Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°34 [avril 2001 - mai 2001]
© Passant n°34 [avril 2001 - mai 2001]
entretien de par Thomas Lacoste
Imprimer l'articleSanté, l’étau se resserre !
Une assistante sociale en psychiatrie décrit l’urgence qu’il y a à ce que les secteurs du soin et du social se rencontrent pour repenser la prise en charge des malades mentaux dans la cité.
Le Passant Ordinaire : Quel est votre rôle et de quels moyens disposez-vous à l’hôpital psychiatrique pour remplir ces fonctions ?
Notre rôle consiste, principalement, à nous occuper des problèmes sociaux que peuvent rencontrer les personnes hospitalisées en période de crise. Ces personnes traversent des moments difficiles au plan social, ajouté au fait qu’elles sont malades mentales et donc dépendantes d’une réponse qui pourrait venir de l’extérieur.
L’intra-hospitalier occupe une grande partie de notre temps puisque aujourd’hui, comme on le sait, on ne reste pas longtemps à l’hôpital psychiatrique. L’assistante sociale doit pouvoir aider à la remise à flot d’une situation sociale souvent très dégradée. Il y a des personnes qui n’ont pu maintenir un lieu de vie à l’extérieur et pour lesquelles il faut trouver très vite une solution de sortie. La difficulté vient de ce que les personnes restent très dépendantes et nécessitent une prise en charge dans des établissements spécialisés qui font, par ailleurs, cruellement défaut. Tout le problème consiste à trouver quand même une solution de vie hors de l’hôpital.
Comment expliquez-vous ce processus qui fait de l’hôpital psychiatrique aujourd’hui un lieu qui ne gère plus que les crises ? Derrière cet arbre ne se cacherait-il pas un changement d’idéologie couplé d’un manque de moyens ?
Tout le monde le sait, il y a un manque de personnel infirmier. C’est le passage de l’hôpital – psy et général – sous les fourches caudines de la résolution économique. Mais il y a aussi les changements provoqués par une nouvelle façon d’aborder le problème psychiatrique ; les nouveaux traitements permettent une résolution de la crise plus rapide. Ce qui permet de pouvoir traiter, suivant les normes de l’accréditation, telle maladie en tant de temps et à tel prix. Fini l’Asile ! On a évacué la chronicité de l’hôpital. Il y a diminution de la durée d’hospitalisation, on supprime des lits. De fait, la pression augmente pour les professionnels qui doivent « gérer » la sortie du patient. Car quand il sort de l’hôpital psychiatrique, que fait-il, où va-t-il ?
Pourriez-vous nous décrire comment vivent à l’extérieur ces patients une fois la crise passée ?
Les réponses que l’on peut avoir au niveau social sont limitées. Nous tentons de trouver des solutions individuelles pour les personnes les plus adaptées. Elles habiteront seules, dans un appartement, avec un suivi psychiatrique plus ou moins effectif selon les services. Pour les personnes les moins autonomes, il existe des foyers thérapeutiques, trop peu nombreux. Ces personnes sont souvent refusées à leur sortie de l’hôpital, par manque de place, par manque d’adaptation à leurs besoins spécifiques, par manque de moyens, etc. Les solutions seront donc souvent banalisées. On essaie de les placer, quelquefois avec succès, dans les foyers sociaux ou dans les foyers SONACOTRA, mais aussi dans des hôtels en ville.
Quand ils ne sont pas placés, de quoi et comment vivent-ils ?
En général ils ont une allocation adulte handicapé, dont la base est de 3500 francs. Ils ont également droit à l’allocation logement. C’est lorsqu’ils sont seuls dans leur maison, qu’ils n’ont pas de quoi manger car ils ne font pas la cuisine, que l’assistante sociale doit chercher comment améliorer leur qualité de vie, par exemple comment trouver des repas. Certaines mairies distribuent des repas, gratuits ou à participation minime. Mais l’occupation de ces gens-là, la souffrance qu’ils peuvent ressentir, quand ils peuvent la formuler, qu’en fait-on ? Ils souffrent énormément d’isolement. Ils sont toujours seuls. Seuls devant leur télé, seuls pour parler aux murs, seuls avec leur délire… Le suivi médicamenteux est assuré, dans la plupart des cas, mais cette souffrance-là n’est plus prise en compte, en tout cas plus suffisamment par l’hôpital. Il manque des lieux d’accueil, avec ou sans ateliers. Il faudrait davantage de réponses alternatives dans la ville, à l’image de certains bistrots associatifs ou foyers, en nombre largement insuffisant, aujourd’hui.
Comment expliquez-vous que notre société qui se gargarise de notions comme la modernité, la démocratie, puisse laisser ces malades, ces « fous » livrés à eux-mêmes dans une telle précarité comme s’il n’était pas de notre responsabilité de les accompagner, aussi au niveau social, vers un mieux-être ?
La maladie mentale et la psychiatrie sont encore frappées de tabou et engendrent une grande peur. Dans nos sociétés, la dépendance fait peur car synonyme de déchéance. Or ces personnes ont besoin qu’on s’occupe d’elles sinon elles se dégradent et, à terme, retournent à l’hôpital psychiatrique. On pourrait faire le même constat vis-à-vis des personnes âgées. Toutes les personnes dépendantes dont la vie matérielle est assurée, même petitement, souffrent d’isolement, d’un manque de reconnaissance. La société organise les moyens d’une survie matérielle mais cela nous dédouane-t-il de leur donner une place à part entière avec nous en prenant en compte leur dimension humaine ?
J’ai l’impression que l’hôpital psychiatrique est touché par le libéralisme, le souci de rentabilité, on y voit le lobby des laboratoires pharmaceutiques y faire la pluie et le beau temps, on s’attache aux symptômes et on semble ne plus tenir compte de la vie psychique et de ses manifestations. N’y a-t-il pas là, la nécessité de créer une composition entre la volonté d’adaptation et de normalisation et la prise en compte de l’être humain d’un point de vue psychique ?
ça serait vital, non seulement pour les gens malades et dépendants mais aussi pour les autres. Le fait de pouvoir se dire « qu’est-ce qu’on vit » me semble le B.A.BA de la vie humaine. De pouvoir se rencontrer, se parler. A cet égard, je voudrais dire aussi que je suis très intéressée par les associations des usagers de la psychiatrie. A l’heure actuelle, il n’y a que des associations de familles d’handicapés. Et avec la réforme hospitalière récente les personnes handicapées font désormais obligatoirement partie des conseils d’administration. Des expériences ont montré que les malades eux-mêmes peuvent s’organiser. Leur donner la parole générera d’autres réponses, ces gens-là ne sont pas toujours en dehors de la réalité surtout quand il s’agit de la leur.
Finalement, ne gagnerait-on pas à une rencontre réelle entre les secteurs du soin et du social, à une réflexion politique profonde sur les objectifs de ces secteurs avant d’aller droit dans le mur ?
Dans le mur ou la désertification… Il y a des tentatives, des choses qui se font, comme le réseau Ville et Hôpital. Le tout psychanalyse a vécu, mais le tout biologique a aussi vécu. Avec la nécessité d’accompagner les personnes par les thérapies comportementales et cognitives, ces nouvelles façons de traiter la maladie mentale, on voit se dessiner des impasses. Assiste-t-on au tout économique ? Il faut que les gens arrivent à se parler, les décideurs, les acteurs médicaux et médico-sociaux. Et qu’enfin on cherche et qu’on essaie de trouver ensemble. Y compris avec les usagers eux-mêmes. Si on commence à les laisser parler, peut être auront-ils des choses à dire, et des choses très intéressantes. Mais il faudrait arriver à organiser un débat, avec les politiques, déjà au niveau local, pour chercher des amorces de réponses, créer de nouvelles passerelles.
J’imagine que les patients comme les professionnels en auraient besoin.
Evidemment. On diminue les capacités d’hébergement de l’hôpital. Mais toutes les autres structures sont frappées de la même limitation, de la même logique. Sous l’étiquette des changements de façons de penser, de soigner, tout le monde revoit à la baisse les capacités. Que deviennent les gens dont on s’occupe, alors que parallèlement, la société produit de plus en plus de gens en souffrance. Entre travailleurs sociaux on se renvoie la balle et on s’accuse mutuellement de ne pas faire notre travail. Et pour finir, l’hôpital psychiatrique demeure toujours le dernier recours, ce qui n’est plus possible. D’où la nécessité de réfléchir à de nouvelles solutions.
Le Passant Ordinaire : Quel est votre rôle et de quels moyens disposez-vous à l’hôpital psychiatrique pour remplir ces fonctions ?
Notre rôle consiste, principalement, à nous occuper des problèmes sociaux que peuvent rencontrer les personnes hospitalisées en période de crise. Ces personnes traversent des moments difficiles au plan social, ajouté au fait qu’elles sont malades mentales et donc dépendantes d’une réponse qui pourrait venir de l’extérieur.
L’intra-hospitalier occupe une grande partie de notre temps puisque aujourd’hui, comme on le sait, on ne reste pas longtemps à l’hôpital psychiatrique. L’assistante sociale doit pouvoir aider à la remise à flot d’une situation sociale souvent très dégradée. Il y a des personnes qui n’ont pu maintenir un lieu de vie à l’extérieur et pour lesquelles il faut trouver très vite une solution de sortie. La difficulté vient de ce que les personnes restent très dépendantes et nécessitent une prise en charge dans des établissements spécialisés qui font, par ailleurs, cruellement défaut. Tout le problème consiste à trouver quand même une solution de vie hors de l’hôpital.
Comment expliquez-vous ce processus qui fait de l’hôpital psychiatrique aujourd’hui un lieu qui ne gère plus que les crises ? Derrière cet arbre ne se cacherait-il pas un changement d’idéologie couplé d’un manque de moyens ?
Tout le monde le sait, il y a un manque de personnel infirmier. C’est le passage de l’hôpital – psy et général – sous les fourches caudines de la résolution économique. Mais il y a aussi les changements provoqués par une nouvelle façon d’aborder le problème psychiatrique ; les nouveaux traitements permettent une résolution de la crise plus rapide. Ce qui permet de pouvoir traiter, suivant les normes de l’accréditation, telle maladie en tant de temps et à tel prix. Fini l’Asile ! On a évacué la chronicité de l’hôpital. Il y a diminution de la durée d’hospitalisation, on supprime des lits. De fait, la pression augmente pour les professionnels qui doivent « gérer » la sortie du patient. Car quand il sort de l’hôpital psychiatrique, que fait-il, où va-t-il ?
Pourriez-vous nous décrire comment vivent à l’extérieur ces patients une fois la crise passée ?
Les réponses que l’on peut avoir au niveau social sont limitées. Nous tentons de trouver des solutions individuelles pour les personnes les plus adaptées. Elles habiteront seules, dans un appartement, avec un suivi psychiatrique plus ou moins effectif selon les services. Pour les personnes les moins autonomes, il existe des foyers thérapeutiques, trop peu nombreux. Ces personnes sont souvent refusées à leur sortie de l’hôpital, par manque de place, par manque d’adaptation à leurs besoins spécifiques, par manque de moyens, etc. Les solutions seront donc souvent banalisées. On essaie de les placer, quelquefois avec succès, dans les foyers sociaux ou dans les foyers SONACOTRA, mais aussi dans des hôtels en ville.
Quand ils ne sont pas placés, de quoi et comment vivent-ils ?
En général ils ont une allocation adulte handicapé, dont la base est de 3500 francs. Ils ont également droit à l’allocation logement. C’est lorsqu’ils sont seuls dans leur maison, qu’ils n’ont pas de quoi manger car ils ne font pas la cuisine, que l’assistante sociale doit chercher comment améliorer leur qualité de vie, par exemple comment trouver des repas. Certaines mairies distribuent des repas, gratuits ou à participation minime. Mais l’occupation de ces gens-là, la souffrance qu’ils peuvent ressentir, quand ils peuvent la formuler, qu’en fait-on ? Ils souffrent énormément d’isolement. Ils sont toujours seuls. Seuls devant leur télé, seuls pour parler aux murs, seuls avec leur délire… Le suivi médicamenteux est assuré, dans la plupart des cas, mais cette souffrance-là n’est plus prise en compte, en tout cas plus suffisamment par l’hôpital. Il manque des lieux d’accueil, avec ou sans ateliers. Il faudrait davantage de réponses alternatives dans la ville, à l’image de certains bistrots associatifs ou foyers, en nombre largement insuffisant, aujourd’hui.
Comment expliquez-vous que notre société qui se gargarise de notions comme la modernité, la démocratie, puisse laisser ces malades, ces « fous » livrés à eux-mêmes dans une telle précarité comme s’il n’était pas de notre responsabilité de les accompagner, aussi au niveau social, vers un mieux-être ?
La maladie mentale et la psychiatrie sont encore frappées de tabou et engendrent une grande peur. Dans nos sociétés, la dépendance fait peur car synonyme de déchéance. Or ces personnes ont besoin qu’on s’occupe d’elles sinon elles se dégradent et, à terme, retournent à l’hôpital psychiatrique. On pourrait faire le même constat vis-à-vis des personnes âgées. Toutes les personnes dépendantes dont la vie matérielle est assurée, même petitement, souffrent d’isolement, d’un manque de reconnaissance. La société organise les moyens d’une survie matérielle mais cela nous dédouane-t-il de leur donner une place à part entière avec nous en prenant en compte leur dimension humaine ?
J’ai l’impression que l’hôpital psychiatrique est touché par le libéralisme, le souci de rentabilité, on y voit le lobby des laboratoires pharmaceutiques y faire la pluie et le beau temps, on s’attache aux symptômes et on semble ne plus tenir compte de la vie psychique et de ses manifestations. N’y a-t-il pas là, la nécessité de créer une composition entre la volonté d’adaptation et de normalisation et la prise en compte de l’être humain d’un point de vue psychique ?
ça serait vital, non seulement pour les gens malades et dépendants mais aussi pour les autres. Le fait de pouvoir se dire « qu’est-ce qu’on vit » me semble le B.A.BA de la vie humaine. De pouvoir se rencontrer, se parler. A cet égard, je voudrais dire aussi que je suis très intéressée par les associations des usagers de la psychiatrie. A l’heure actuelle, il n’y a que des associations de familles d’handicapés. Et avec la réforme hospitalière récente les personnes handicapées font désormais obligatoirement partie des conseils d’administration. Des expériences ont montré que les malades eux-mêmes peuvent s’organiser. Leur donner la parole générera d’autres réponses, ces gens-là ne sont pas toujours en dehors de la réalité surtout quand il s’agit de la leur.
Finalement, ne gagnerait-on pas à une rencontre réelle entre les secteurs du soin et du social, à une réflexion politique profonde sur les objectifs de ces secteurs avant d’aller droit dans le mur ?
Dans le mur ou la désertification… Il y a des tentatives, des choses qui se font, comme le réseau Ville et Hôpital. Le tout psychanalyse a vécu, mais le tout biologique a aussi vécu. Avec la nécessité d’accompagner les personnes par les thérapies comportementales et cognitives, ces nouvelles façons de traiter la maladie mentale, on voit se dessiner des impasses. Assiste-t-on au tout économique ? Il faut que les gens arrivent à se parler, les décideurs, les acteurs médicaux et médico-sociaux. Et qu’enfin on cherche et qu’on essaie de trouver ensemble. Y compris avec les usagers eux-mêmes. Si on commence à les laisser parler, peut être auront-ils des choses à dire, et des choses très intéressantes. Mais il faudrait arriver à organiser un débat, avec les politiques, déjà au niveau local, pour chercher des amorces de réponses, créer de nouvelles passerelles.
J’imagine que les patients comme les professionnels en auraient besoin.
Evidemment. On diminue les capacités d’hébergement de l’hôpital. Mais toutes les autres structures sont frappées de la même limitation, de la même logique. Sous l’étiquette des changements de façons de penser, de soigner, tout le monde revoit à la baisse les capacités. Que deviennent les gens dont on s’occupe, alors que parallèlement, la société produit de plus en plus de gens en souffrance. Entre travailleurs sociaux on se renvoie la balle et on s’accuse mutuellement de ne pas faire notre travail. Et pour finir, l’hôpital psychiatrique demeure toujours le dernier recours, ce qui n’est plus possible. D’où la nécessité de réfléchir à de nouvelles solutions.
* Cette personne témoigne anonymement par devoir de réserve.