Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°33 [février 2001 - mars 2001]
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Sans-papiers
Acte I
Il était une fois 34 écrivains qui inventèrent de réaliser un livre1 sur la situation de personnes à qui l'on refuse une existence légale dans notre pays.
Aucun n'avait pu lire ces phrases d'Edward Bond car elles n’étaient pas encore publiées : « Le problème est « notre humanité ». On ne peut jamais dire d'un chien que son comportement n'est pas celui d'un chien. Mais nous disons souvent qu'un comportement humain est inhumain. Ce n'est pas rhétorique, mais analytique. Nous créons notre humanité ou notre inhumanité. La raison ne fait pas de nous des humains. La limite de la philosophie des Lumières est que la raison peut servir la corruption. Nous sommes humains parce que nous sommes conscients de nous-mêmes. Sans imagination, on ne peut être conscient de soi. Les deux sont un. Sans l'imagination, nous serions enfermés dans le présent, incapables de réfléchir. L'imagination est à l'origine de l'humanité ».2
Depuis les Romantiques, le statut de l'imagination, de l'imaginaire (non pas ce qui est virtuel ou non réel, mais ce qui a, dit Lacan, rapport à l'image de soi) participe de la connaissance. « La littérature n'est pas une simple tromperie, elle est le dangereux pouvoir d'aller vers ce qui est, par l'infinie multiplicité de l'imaginaire » assure Maurice Blanchot3.
Dans la suite, une autre idée fondamentale s'est affirmée, la réalité ne peut être envisagée en dehors de sa représentation. Par exemple, la réalité des sans-papiers, de ceux qu'on appelle les sans-papiers… De la sorte, c'est bien parce ces auteurs ont pensé que la représentation des choses importait autant que les choses elles-mêmes qu'ils croient en la force de la littérature pour soutenir et témoigner de l'humanité des sans-papiers. Pour rendre aux sans-papiers toute la véracité de leur dignité. De leur intégrité.
Acte II
L'histoire montre que les migrations humaines sont constitutives des civilisations. Mais force est de constater que la vision du migrant, dans nos temps de marchandisation à outrance, est circonscrite à sa dimension économique. Ecoutons, par exemple, Roselyne Bachelot, députée RPR : « Il faudrait avoir le courage ou le cynisme de dire que nous allons nous livrer à une démarche néocolonialiste de grande envergure pour assurer la survie de nos sociétés postindustrielles vieillissantes. Après avoir pillé le tiers-monde de ses matières premières, nous nous apprêtons à le piller de ce qui sera la grande source de richesses du troisième millénaire : l’intelligence »4.
Ecoutons également le commissaire européen Antonio Vitorino appelant les pays membres à reconnaître que « la politique immigration zéro des vingt-cinq dernières années n'est plus opérationnelle » et invitant à mener une politique plus ouverte afin de répondre aux besoins de main-d'œuvre. Ou bien Alain Juppé déclarant qu'il faudra des travailleurs immigrés à l'avenir.
Mais aussi Denis Gautier-Sauvaignac, délégué général de l'Union des industries métallurgiques et minières et président de l'Unedic, qui indiquait au quotidien Le Monde du 6 janvier 2000 : « Compte tenu du choc démographique en 2005, il ne serait pas absurde d'inverser les flux migratoires ». Sans oublier le rapport de la division de la population des Nations Unies qui affirme que l'Europe aurait besoin de centaines de millions d'immigrants pour les cinquante années à venir. « Combattue pour des raisons politiques, l'immigration serait-elle défendue pour des raisons économiques ? » demandait, par sa part, Le Figaro économie du mois d’août dernier, pour qui la question « n’est plus taboue ». Eu égard à la planétarisation de nos conditions d’existence n’est-il pas urgent de faire vivre l’article de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme stipulant l’importance du droit de circulation comme fondement et concrétisation du droit d’être, de vivre, de produire et de créer, dans l’échange et la liberté ?
Et que dire de la construction d’une alternative populaire au capitalisme mondialisé qui oublierait les premières victimes de ce dernier ?
C’est pourquoi, « écrivains, artistes, intellectuels mais avant tout citoyens, nous avons choisi de lancer un appel aux autorités de la République afin qu’elles abolissent les lois Pasqua-Debré conformément à leur promesse électorale et régularisent les sans-papiers.
Ne doit-on pas trouver l’exercice de la solidarité et de la démocratie au centre même de l’activité politique ? Or nous constatons qu’il n’en est rien. Pourtant, le mouvement des sans-papiers est arrivé, depuis longtemps déjà, à une pleine maturité politique. Il faut avoir le courage de le reconnaître, ne serait-ce que pour l’idée que nous nous faisons d’une France généreuse et enfin débarrassée de tous fantasmes xénophobes. A l’image d’autres nations Européennes, la France n’aurait-elle pas les moyens d’agir dans le sens d’une Europe où le mépris, le rejet, l’exclusion et l’exploitation de l’autre ne soient pas choses normales ou normatives ? En outre, par sa nature humaine et légaliste, loin de remettre en cause les lois de la République, la régularisation des sans-papiers nous paraît, au contraire, régénérer et fortifier l’idée de la légalité telle qu’elle s’exprime aux frontons de nos mairies : Liberté, Egalité, Fra-ternité. »5
La réalité confirme amplement, semble-t-il, le bien-fondé ainsi que la teneur de cet appel. A commencer par les divers rapports officiels, nationaux ou européens qui préconisent la relance de la migration économique. Mais il paraît également manifeste que notre système démocratique a besoin, pour fonctionner et surtout se développer, de l’apport et de la participation de toutes les composantes de la population de notre pays.
La première étude sur le devenir des étrangers en situation irrégulière qui ont obtenu des papiers en 1997 a été remise au Garde des Sceaux. L’un d’eux témoigne : « Quand j’ai eu des papiers début 1998, j’ai failli pleurer. Toute la honte était partie. J’étais comme un bébé qui vient de naître. Et je pouvais épouser ma femme la tête haute. Cet été, je suis parti voir mes parents pour la première fois depuis quinze ans ! »
Souvenons-nous de ce que dit Edward Bond : « Le problème est notre humanité ».
Acte III
A vous de jouer !
Il était une fois 34 écrivains qui inventèrent de réaliser un livre1 sur la situation de personnes à qui l'on refuse une existence légale dans notre pays.
Aucun n'avait pu lire ces phrases d'Edward Bond car elles n’étaient pas encore publiées : « Le problème est « notre humanité ». On ne peut jamais dire d'un chien que son comportement n'est pas celui d'un chien. Mais nous disons souvent qu'un comportement humain est inhumain. Ce n'est pas rhétorique, mais analytique. Nous créons notre humanité ou notre inhumanité. La raison ne fait pas de nous des humains. La limite de la philosophie des Lumières est que la raison peut servir la corruption. Nous sommes humains parce que nous sommes conscients de nous-mêmes. Sans imagination, on ne peut être conscient de soi. Les deux sont un. Sans l'imagination, nous serions enfermés dans le présent, incapables de réfléchir. L'imagination est à l'origine de l'humanité ».2
Depuis les Romantiques, le statut de l'imagination, de l'imaginaire (non pas ce qui est virtuel ou non réel, mais ce qui a, dit Lacan, rapport à l'image de soi) participe de la connaissance. « La littérature n'est pas une simple tromperie, elle est le dangereux pouvoir d'aller vers ce qui est, par l'infinie multiplicité de l'imaginaire » assure Maurice Blanchot3.
Dans la suite, une autre idée fondamentale s'est affirmée, la réalité ne peut être envisagée en dehors de sa représentation. Par exemple, la réalité des sans-papiers, de ceux qu'on appelle les sans-papiers… De la sorte, c'est bien parce ces auteurs ont pensé que la représentation des choses importait autant que les choses elles-mêmes qu'ils croient en la force de la littérature pour soutenir et témoigner de l'humanité des sans-papiers. Pour rendre aux sans-papiers toute la véracité de leur dignité. De leur intégrité.
Acte II
L'histoire montre que les migrations humaines sont constitutives des civilisations. Mais force est de constater que la vision du migrant, dans nos temps de marchandisation à outrance, est circonscrite à sa dimension économique. Ecoutons, par exemple, Roselyne Bachelot, députée RPR : « Il faudrait avoir le courage ou le cynisme de dire que nous allons nous livrer à une démarche néocolonialiste de grande envergure pour assurer la survie de nos sociétés postindustrielles vieillissantes. Après avoir pillé le tiers-monde de ses matières premières, nous nous apprêtons à le piller de ce qui sera la grande source de richesses du troisième millénaire : l’intelligence »4.
Ecoutons également le commissaire européen Antonio Vitorino appelant les pays membres à reconnaître que « la politique immigration zéro des vingt-cinq dernières années n'est plus opérationnelle » et invitant à mener une politique plus ouverte afin de répondre aux besoins de main-d'œuvre. Ou bien Alain Juppé déclarant qu'il faudra des travailleurs immigrés à l'avenir.
Mais aussi Denis Gautier-Sauvaignac, délégué général de l'Union des industries métallurgiques et minières et président de l'Unedic, qui indiquait au quotidien Le Monde du 6 janvier 2000 : « Compte tenu du choc démographique en 2005, il ne serait pas absurde d'inverser les flux migratoires ». Sans oublier le rapport de la division de la population des Nations Unies qui affirme que l'Europe aurait besoin de centaines de millions d'immigrants pour les cinquante années à venir. « Combattue pour des raisons politiques, l'immigration serait-elle défendue pour des raisons économiques ? » demandait, par sa part, Le Figaro économie du mois d’août dernier, pour qui la question « n’est plus taboue ». Eu égard à la planétarisation de nos conditions d’existence n’est-il pas urgent de faire vivre l’article de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme stipulant l’importance du droit de circulation comme fondement et concrétisation du droit d’être, de vivre, de produire et de créer, dans l’échange et la liberté ?
Et que dire de la construction d’une alternative populaire au capitalisme mondialisé qui oublierait les premières victimes de ce dernier ?
C’est pourquoi, « écrivains, artistes, intellectuels mais avant tout citoyens, nous avons choisi de lancer un appel aux autorités de la République afin qu’elles abolissent les lois Pasqua-Debré conformément à leur promesse électorale et régularisent les sans-papiers.
Ne doit-on pas trouver l’exercice de la solidarité et de la démocratie au centre même de l’activité politique ? Or nous constatons qu’il n’en est rien. Pourtant, le mouvement des sans-papiers est arrivé, depuis longtemps déjà, à une pleine maturité politique. Il faut avoir le courage de le reconnaître, ne serait-ce que pour l’idée que nous nous faisons d’une France généreuse et enfin débarrassée de tous fantasmes xénophobes. A l’image d’autres nations Européennes, la France n’aurait-elle pas les moyens d’agir dans le sens d’une Europe où le mépris, le rejet, l’exclusion et l’exploitation de l’autre ne soient pas choses normales ou normatives ? En outre, par sa nature humaine et légaliste, loin de remettre en cause les lois de la République, la régularisation des sans-papiers nous paraît, au contraire, régénérer et fortifier l’idée de la légalité telle qu’elle s’exprime aux frontons de nos mairies : Liberté, Egalité, Fra-ternité. »5
La réalité confirme amplement, semble-t-il, le bien-fondé ainsi que la teneur de cet appel. A commencer par les divers rapports officiels, nationaux ou européens qui préconisent la relance de la migration économique. Mais il paraît également manifeste que notre système démocratique a besoin, pour fonctionner et surtout se développer, de l’apport et de la participation de toutes les composantes de la population de notre pays.
La première étude sur le devenir des étrangers en situation irrégulière qui ont obtenu des papiers en 1997 a été remise au Garde des Sceaux. L’un d’eux témoigne : « Quand j’ai eu des papiers début 1998, j’ai failli pleurer. Toute la honte était partie. J’étais comme un bébé qui vient de naître. Et je pouvais épouser ma femme la tête haute. Cet été, je suis parti voir mes parents pour la première fois depuis quinze ans ! »
Souvenons-nous de ce que dit Edward Bond : « Le problème est notre humanité ».
Acte III
A vous de jouer !
(1) Information : les bénéfices de la vente de ce livre Ecrivains, sans-papiers paru aux éditions Bérénice qui selon un critique « introduit la dimension humaine au cœur de cette aventure migratoire souvent tragique » seront reversés au MRAP, au service des sans-papiers. Editions Bérénice, 11, rue de la Glacière, 75013 Paris. Tel/fax : 01.47.07.28.27.
(2) L’humanité, l’imagination et la cinquième dimension. Edward Bond. Le Monde diplomatique, janvier 2001.
(3) Le livre à venir, Maurice Blanchot
(4) Le Monde du 22 décembre 1999.
(5) Vous pouvez signer cet appel sur le site du Passant ou en écrivant à Arnaud De Montjoye, Valère Staraselski, Témoignage Chrétien 49, rue du Faubourg Poissonnière 75009 Paris.
(2) L’humanité, l’imagination et la cinquième dimension. Edward Bond. Le Monde diplomatique, janvier 2001.
(3) Le livre à venir, Maurice Blanchot
(4) Le Monde du 22 décembre 1999.
(5) Vous pouvez signer cet appel sur le site du Passant ou en écrivant à Arnaud De Montjoye, Valère Staraselski, Témoignage Chrétien 49, rue du Faubourg Poissonnière 75009 Paris.