Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°33 [février 2001 - mars 2001]
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Une terre pour deux
Certains l'appellent le Mont du Temple, d'autres l'Esplanade des Mosquées. C'est là que s'est rendu l'homme par qui tout a commencé, le 26 septembre 2000. Ensuite, tout est allé très vite, les manifestations de haine les morts, les blessés, l’enfant tué par la halle d'un tireur d’élite sous l'œil des caméras de télévision, les deux militaires lynchés à Ramallah, le regain de violence, les blessés et les morts.
On pourrait penser que rares sont ceux qui s'en réjouissent. Mais non. Ils sont nombreux, portés par le fanatisme. Ceux-là attendent depuis des lustres la Grande Tribulation, Armageddon, le cataclysme dernier annoncé par la Bible, ou le Djihad des martyrs qui donne l'accès direct au Paradis d'Allah. Les uns sont tout de noir vêtus, leurs femmes, à l'air soumis, en chapeau et jupe longue se tiennent en retrait et ne vous serrent pas la main car impures. Les autres portent des cagoules et tirent en l’air en lançant des imprécations. Le troisième Temple sera reconstruit et le Dôme du Rocher abattu crient les premiers en hébreu (à la télévision, souvent ils parlent un français ou un américain impeccable car ils viennent tout récemment de Paris ou de New York). Les Juifs impies seront chassés de Al-Qods et de toute la terre du Prophète crient les seconds en arabe. Eux sortent des camps misérables de réfugiés. Mais ils ont en commun la barbe, la haine, la rage. Ils sont ancrés dans un temps qu'ils croient immémorial, celui des racines retrouvées.
Des deux côtés, ils ne jurent que par la Justice divine, la volonté du Tout-Puissant. Rien à voir avec les kibboutzim socialisants d’autrefois, rien à voir avec la résistance palestinienne marxisante d'avant-hier. Pas de rationalité, ici. De la foi, de la folie furieuse, une dose d'hypocrisie et un bon poids d'escroquerie.
« Toute cette affaire avait le don de me déprimer », soupirait Moses Wine lors de son voyage en Israël. Moses Wine est quelqu'un de confiance, un héros de romans, un privé américain des années soixante-dix avec une tante pro-albanaise parlant yiddish, deux enfants espiègles et une vieille Coccinelle décapotable, un gauchiste invétéré que ses enquêtes ont mené dans les faubourgs chicanos de Los Angeles (Le Grand soir) et jusqu’en Chine à l'époque de la bande des quatre (Le Canard laqué). La première de ses aventures a été portée à l'écran sous le titre original de The Big Fix avec Richard Dreyfus dans le rôle principal, en 1978. Il y a un bail. C’est dire qu'il en avait vu du pays, depuis. Mais un pays comme celui-la, il n'en revenait pas. Ils les avait rencontrés, tous ces cinglés mystiques, dans Génération Armageddon, une enquête de 1988, quand s'effaçaient du paysage les mouvements progressistes et que la religion faisait son retour en force.
Vers 1929, à l'époque du mandat britannique, alors que n'existait ni Israël ni Etat palestinien, le journaliste Albert Londres avait publié une série de reportages dans Le Petit Parisien sous le titre Le Juif errant est arrivé. Il rappelait la condition des Juifs de Varsovie, de Prague, de Galicie, de Bukovine, d'Ukraine, les pogroms d'Europe orientale, les projets de Théodore Herzl, le jeu des puissances. Il rencontra aussi des Arabes, musulmans, chrétiens, orthodoxes, qui avaient vécu sous le joug ottoman jusqu’à ce que les traités issus de la Première guerre mondiale confient le territoire arbitrairement découpé aux Britanniques : « Le grand royaume arabe est apparu à nos yeux. Soudain tout s’évanouit. Nous ne restons qu’avec un rêve. Jadis, nous n'étions qu'une unité, Syrie, Palestine, Mésopotamie... On peut dire, je crois, que nous formons un foyer national ». Ce n'était pas facile. Foyer national juif, foyer national palestinien. « Un foyer national dans un autre foyer national, c'est la guerre », concluait l'un des interlocuteurs d'Albert Londres. « On me demande enfin, terminait le journaliste dans Le Petit Parisien du 7 novembre 1929 : « Considérez-vous l'installation des Juifs dans leur ancien pays comme un fait acquis ? »… Les Arabes le voudront-ils ? Pour l’instant, ils répondent : « Non ! » « Non » en Orient n'a pas la même valeur qu'en Occident. Après un « non », on peut tout de même continuer la conversation en certains pays. Encore faut-il que l'on ne discute pas le poignard à la main.
Après quatre guerres, d'amères victoires et de tristes défaites, Israéliens et Palestiniens ont reconnu mutuellement leur existence. La paix était proche, la paix était là. C'est le moment que choisit Ariel Sharon pour aller sur l'Esplanade des Mosquées revendiquer le Mont du Temple. Et c’est alors que tout à recommencé, la violence, les blessés, les morts.
Les sondages donnent le boute-feu Sharon favori des prochaines élections israéliennes pour la plus grande joie de la génération Armageddon. Pour le plus grand malheur des deux peuples.
On pourrait penser que rares sont ceux qui s'en réjouissent. Mais non. Ils sont nombreux, portés par le fanatisme. Ceux-là attendent depuis des lustres la Grande Tribulation, Armageddon, le cataclysme dernier annoncé par la Bible, ou le Djihad des martyrs qui donne l'accès direct au Paradis d'Allah. Les uns sont tout de noir vêtus, leurs femmes, à l'air soumis, en chapeau et jupe longue se tiennent en retrait et ne vous serrent pas la main car impures. Les autres portent des cagoules et tirent en l’air en lançant des imprécations. Le troisième Temple sera reconstruit et le Dôme du Rocher abattu crient les premiers en hébreu (à la télévision, souvent ils parlent un français ou un américain impeccable car ils viennent tout récemment de Paris ou de New York). Les Juifs impies seront chassés de Al-Qods et de toute la terre du Prophète crient les seconds en arabe. Eux sortent des camps misérables de réfugiés. Mais ils ont en commun la barbe, la haine, la rage. Ils sont ancrés dans un temps qu'ils croient immémorial, celui des racines retrouvées.
Des deux côtés, ils ne jurent que par la Justice divine, la volonté du Tout-Puissant. Rien à voir avec les kibboutzim socialisants d’autrefois, rien à voir avec la résistance palestinienne marxisante d'avant-hier. Pas de rationalité, ici. De la foi, de la folie furieuse, une dose d'hypocrisie et un bon poids d'escroquerie.
« Toute cette affaire avait le don de me déprimer », soupirait Moses Wine lors de son voyage en Israël. Moses Wine est quelqu'un de confiance, un héros de romans, un privé américain des années soixante-dix avec une tante pro-albanaise parlant yiddish, deux enfants espiègles et une vieille Coccinelle décapotable, un gauchiste invétéré que ses enquêtes ont mené dans les faubourgs chicanos de Los Angeles (Le Grand soir) et jusqu’en Chine à l'époque de la bande des quatre (Le Canard laqué). La première de ses aventures a été portée à l'écran sous le titre original de The Big Fix avec Richard Dreyfus dans le rôle principal, en 1978. Il y a un bail. C’est dire qu'il en avait vu du pays, depuis. Mais un pays comme celui-la, il n'en revenait pas. Ils les avait rencontrés, tous ces cinglés mystiques, dans Génération Armageddon, une enquête de 1988, quand s'effaçaient du paysage les mouvements progressistes et que la religion faisait son retour en force.
Vers 1929, à l'époque du mandat britannique, alors que n'existait ni Israël ni Etat palestinien, le journaliste Albert Londres avait publié une série de reportages dans Le Petit Parisien sous le titre Le Juif errant est arrivé. Il rappelait la condition des Juifs de Varsovie, de Prague, de Galicie, de Bukovine, d'Ukraine, les pogroms d'Europe orientale, les projets de Théodore Herzl, le jeu des puissances. Il rencontra aussi des Arabes, musulmans, chrétiens, orthodoxes, qui avaient vécu sous le joug ottoman jusqu’à ce que les traités issus de la Première guerre mondiale confient le territoire arbitrairement découpé aux Britanniques : « Le grand royaume arabe est apparu à nos yeux. Soudain tout s’évanouit. Nous ne restons qu’avec un rêve. Jadis, nous n'étions qu'une unité, Syrie, Palestine, Mésopotamie... On peut dire, je crois, que nous formons un foyer national ». Ce n'était pas facile. Foyer national juif, foyer national palestinien. « Un foyer national dans un autre foyer national, c'est la guerre », concluait l'un des interlocuteurs d'Albert Londres. « On me demande enfin, terminait le journaliste dans Le Petit Parisien du 7 novembre 1929 : « Considérez-vous l'installation des Juifs dans leur ancien pays comme un fait acquis ? »… Les Arabes le voudront-ils ? Pour l’instant, ils répondent : « Non ! » « Non » en Orient n'a pas la même valeur qu'en Occident. Après un « non », on peut tout de même continuer la conversation en certains pays. Encore faut-il que l'on ne discute pas le poignard à la main.
Après quatre guerres, d'amères victoires et de tristes défaites, Israéliens et Palestiniens ont reconnu mutuellement leur existence. La paix était proche, la paix était là. C'est le moment que choisit Ariel Sharon pour aller sur l'Esplanade des Mosquées revendiquer le Mont du Temple. Et c’est alors que tout à recommencé, la violence, les blessés, les morts.
Les sondages donnent le boute-feu Sharon favori des prochaines élections israéliennes pour la plus grande joie de la génération Armageddon. Pour le plus grand malheur des deux peuples.