Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°36 [septembre 2001 - octobre 2001]
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A propos de Gênes
La conférence-débat organisée par Christophe Aguiton à la Flèche d’Or1 le mardi 10 Juillet en vue de la participation d’Attac au contre-sommet du G8 pouvait laisser perplexe et augurer de « débordements » où avec tant d’autres mouvements cette association risquait de se trouver entraînée.
Le problème de la violence y fut trop tardivement et brièvement évoqué, laissant la pénible impression d’ingénus n’ayant pas encore essuyé le feu et croyant que l’entraînement à la non-violence par des gymnastiques physiques comme spirituelles suffirait non seulement à les mettre à l’abri du pire mais à empêcher son déclenchement. Comme de plus anciens, experts de tels affrontements, pouvaient le prédire, ce fut le contraire qui advint : des centaines de non-violents se retrouvèrent à l’hôpital. Se repose alors le problème de la violence ou de son contraire dans un contexte forcément hostile (au sens étymologique) puisque s’y opposaient radicalement tenants et adversaires de la mondialisation – celle des marchés – et que si le nombre était du côté des manifestants (l’estimer et l’organiser était déjà penser le rapport de forces, donc avoir une vision belliciste de la situation) la force militaire était du côté des organisateurs du sommet. Il y avait donc semble-t-il une erreur de raisonnement et d’évaluation stratégique de la part de beaucoup de ces militants : dans une partie où il y a de tels enjeux, où les camps adverses sont bien marqués, où l’on vient pour s’affronter et bloquer l’action de l’autre le discours pacifiste est fondamentalement faux : on part se battre. Quant aux méthodes – c’est-à-dire à la prise en compte de l’inégalité des armes, elles exigent d’être repensées.
Si l’on veut se battre, faut-il le faire à mains nues ? La raison répond non. Ce non peut vouloir dire : il ne faut pas y aller. C’est la position de Lutte Ouvrière (qui a protesté et défilé par ailleurs le Jeudi 26 juillet contre les violences de Gênes, mais pense qu’on est plus utile à défendre les entreprises nationales qu’à faire ce que certains appellent du tourisme politique). Il ne faut pas y aller parce qu’on y perd son temps et ses forces militantes, voire sa santé et même sa vie. Ou ce non signifie : il faut s’équiper pour répondre à la violence policière, et pas seulement de boucliers en plastique. S’équiper en pensée, s’y préparer. Mai 68 dont on parle à propos de Gênes (notamment Kouchner) s’est présenté autrement ; la non-violence n’y a jamais été prônée et il y eut édification de barricades et batailles de rue… Les blessés ne l’ont guère été par surprise et pour beaucoup avaient pris part volontairement à ces combats : si cela n’amoindrit pas forcément les dégâts physiques, cela atténue les psychologiques. Et la mort, fut en ce mois de mai – on le sait sûrement à présent – évitée. On voit donc que derrière le problème stratégique se tient le politique : si l’on veut changer la vie, comme en France en 68, ou la marche du monde comme à Gênes en ce mois de juillet – un Gênes devenu carrefour international – il est vain de penser qu’on peut le faire sans affrontements, ce qui ne veut pas dire guerre civile sanglante, mais au moins intifadas. En deçà de cette attitude, on va au casse-pipe assuré (les victimes de la descente de police de l’école Diaz, rue Cesare Battisti l’ont vérifié à leurs dépens), et il n’est pas sûr que les remous créés par ces violences, une fois l’émotion apaisée, puissent faire conclure à une quelconque victoire, ni sur la mondialisation ni même sur l’infâme Berlusconi et son régime. Si l’on refuse toute idée d’une riposte physique à la brutalité adverse, on doit renoncer à cette forme d’action et réfléchir d’urgence à d’autres, moins coûteuses mais aussi moins spectaculaires et édifiantes…
Le problème de la violence y fut trop tardivement et brièvement évoqué, laissant la pénible impression d’ingénus n’ayant pas encore essuyé le feu et croyant que l’entraînement à la non-violence par des gymnastiques physiques comme spirituelles suffirait non seulement à les mettre à l’abri du pire mais à empêcher son déclenchement. Comme de plus anciens, experts de tels affrontements, pouvaient le prédire, ce fut le contraire qui advint : des centaines de non-violents se retrouvèrent à l’hôpital. Se repose alors le problème de la violence ou de son contraire dans un contexte forcément hostile (au sens étymologique) puisque s’y opposaient radicalement tenants et adversaires de la mondialisation – celle des marchés – et que si le nombre était du côté des manifestants (l’estimer et l’organiser était déjà penser le rapport de forces, donc avoir une vision belliciste de la situation) la force militaire était du côté des organisateurs du sommet. Il y avait donc semble-t-il une erreur de raisonnement et d’évaluation stratégique de la part de beaucoup de ces militants : dans une partie où il y a de tels enjeux, où les camps adverses sont bien marqués, où l’on vient pour s’affronter et bloquer l’action de l’autre le discours pacifiste est fondamentalement faux : on part se battre. Quant aux méthodes – c’est-à-dire à la prise en compte de l’inégalité des armes, elles exigent d’être repensées.
Si l’on veut se battre, faut-il le faire à mains nues ? La raison répond non. Ce non peut vouloir dire : il ne faut pas y aller. C’est la position de Lutte Ouvrière (qui a protesté et défilé par ailleurs le Jeudi 26 juillet contre les violences de Gênes, mais pense qu’on est plus utile à défendre les entreprises nationales qu’à faire ce que certains appellent du tourisme politique). Il ne faut pas y aller parce qu’on y perd son temps et ses forces militantes, voire sa santé et même sa vie. Ou ce non signifie : il faut s’équiper pour répondre à la violence policière, et pas seulement de boucliers en plastique. S’équiper en pensée, s’y préparer. Mai 68 dont on parle à propos de Gênes (notamment Kouchner) s’est présenté autrement ; la non-violence n’y a jamais été prônée et il y eut édification de barricades et batailles de rue… Les blessés ne l’ont guère été par surprise et pour beaucoup avaient pris part volontairement à ces combats : si cela n’amoindrit pas forcément les dégâts physiques, cela atténue les psychologiques. Et la mort, fut en ce mois de mai – on le sait sûrement à présent – évitée. On voit donc que derrière le problème stratégique se tient le politique : si l’on veut changer la vie, comme en France en 68, ou la marche du monde comme à Gênes en ce mois de juillet – un Gênes devenu carrefour international – il est vain de penser qu’on peut le faire sans affrontements, ce qui ne veut pas dire guerre civile sanglante, mais au moins intifadas. En deçà de cette attitude, on va au casse-pipe assuré (les victimes de la descente de police de l’école Diaz, rue Cesare Battisti l’ont vérifié à leurs dépens), et il n’est pas sûr que les remous créés par ces violences, une fois l’émotion apaisée, puissent faire conclure à une quelconque victoire, ni sur la mondialisation ni même sur l’infâme Berlusconi et son régime. Si l’on refuse toute idée d’une riposte physique à la brutalité adverse, on doit renoncer à cette forme d’action et réfléchir d’urgence à d’autres, moins coûteuses mais aussi moins spectaculaires et édifiantes…
*Essayiste. Membre du Comité de rédaction de la revue Mouvements.
(1) La Flèche d’Or, café-concert du 20e arrondissement de Paris qui accueille des débats philosophiques et politiques.
(1) La Flèche d’Or, café-concert du 20e arrondissement de Paris qui accueille des débats philosophiques et politiques.