des pays du Sud n'en devrait pas moins se centrer sur les missions humanitaires. Si une telle proposition peut paraître en contradiction avec notre objectif final, n'oublions pas que sauver 50 personnes, de préférence en présence de caméras, peut constituer un rideau de fumée bien pratique pour en éliminer 50 000. Ces missions renforcent non seulement l'image des victimes comme étant incurablement faibles et incapables de résoudre leurs problèmes, mais aussi celle de leur pays en tant que cible légitime de ces missions (on n'imagine pas des missions humanitaires étrangères venant au secours des États-Unis ou de l'Allemagne).

Peut-être pourra-t-on aussi, dans l'avenir, persuader les organisations humanitaires de prendre elles-mêmes en main des programmes de contrôle des naissances, de stérilisation et d'avortement - pour le bien des gens, cela va de soi. Il faut remplacer une éthique de la solidarité par une éthique de l'urgence. L'apitoiement postcolonial pour les déshérités et la compassion pour les affligés dans le style de mère Teresa ont fini par supplanter les démarches politiques, de quelque tendance qu'elles soient. Symboliquement, les malheureux occupent le même plan existentiel que les enfants et les retardés mentaux. Cependant, personne ne peut s'opposer à l'aide humanitaire sans risquer d'apparaître comme étant dépourvu de tout sentiment humain. Nous recommandons donc qu'elle soit renforcée.

Les populations qui feront l'objet de SRP devront s'auto-sélectionner et se mesurer les unes aux autres. Cela suppose qu'elles auront les moyens matériels de le faire. Les Hutus se sont débrouillés avec des machettes, mais l'élimination à la main est une procédure inefficace et gaspilleuse d'énergie. Il faudra donc rendre plus accessibles des moyens matériels plus sophistiqués.

Une étude superficielle des chiffres laisse à penser que les transferts d'armes vers le Tiers Monde, en valeur, auraient fortement baissé depuis 1989 ; les statistiques officielles enregistrent en effet une chute de plus de 40 % en dollars constants au cours des années quatre-vingt-dix. Chiffres trompeurs. Le déclin en volume financier ne signifie pas que les conflits des pays du Sud vont diminuer de manière significative, bien au contraire. Depuis la fin de la guerre froide, les achats d'armes des pays du Tiers Monde, à en croire des sources officielles comme non officielles, reflètent trois réalités :

- La nécessité, pour nombre de gouvernements mal en point du Tiers Monde, d'améliorer la sécurité interne et leurs capacités de lutter contre les insurrections. Au lieu d'équipements lourds pour mener des guerres extérieures - tanks ou avions de combat - ils se procurent des armes moins coûteuses pour l'infanterie, des hélicoptères et du matériel anti-émeute qu'ils utilisent pour contenir l'agitation de plus en plus grande de leur propre population.

- Les nouvelles capacités productives de fournisseurs d'armes plus petits, non traditionnels, moins chers, qui ont bénéficié de transferts de technologie par le passé. De nombreux belligérants, même s'ils sont sous le coup d'un embargo officiel, peuvent à présent satisfaire leurs besoins en matériel militaire en s'adressant à des sources bien plus proches d'eux.

- Une montée spectaculaire du marché noir de l'armement et une baisse tout aussi spectaculaire des prix : on peut se procurer un fusil AK-47 (100 dollars il y a quelques années) pour 30 à 40 dollars dans la Russie d'aujourd'hui, ou pour 8 à 10 dollars au Cambodge. Les prix du marché noir étaient autrefois beaucoup plus élevés que ceux du marché légal, mais ce n'est plus le cas. Et les acheteurs de ces armes n'ont plus à payer des primes exorbitantes pour garder l'anonymat.

Pendant la guerre froide, la plupart des systèmes d'armes étaient des objets volumineux et chers que l'on stockait. Contrastant singulièrement avec les procédures du Pentagone ou des militaires soviétiques d'autrefois, les acheteurs d'armes actuels se procurent des articles plus légers et moins sophistiqués, et les utilisent immédiatement. Les États-Unis demeurent le principal fournisseur de matériels de guerre lourds ou légers et ont été le grand gagnant de la guerre froide commerciale. Pour des quantités relativement réduites, le marché américain de l'occasion reste le préféré, d'autant que le territoire des États-Unis abrite des centaines de fabricants d'armes légaux, sans parler des importateurs ni des 285 000 détaillants agréés. Plus de 500 millions d'armes de petit calibre de tout genre sont en circulation sur la planète, dont plus de la moitié dans les seuls États-Unis. La Russie a tout perdu sur ce marché, Au cours de la décennie écoulée, les commandes en provenance du Tiers Monde y ont chuté de 80 %.

Pour faire des économies d'échelle, de nombreux fabricants d'armes, dans les autres pays, ont procédé à des fusions, rachetant des concurrents ou lançant des joint-ventures, ou encore scellant des alliances stratégiques pour transférer la technologie militaire. Les principaux bénéficiaires de cette tendance sont les Balkans, le sous-continent indien et l'Asie centrale, outre le Moyen-Orient, déjà bien armé.

En dépit d'une tendance au « dégraissage » des armureries, nombre de nations du Tiers Monde se procurent non seulement des armes légères, mais aussi des armes de destruction massive. Les services de renseignements américains soupçonnent à l'heure actuelle qu'au moins dix pays possèdent des armes biologiques, en dépit de leur interdiction théorique par la Convention sur les armes biologiques et bactériennes. Tout pays qui compte des biotechniciens bien formés, des usines de fermentation commerciale et une industrie pharmaceutique, ou même assez de compétence pour faire fonctionner une usine de médicaments fournie par l'étranger, est parfaitement en mesure de produire des armes biologiques. De telles armes n'ont même pas besoin d'être stockées : elles peuvent être produites rapidement et à bas prix, à la demande, dans de petites usines. Les systèmes de mise en œuvre vont du plus sophistiqué au plus rudimentaire (en particulier dans le cas de terroristes prêts à faire le sacrifice de leur vie).

Dans le marché clandestin des armes légères conventionnelles, une véritable caste de professionnels émerge ; ce sont des trafiquants virtuoses, experts dans l'art de dissimuler les cargaisons, concevant des routages compliqués, contrefaisant des documents officiels et blanchissant de l'argent. Pour le trafic de quantités plus importantes, les grands marchés se trouvent notamment à Bangkok, à Peshawar, en Turquie et dans plusieurs anciennes républiques soviétiques.

Les autorités, dans les pays développés comme dans les autres, semblent à la fois peu désireuses et incapables de mettre un terme à ce trafic lucratif. L'ONU, ce qui ne surprendra guère, n'est pas allée plus loin que l'établissement d'une « déclaration volontaire » (et tout à fait inoffensive) concernant les transferts d'armes conventionnelles. Rien ne peut réellement empêcher des gouvernements, des groupes dissidents et des mafias criminelles de prendre en main les affaires militaires, s'ils le décident. Bien que le commerce des armes ait pu connaître quelques délocalisations, nous sommes d'accord avec l'expert qui déclare qu'il « continuera de très bien se porter au cours des années à venir, sans rencontrer d'obstacles importants à son développement et à sa croissance ».

Les choses étant ce qu'elles sont, le mieux est de laisser la nature suivre son cours, tout en donnant un coup de main discret aux fournitures d'armes et en accordant une aide financière au démarrage de telles opérations, ici et là. Les armes, qu'elles soient sophistiquées ou rudimentaires, se répandent dans les pays moins développés, ce qui est une bonne chose tant qu'ils les tournent les uns contre les autres.



En dépit de leur propension à s'entre-tuer, les barbares ne nous feront pas la courtoisie de s'occuper seuls de nous rendre ce service, et sûrement pas au degré requis. Qui plus est, ils pourraient nous causer les plus grands torts. Ils nourriront de fortes haines contre la civilisation occidentale, seront mieux organisés que par le passé et pourvus des juteux bénéfices de leurs multiples activités criminelles.

De temps en temps, les puissances occidentales se verront contraintes d'intervenir dans leurs affaires, notion à laquelle il faudra habituer l'opinion occidentale.

* Politologue, présidente de l’Observatoire de la mondialisation et vice-présidente de l’association ATTAC. Elle est l’auteur de nombreux ouvrages, dont Le rapport Lugano (Ed. Fayard, 362 p, 120 F).
Site http://www.tni.org/george
(1) Vous pouvez retrouver ces artistes ainsi que leur œuvre à l’exposition collective Bruit de fond jusqu’au 19 février au centre national de la photographie (Paris).
Renseignements au 01 53 76 12 32.

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