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Sortie du DVD de Notre Monde

Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
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© Passant n°34 [avril 2001 - mai 2001]
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Faut-il aider les pauvres ?


A force de nous inculquer l’idée que l’impôt était quelque chose de négatif, arriva ce qui devait arriver : Jospin a inventé en France l’impôt négatif. Les salariés payés en dessous du SMIC, au SMIC ou jusqu’à 1,4 fois le SMIC, vont recevoir un crédit d’impôt ou impôt négatif ou encore une « prime à l’emploi ». Pourquoi ? Pour les inciter à travailler et les forcer à accepter des salaires de misère.



A la trappe



Pour l’économiste libéral et son alter ego social-libéral, il y a deux raisons au chômage. Les salariés ayant un emploi refusent de voir leurs salaires baisser. Et les chômeurs font le choix de ne pas travailler en jugeant les salaires offerts insuffisants : ainsi, ils « arbitrent entre travail et loisir » car le travail n’est vu par les libéraux que comme une « désutilité » comparée à l’utilité des biens et services obtenus grâce au salaire. Les chômeurs se trouvent alors enfermés dans une « trappe à pauvreté ou à inactivité » puisque le supplément de revenu qu’ils obtiendraient en acceptant un emploi mal payé serait trop faible pour les inciter à sortir du chômage. Bref, le RMI est faible mais trop élevé car il encourage la paresse du chômeur et le SMIC est faible mais reste trop élevé pour la bourse des patrons.1

La trouvaille sociale-libérale préconisée par le récent rapport Pisani-Ferry2 et mise en œuvre par Jospin consiste à faire payer une part de la rémunération des salariés par la collectivité à la place des employeurs. Si, à court terme, elle peut sembler apporter une aide salutaire aux salariés les plus démunis et figurer ainsi comme une mesure de « gauche », à long terme, elle risque d’être la plus mauvaise et la plus dévastatrice des solutions.



L’attrape-nigauds



Les vingt dernières années ont vu les inégalités s’accroître considérablement car le nombre de bas salaires a grandi à cause des petits boulots, des temps partiels imposés et des multiples con-tournements du droit du travail. Contrairement au discours entendu, ce n’est pas le RMI qui a créé la trappe à pauvreté, ce sont les innombrables encouragements et exonérations de charges sociales et fiscales dont ont bénéficié les em-ployeurs pour, peu à peu, transformer la norme d’emploi : en quinze ans, la proportion de très bas salaires a doublé. Qu’arrivera-t-il si l’Etat donne un blanc-seing aux employeurs pour qu’ils libéralisent un peu plus le marché du travail ? Ils en profiteront pour généraliser l’emploi précaire et flexible et les salaires faibles, ou ils prendront l’habitude de ne plus payer de salaires : le jour n’est pas très loin où les chômeurs devront payer les employeurs pour être embauchés3, un peu comme les victimes de la pollution sont invités à acheter les droits de polluer aux pollueurs.

Le rapport Pisani-Ferry se trompe quand il dit que le Rmiste qui trouve un emploi ne connaît pas d’amélioration sensible de sa situation. Grâce à la loi du 29 juillet 1998 qui permet de cumuler temporairement allocations et salaire, dans 85% des cas, le Rmiste qui trouve un emploi voit son revenu plus que doubler pendant un an lorsque cet emploi est un emploi à plein temps. Ce qui est en cause donc et que se garde bien d’aborder le gouvernement, c’est la question des normes d’emploi et de salaires. Chaque fois qu’on veut aider les pauvres en rendant plus facile la tâche des riches de l’embauche, on perpétue les causes de la pauvreté et l’on aggrave la situation future des pauvres puisqu’on lamine les règles du droit du travail et qu’on transforme la protection sociale en palliatif des dégâts du capitalisme libéral. Il n’y a qu’une manière d’aider véritablement les pauvres, c’est de travailler à l’éradication de la pauvreté. C’est-à-dire, ici, en rétablissant et en faisant respecter des normes de travail et de salaires décentes et en permettant à tous d’y accéder, notamment en utilisant les gains de productivité pour réduire le temps de travail de chacun. Les deux meilleures taxes sur le capital sont et seront toujours la hausse des salaires – surtout des bas – et la baisse du temps de travail.



Victor Hugo plutôt que Lionel Jospin



Dans son roman Quatre-vingt-treize, Victor Hugo écrivit le dialogue suivant entre son héros Gauvain, qui va mourir à l’aube sur l’échafaud, et Cimourdain :

« - L’idée aussi est nourriture. Penser, c’est manger.

- Pas d’abstractions. La République c’est deux et deux font quatre. Quand j’ai donné à chacun ce qui lui revient...

- Il vous reste à donner à chacun ce qui ne lui revient pas.

- Qu’entends-tu par là ?

- J’entends l’immense concession réciproque que chacun doit à tous et que tous doivent à chacun, et qui est toute la vie sociale.

- Hors du droit strict, il n’y a rien.

- Il y a tout.

- Je ne vois que la justice.

- Moi je regarde plus haut.

- Qu’y a-t-il donc au-dessus de la justice ?

- L’équité.

Par moments ils s’arrêtaient comme si des lueurs passaient.

Cimourdain reprit :

- Précise, je t’en défie.

- Soit. Vous voulez le service militaire obligatoire. Contre qui ? contre d’autres hommes. Moi, je ne veux pas de service militaire. Je veux la paix. Vous voulez les misérables secourus, moi je veux la misère supprimée... »



Quand la vraie droite fait du social, elle aide les riches ; quand la fausse gauche fait du social, elle aide aussi les riches et elle croit aider les pauvres : de ce fait, elle aide les riches deux fois. La vraie droite choisit toujours la bourse ; la fausse gauche laisse croire qu’on peut avoir la bourse et la vie. Et bien, non, il faut choisir entre les deux.

(A suivre)



Bertrand Larsabal

(1) En résumé :
Il faut vraiment avoir la tête dure
Ou vide de toute culture
Pour croire que le chômage
Continue de faire des ravages
Parce que les gens prennent plaisir
A arbitrer entre travail et loisir.
(2) Conseil d’analyse économique, Plein emploi, La documentation française, 2000. Pour une critique de ce rapport, voir la Note de la Fondation Copernic « Pour un plein emploi de qualité, Critique du social-libéralisme, à propos du rapport Pisani-Ferry », 2001.
(3) Je rappelle que, de toute façon, les capitalistes ne paient jamais rien, ils avancent, car tout ce qu’ils « paient » est prélevé sur les travailleurs.

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