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Sortie du DVD de Notre Monde

Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
Rassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°33 [février 2001 - mars 2001]
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Le journal de Mickey

Métaphysique et proliférateur (l’air de rien et de pas grand chose) : séquelles…
Mardi, 00 h 34 :



J’ai décidé de reprendre mon journal de bord. Hier soir. Tout d’un coup. Comme ça. Suite à une série d’intimes polémiques avec moi-même. Au cas où je chavirerais, lors d’une ultime tempête du siècle….

Toujours mes problèmes d’oreilles… Question queue, ça va ; tranquille. Personne n’tire vraiment dessus… Relâche. Calme plat. Encalminé complet. Mer des Sargasses. La méchante anguille, l’œil fixe et quelque peu absent, froufroute dans les grands fonds. Va t’saisir de la vilaine visqueuse, même avec tes deux mains !

Ghislaine est endormie sur le coté ; dans sa combinaison-pyjama spéciale grand froid. Aucun chauffage dans la chambre : ça devrait favoriser le rapprochement…

Elle ronchonne doucement. Son ronflement humide, bulleux, me titille le tympan droit. De temps à autre son gros orteil me malaxe le tibia.

Les oreilles… Je me suis dit, comme ça : tu les as grandes, voire grandioses, Mickey ; des antennes en soi… Un destin… Alors remets-toi à l’écoute du vaste monde.

je capte donc, large : télé, radio, Internet, revues, conversations, réclames, jingles ; bruits divers, portables, dans les grandes surfaces…

Tiens, par exemple : conversation entrentendue à Carrefour Bègles :

- Mes parents viennent souvent me rendre visite à bordeaux le week-end… Ils descendent toujours dans un trois étoiles. Ne crois pas : pas cher du tout ! Une opportunité ! T’as pris du Nutella ? Je meurs sans Nutella…

- Combien le trois étoiles ?..

- Deux cent quarante… Quarante Euros… Grosso modo…

- Ce n’est pas un trois étoiles, alors… Deux, peut être…

- Pourtant… Deux, ça m’paraît peu... Vu le confort… Canal plus et T.B.S… T’as peut-être raison… Bah ! ça change rien : tous les hôtels sont vides à Bordeaux, le week-end ; c’est pour ça… Une véritable opportunité ! Tu vois l’économie !

- En parlant d’opportunité et d’économie… Pas mal le prof de stats ? Non ?.. Du charme, disponible dans le contact…

- Alors, là, moi, il me laisse froide, même disponible… De glace ! Je n’aime pas les blonds pâles ! Et puis ses petites lunettes sont ridicules… A la limite une valeur de repli…

- Zut de zut !.. On allait oublier le Nutella ! « C’est du bonheur au quotidien ». Prends la queue… Du coté de Karine… Dès que tu l’auras trouvée… Deux chances plutôt qu’une ! La caissière, ici, look la tronche, n’a pas l’air very dégourdie…



Mercredi 19 h 00 :



Je suis sur Internet : un site sur les élections américaines… Ils ont collecté des propos de Bush (Putain de bonsoir ! Avec un nom pareil, il aurait fait un malheur chez les kangourous et les crapauds géants de la canne à sucre !) :

- « Bienvenue à ma femme et à mes copains astronautes… »

Une autre :

- « je pense que nous sommes engagés de manière irréversible à vivre dans un monde de plus en plus libre et démocratique – mais, gaffe, ça pourrait bien changer d’un jour à l’autre… »

Tout à l’avenant… « Bruce Bush »… «Chéri Bi.Bi.» Le candidat idéal pour le Queensland australien ou l’Antarctique…

De toute façon, le politique et ses candidats, c’est le cadet des soucis en économie libérale… Con, malin, psychotique… Tu peux tout te permettre : « no change whatsoever… ». Désormais, la politique se limite à une sorte de concept abstrait et efféminé de gauche… « Rawhide !. Yipee yeah ! »

Je pousse un tantinet, mais c’est la réalité : une politique de droite, mon général, maintient le statu quo : maximum Few happy for minimum Happy few (difficile à traduire, c’est pour ça qu’en France les gens n’ont pas l’air de comprendre)… Largement suffisant.

Elle (la politique de droite ; à ne pas confondre, bien entendu, avec une politique de gauche…) maintient ouvert le marché. Rien à branler du reste. Elle n’a pas besoin de grandes actions collectives, de projets innovants… Quelques violences, deux, trois propositions démagogiques, tout le monde content : « Moins d’impôts ! Moins d’impôts ! Oh ! Oh ! On retourne au boulot ! »

Beaucoup plus fastoche quand tu portes à droite… ça demande moins d’explications… On sait pourquoi tu es là : ça tracasse moins…



Jeudi 23 h 00 :



« Heaven… I’m in heaven… » Ghislaine m’a refilé au Coca Light, et, tenez-vous bien : décaféiné !.. « Tu bois trop, gros con ! »... Elle était colère… Vraiment.

En fait, elle croit qu’il suffirait que j’arrête de boire pour tourner génial, efficace… La méprise est intense. Pas mauvais, mauvais, le Coke… J’m’sens curieux, diaphane, comme un camé tout envapé, voilà tout… Je saisis mieux l’irréfragable soif d’aujourd’hui de Paco Ignacio Taïbo II pour cette boisson sombre et gazeuse… Le goût sucré, aluminé, pétillant ; les palpitations speedantes, après la cinquième boîte d’affilée… Un peu comme le vin blanc sec… T’as la patate qui tubercule… Les rhizomes qui pullulent… Tu pisses grosse joie… Neutralisation bienveillante…

Charmante impression de figurer dans un épisode de « Ally Mc Beal », pour tout dire… Sommmewheere, over the rainbow !.. En effet, moi, c’est pas Al Green, plutôt Judy Garland… Dans « A star is born » (pour les cinéphiles)…

Caramba ! Gringitos, todos vamos por el Coca, et viva Mexico !

Cocazapatons-nous !..



Vendredi 14 h 00 :



« Mort aux vaches folles ! » J’en deviens bleu-blanc brillant comme un lavabo trop entretenu… J‘ai la tremblote ! Les chocottes ! Je me souviens des mimiques de stupeur quand je disais, adolescent, à tous les bouts de champ de mes visions : « Vous êtes tous fous comme des vaches ! »…

D’où extrayais-je (Ah ! Ah !) cette métaphore ?.. Aurais-je eu une sorte de prémonition dès les années soixante ? Alors que je ne m’intéressais réellement qu’à Eddie Cochran ?.. Palsambleu ! Va savoir, Charles !

Elles m’ont toujours paru folles, un peu fixettes, ces fainéasses de vaches avec leur manie de contempler, à longueur de pré, les locomotives qui passent, avec ou sans wagons plombés accrochés au tender…

Allumées à l’herbe et aux ding-a-lings de leurs clochettes.

Hare Krishna !

Enfant, je me foutais donc le doigt dans l’œil jusqu’à la clavicule, si l’on en croit le dévoilement général actuel… Putain, j’pensais pas une seconde, en ce temps là, qu’elles finissaient (les vaches !) barbaques de boucherie ou boîtes de corned beef… Je les pensais toutes dédiées à l’allaitement général ! Et puis qu’après, elles transitaient dans une étable de retraite avant de parcourir des champs élysées ou de s’élancer, gambadant, joyeuses, dans quelque Wallalah bouseux !

Malheureux que j‘étais ! Soleil rouge ! Vert ! Elles finissaient au désossage ! Le merlin désenchanteur et même carrément moqueur !

…Faisais pas le rapport… A mon bas niveau d’entendement, la confusion de genre venait du bœuf, de sa bidoche cartographiée que l’on était bien obligé, en cette époque de vaches maigres, de suivre, continent, l’autre : « c’est pas moi, monsieur ! ».

J’ai voyagé ainsi : à hauteur de ban, de pointe à l’os en aloyau, les yeux posés sur les rebords des étals… De volumineux morceaux de bidoche…

« Pas touche, Mickey ! » disait mémé… Et on finissait avec du haché… L’ordinaire de l’ordinaire, soit dit en passant… ça et une grosse miche de Brignolet… Le hamburger du maque Mollet and co, qui tenait alors son petit commerce de la SF.I.O…

Arrivé survivant en fin de période de lactescence, essentiellement benêt, urbain, j’m’disais en moi-même : tu vas voir qu’il y a d’la justice, pourtant… Vive De Gaulle ! Qu’ils ne tuent que les gros cons, les mâles castrats… Un peu beiges clairs autour des yeux langoureux, quoique vides… Une espèce de dégénérés ; de collaborateurs ; juste bons à rouler les mécaniques devant des charrettes, à finir découpés chez Maurice, notre boucher… (A part quelques morceaux épars, j’en avais aperçu deux bien entiers, d’un bord de route, spécialistes de la gonflette, tirant un lourd tombereau grinçant… Par hasard, comme ça : un dimanche de prise d’air… Entre deux jurons de mon père qui nettoyait le carburateur de la berline familiale en panne : une 4 cv Renault repeinte à la main (je mets quelques détails : ça ajoute de la vie…).

Je me sentais ainsi à l’abri du massacre de premier choix, émerveillé par mes érections naissantes… Je jouais avec mes précieuses billes, un peu fol enfant, et obsédais sur des petites voisines, quelque peu « vachardes » et retorses : leurs poitrines pointaient, justes, prometteuses… Quant au reste, cela demeurait abscons, impensable : clos pertuis, sans doute recouvert de broussaille, légèrement flou, comme sur les photos de Paris-Hollywood, une revue « osée » de l’époque…

« La demi-deuil mi-molette » (dirait Arno Schmidt, mon écrivain germain), la Prim’holstein, je crois qu’on l’appelle ainsi (La blanche et noire, quoi !), m’a toujours semblé louche ; pour tout dire légèrement travelo et strabiquette, avec ses faux cils ; une star du muet…

Ma vision virale, prolifératrice, « Mittel Europa », et cinémascoopique, mettait de la couleur, de l’intrigue et des grands espaces là où il n’en y avait pas encore ; façon « Ferdiduke » de G (Pas de publicité !)… Ouest terne… Ah, l’imaginaire des pauvres ! La lutte contre la grisaille et les angoisses étriquées de poltron-minette…

Des vaches, par la suite, ah, ça j’en ai rencontrées ! Pour sûr, Bill ! En grands troupeaux ; dans les commissariats, les manifs, les comices agricoles… Masses et mandrins…

Plus tard, parvenu en fin d’adolescence, j’espérais entamer quelque peu la vache multicolore dénoncée par Frédéric Guillaume N (là, encore, je refuse de faire le jeu de quelque dangereux challenger, serait-il issu du passé)… Sans succès… Ne pas insister : ça peut finir par vous rendre chèvre… Vous vous mettez à sauver les chevaux de trait, braillant comme un âne, grimaçant comme un singe…

Chez Milka, incorporated, (maybe Nestlé enterprises ?), un jour plus neolibéral que les autres, ils ont fini par passer au bioacte : la vache est devenue blanche, violette, presque étouffée par son collier étrangleur et les termes néotènes de son contrat ; tout ceci pour dépeindre du chocolat et nous le carrer façon new wave…

Une grosse plaque de vache violacée et pervertie, dans du papier d’argent…

C’est sûr : on nous a roulés dans la farine animale et nous nous envoyons maintenant de tout et de toutes les couleurs… Braves agriculteurs.

Bové, Bové ?.. Si j’osais : ça viendrait pas du latin bos, bovis ? Le bœuf ? Et Kreutzer und Jacob ?.. S’raient pas un petit peu sémites, style Juifs et Allemands, surtout le dernier ? Et les Anglais ?.. Ne dit-on pas, en parlant d’eux : les « rosbifs » ?..

Des fois, les abréviations me font rêver : encéphalopathie bovine spongiforme… E.B.S (very near to A.B.S…) après les G.T.S, X ou I… J’imagine le cerveau se transformant en gratounett’… Un coté éponge ; l’autre limaille… Va, va boum !

Le « shakin’all over » qui doit s’en suivre !.. La somptueuse rave partouse neuronale !

Un copain m’a confié (il l’a su par un scientifique de renom) : il y aura des milliers de morts… Mais tu verras, éventuel lecteur patient : ils diront simplement que les gens ont attrapé une très, très mauvaise grippe ibérique ; comme en 17 ; à cause de la météo qui n’est pas très bonne ou d’el Niño, tout ça, tout ça…

J’ai eu un copain joyeux, dans une autre vie, qui disait : « Quand t’enterres un cadavre, tu fais un trou, ducon ! Tu fais respirer la terre ! ». Un écolo dans son genre !



Samedi 15 h 00 :



Propos volés devant une boutique Télécom… Deux types discutent autour d’un téléphone portable qui n’arrête pas de sonner, façon « lettre à Elise » interprétée par J.J. Cale :

- Ah, ça, ça repart pour moi ! Plein pot ! Je suis entré dans ce que tu pourrais appeler une start-up… Allo, oui ?.. Internet and com, tu vois l’affaire ?.. En C.D.D… Struggle for life ! Pas d’la tarte… Passionnant, d’accord ! Soixante heures de job, mini… Allo, oui ?.. Le dimanche au lit, devant la télé ou Internet pour ne pas perdre le plug-in, tout ça après une semaine acharnée de computer… Cachetons, café, tequila : je vais y laisser la peau… Ma cop’, du coup, m’a lâché… Allo, oui ?.. Et faut pas compter sur quoi que ce soit de syndical… Tu trembles au mot « créativité » ! T’attends le coup de dague dans le dos… Et là, pas de « vie » supplémentaire… Autrement stock options et la clé de la voiture de fonction, style Béhème, mon vieux… Airbags de tous côtés ! Allo, oui ?.. Déjà le tutoiement réciproque de Richard le boss !.. L’avenir vibre et miroite ! Tu connais pire ?.. Allo, oui ?..

- Travailleur social à Lagos, Nigeria !.. Ou bien militant communiste en Indonésie ! Waaazaaa !



Dimanche 23 h 00 :



Faut qu’j’arrête le Coca light ! De suite ! Hier soir, à Carrefour, j’ai manqué m’acheter un sweat’ blanquignousse avec un petit Mickey dessus !

Je vais me remettre d’ici peu à la bière… La mousse me va mieux… Faut bien s’nourrir de quelque chose…

Paraît que la terre se réchauffe… Chaud, froid… Tiens, j’te fais le pari que si le Yellowstone déclenche (un volcan hénaurme !) nous allons tourner pâles sous les cendres… Une nouvelle époque glaciaire ; le retour de la neige… Pneumonie à tous les étages ! ça vous relativise l’angoisse…

Pour finir, un aphorisme d’Alphonse Allais chipé sur internet : « L’argent se révèle très utile pour supporter la pauvreté ».

Et puis, à la tienne, Etienne, je ne résiste pas à cette autre de Francis Blanche : « Si vous n’aimez pas les cercueils, commandez de la bière ! ».

Voilà bien des gens de tradition !.. Des lutteurs, des résistants…

To be continued…


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