Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°36 [septembre 2001 - octobre 2001]
© Passant n°36 [septembre 2001 - octobre 2001]
par Philippe Corcuff
Imprimer l'articleDe quelques problèmes des nouvelles radicalités en général
et de PLPL en particulier« Le comble de la confiance en soi ? Péter quand on a la chiasse. »
Bluette anonyme
Philippe Corcuff a choisi, pour participer à ce dossier Que faire ?, d’interroger les postures des nouvelles radicalités et de certains journaux indépendants, plus précisément celles du mordant PLPL (dont nous avions salué l’existence dès son numéro O, cf. Passant, n°32). Son questionnement nous est apparu à la fois original et pertinent, nous obligeant à nous interroger sur nos propres positions. Néanmoins, les animateurs de PLPL, épinglés dans les lignes qui suivent, nous semblent également participer pleinement aux débats intellectuels critiques sur notre société et les colonnes du Passant leurs sont ouvertes pour nourrir cette controverse.
Quand on demande « que faire ? » aujourd’hui, à un moment où une gauche dans le coma est paraît-il « au pouvoir » et que des centaines de milliers d’anciens militants et sympathisants de cette gauche sont déboussolés par une succession de désenchantements entremêlés (désenchantements communiste, gauchiste, socialiste... en attendant le proche désenchantement vert), on peut difficilement ne pas jeter un œil dans le rétroviseur de nos erreurs, de nos impasses et de nos désillusions, mais aussi de nos légitimes aspirations émancipatrices non assouvies. Bref, se dessine ici la question de la réélaboration critique de notre passé.
Ce passé se présente au moins sous deux aspects : passé-poids mort susceptible de plomber nos perspectives d’avenir, et passé-aiguillon porteur de rêves non aboutis. Dans le premier cas, « le mort saisit le vif » (Marx), le passé de nos conneries pourrait, tel un virus informatique, contaminer les nouveaux logiciels du futur. Dans le deuxième cas, on a à résister à l’histoire des vainqueurs que nous rabâche la vulgate néo-libérale : « l’économie de marché » (nom plus cool du capitalisme) est notre passé, notre présent et notre avenir ; vulgate reconduite sous la forme atténuée du social-libéralisme par Lionel Jospin avec sa distinction bancale entre « économie de marché » (qui serait nécessaire) et « société de marché » (« excès » qui serait condamnable). Radicalement mélancoliques, il nous faudrait alors chanter avec Charles Aznavour : « Et mon passé revient du fond de sa défaite... »(« Non, je n’ai rien oublié »). Le chanteur retrouve des accents de la philosophie de l’histoire de Walter Benjamin1 : les défaites ne sont jamais définitives, car elles peuvent prendre la forme des bonheurs de demain, si l’on sait saisir l’occasion, la mémoire en bandoulière. La tâche est ardue pour les nouvelles radicalités qui travaillent depuis quelque temps les mouvements sociaux, le champ intellectuel et même la politique électorale : ne pas se contenter de recommencer « comme avant » en surfant simplement sur la vague anti-libérale, donner un sens actuel aux utopies de la tradition.
PLPL et
le renouveau critique
Pour identifier quelques-uns des problèmes que nous rencontrons dans ce défi, je m’arrêterais sur PLPL (Pour Lire Pas Lu), le journal de critique des médias lancé depuis juin 2000, sous la houlette notamment de Pierre Carles, Thierry Discepolo et Serge Halimi. Bien que se situant à l’écart des engagements de terrain, il a l’intérêt, comme souvent les productions intellectuelles, de systématiser et de cristalliser des postures qui apparaissent plus diluées dans les pratiques militantes quotidiennes. Ce premier décryptage de certains des écueils qui nous menacent renvoie bien à un nous, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’une vue en surplomb, mais d’un débat critique mené de l’intérieur des nouvelles radicalités, par quelqu’un qui a été et est partie prenante de ses composantes syndicales (SUD-Éducation), associatives (mouvement des chômeurs, comité lyonnais contre la double peine, Attac, etc.), politiques (des Verts à la LCR) et intellectuelles (club Merleau-Ponty, revues Mouvements et ContreTemps) depuis 1995. Débat critique aussi avec moi-même et mes camarades les plus proches, car les limitations repérées sont aussi, pour une part au moins, les miennes et les nôtres.
Mais il serait injuste de ne pas commencer par ce en quoi l’initiative PLPL témoigne d’une renaissance de la critique sociale. La liberté de ton, le recours à l’ironie, voire l’espièglerie redonnent vie au combat sans le figer dans les anciennes langues de bois. PLPL montre en acte, dans une certaine veine situationniste, que le langage politique, même critique et radical, est trop souvent plombé par une paresse rhétorique, par des précautions tactiques à destination d’un public de spécialistes ou par des connivences quotidiennes qu’on préfère pieusement taire. En choisissant principalement pour cibles les médias, les journalistes et les personnalités médiatisées, les rédacteurs de PLPL signifient clairement qu’il n’y a pas de lieu social privilégié qui pourrait échapper par essence au travail de la critique, et qu’il serait bien mal venu de la part de journalistes d’instituer « le quatrième pouvoir » comme un pouvoir intouchable, sans contre-pouvoir envisageable, et de faire du principe de « la liberté de la presse » une protection quasi-religieuse contre la liberté de la critique. Des hypocrisies peuvent s’en trouver irrémédiablement fissurées. C’est pourquoi nous conseillons aux journalistes qui sont habituellement ridiculisés dans PLPL (Sylvain Bourmeau, Jean-Marie Colombani, Jean-Michel Helvig, Laurent Joffrin, Serge July, Edwy Plenel, Daniel Schneidermann, Philippe Val, etc.) de s’y abonner le plus vite possible2, si ce n’est déjà fait, pour manifester leur pleine adhésion aux valeurs pluralistes du libéralisme politique, et notamment à cette remarque de Montesquieu dans De l’esprit des lois (1748) qui n’a pas fini de titiller salutairement conservateurs comme radicaux : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Quant à ceux qui sont mis, de manière plus ou moins éphémère, sous les feux de la rampe médiatique, y compris parmi les moins conformistes, la douche froide de la satire n’apparaît-elle pas comme un antidote bienvenu face aux excès du narcissisme, de nos penchants narcissiques ? Nous avons donc à apprendre positivement de l’expérience PLPL, et d’abord sur nous-mêmes.
Cours, cours camarade : la nouvelle critique
est derrière toi ?
Mais c’est également du négatif d’une expérience, de ses errements et de ses fausses solutions trop évidentes, qu’on est susceptible de tirer nombre d’enseignements. Je m’intéresserai moins, d’ailleurs, à PLPL en soi qu’à la part de ses présupposés qui sourdent plus ou moins explicitement à travers les nouvelles radicalités, et qui pourraient les ramener en arrière.
La nostalgie de la totalité – La gauche et le mouvement ouvrier ont hérité avec la catégorie hégélienne de « totalité » de prétentions religieuses antérieures aux Lumières, mais prolongées d’une certaine façon dans les Lumières conquérantes. Avec la notion de « totalité » ou de « système », on avait l’impression de « maîtriser » : maîtriser l’amont dans la critique du « système capitaliste » et maîtriser l’aval avec la perspective d’une société « réunifiée et transparente à elle-même » (« socialiste », « communiste » ou « anarchiste »). Aujourd’hui, alors que les référents positifs de l’avenir ont été brouillés, ne reste plus, nostalgiquement, que l’amont avec la critique du « système ». Dans PLPL, ce « système » apparaît omniprésent, cohérent, fonctionnel, doté d’un pouvoir de « récupération » immense. Les « faux critiques » (« les faux impertinents » selon la terminologie du n°0 de juin 2000) qui peupleraient les médias, jusque dans les rangs d’une gauche « apparemment » radicale, sont montrés sous leur « vrai » jour : leur « corruption » par « le système » et leur contribution masquée à son « fonctionnement ». Ainsi Sylvain Bourmeau et Les Inrockuptibles, Philippe Val et Charlie Hebdo, « les vedettes parisiennes du radical-chic » comme... Daniel Bensaïd ou « le BHL de la contestation », Christophe Aguiton, seraient (enfin !) démasqués comme des « traîtres au service du système ». Parfois, ce systémisme prend une tonalité économiste chère aux « marxismes » les plus caricaturaux. Le sociologue Cyril Lemieux est ainsi qualifié de « sociologue rampant » pour avoir invoqué « la complexité du réel » et oublié « la dernière instance » : « le fonctionnement dans la presse du totalitarisme de l’argent » (n°2/3, février 2001). Toutefois, le plus souvent, c’est le schéma du « complot », c’est-à-dire d’une intentionnalité organisée et cachée (entre journalistes, intellectuels médiatiques, politiques et patrons), qui a le dernier mot. Il est vrai que le style satirique s’y prête tout particulièrement comme le roman policier.
Une puissante sociologie critique comme celle de Pierre Bourdieu, qui constitue pourtant une des rares références positives de PLPL, nous a appris depuis longtemps à assouplir et à pluraliser notre vision du monde social. Tout d’abord, elle a irrémédiablement récusé la thématique du « complot » – dont Maurice Merleau-Ponty a écrit qu’elle « est toujours celle des accusateurs parce qu’ils partagent avec les préfets de police l’idée naïve d’une histoire faite de machinations individuelles »3 – en nous montrant que les mécanismes de domination étaient plus intelligents que les plus intelligents des dominants et plus efficaces que leurs tentatives explicites de concertation. Et surtout elle a avancé une vision pluri-dimensionnelle de la société, organisée autour d’une diversité de modes de domination (exploitation économique, domination masculine, domination politique, domination culturelle, domination technocratique, domination journalistique, etc.), à la fois autonomes et imbriqués de manière complexe dans une formation sociale comme la société française.
Certes, tous les types de domination n’ont pas le même poids dans les processus socio-historiques et on peut penser que, par exemple, l’exploitation capital/travail et la domination masculine sont plus générales et l’oppression des homosexuels ou de la culture basque plus localisées – et elles entretiennent bien des relations entre elles, mais on ne peut pas pour autant les réduire, même « en dernière instance », à l’une d’entre elles.
Ensuite, dans le sillage critique de Bourdieu, Claude Grignon et Jean-Claude Passeron4 nous ont mis en garde contre la tentation « domino-centrée » de voir l’ensemble de la réalité à travers la notion de « domination », et de ne saisir le populaire que sous le regard du dominant, sans autonomie ni capacités critiques, simplement « aliéné ».
D’autre part, ouvrant d’autres pistes, les travaux initiés par Luc Boltanski et Laurent Thévenot ont mis en évidence qu’il y avait, déjà dans la société telle qu’elle est, des relations sociales (morales, principes de justice, amour, compassion, etc.) dont n’arrivait pas à rendre compte la notion de « domination ». C’est dans cette perspective justement que Cyril Lemieux5, à partir d’enquêtes, a repéré une autonomie de l’activité journalistique vis-à-vis des contraintes économiques, notamment à travers des savoir-faire et des morales professionnels. Cela n’élimine pas les contraintes économiques, mais évite de croire que tenir le seul fil du « système économique » suffit pour comprendre ce que font les gens et pourquoi ils le font. Or, avec l’à-peu-près des pensées de « système », on ne voit plus les différences, et, par exemple, on confond Le Monde, Libération, Les Inrockuptibles ou même Charlie Hebdo avec TF1 ou plus abstraitement avec « Le Capital », monstre froid auquel rien n’échappe sauf une poignée de « vrais » critiques6. La propension, commune aux gauchistes et aux intellectuels, à faire du plus proche l’ennemi principal favorise la pratique d’un tel amalgame.
« Les choses sont simples » répète inlassablement PLPL, comme jadis les détenteurs de « lignes justes » ; non, elles sont éminemment complexes répondent les sociologies critiques contemporaines. Elles nous invitent alors à trouver une autre inspiration : la recherche d’une cartographie globale du monde qui abandonne la nostalgie de la totalité, en accueillant la pluralité, la discordance et l’aléatoire.
L’illusion de la pureté
Le « système » aurait un dedans et un dehors strictement établis : nos « vrais » critiques sont dehors, les « faux impertinents » ont été pris la main dans le sac. Mais qu’est-ce que cette étrange position du « dehors », cette « pureté » qui ne serait pas contaminée par « le système » ? Si l’on suit Maurice Merleau-Ponty, je suis d’abord « au monde ». Par tous les pores de ma peau, par mes gestes, par mes mots, etc., je suis pris dans la société dans laquelle je vis : dans ses institutions, dans ses stéréotypes, dans son histoire. Ce constat merleau-pontien est renforcé par les sciences sociales avec la notion de « socialisation ». C’est pourquoi je n’articule de position critique qu’à partir de cette présence première au monde. J’ai donc les pieds en plein dans « l’impureté ». Et pour vivre, je passe chaque jour des compromis avec le monde ou plutôt dans le monde. Il y aurait donc une illusion sur soi-même dans la mise en scène de soi comme personne surhumaine échappant aux prises du monde sur soi et en soi. Une analyse convergente a amené Rosa Luxemburg dès le début du XXe siècle à mettre au cœur de tout processus de transformation sociale une dialectique indépassable du dedans/dehors : nous sommes de ce monde, nous lui ressemblons (nous, en tant que personnes, mais aussi les associations, les syndicats, les partis, les journaux, etc. que nous forgeons, jusqu’aux plus radicaux ou libertaires) et c’est pourtant à partir de ce monde que nous voulons aller au-delà, vers une autre société.
Il faut assumer cette dynamique contradictoire, cette « impureté ». D’autant plus qu’il s’agit de tenir compte d’une autre dimension révélée par Machiavel : une part importante des circonstances de notre action nous échappe et peut nous entraîner dans des directions opposées à nos intentions (de bonnes intentions pouvant produire de mauvais effets et de mauvaises intentions de bons effets). L’action humaine doit donc admettre sa fragilité, ses faiblesses constitutives.
Certes, il est fort utile de retenir de PLPL la vigilance à l’égard des fortes capacités de « récupération » des ordres établis, comme l’ont montré une fois de plus Luc Boltanski et Eve Chiapello7 dans leur analyse du processus d’incorporation des critiques soixante-huitardes par le néo-capitalisme. Mais il n’y a pas de position d’extériorité radicale qui permettrait à quelques-uns – une nouvelle « avant-garde » ? – de tracer définitivement la frontière séparant les compromis ordinaires de tout un chacun de la compromission avec les logiques dominantes. Il n’y a pas de garantie ultime dans ce combat avec le monde et avec soi, mais seulement l’appui fragile d’une inquiétude éthique. Et, humains, simplement humains, tentons justement d’humaniser cette morale de l’inquiétude en trouvant quelque gaieté dans ce qu’Antonia Birnbaum nomme « les vertus héroïques du défaut »8 et que Patrice Novotny a appelé un jour « le bonheur d’être imparfait », plutôt que de se gonfler d’importance comme dans un mauvais western, en laissant le ressentiment nourrir nos coliques !
Un narcissisme
de la critique
L’omniscience malfaisante du « système » à un bout, la pureté du critique à l’autre : il y a peu de place pour l’auto-analyse critique dans ce dispositif discursif. L’enfer, c’est nécessairement « les autres » ! L’énonciateur de la critique a oublié de s’interroger lui-même, pire, en creux, il s’est en quelque sorte magnifié : en montrant d’un doigt inquisiteur combien « ils sont sales », j’indique subrepticement combien « je suis propre ». « L’homme moral a toujours des retours pleins de tristesse sur lui-même. L’homme léger demeure content de lui-même et accuse Pierre, Paul, Jean de ses déconvenues » écrivait Georges Sorel9, en visant le Péguy de Notre jeunesse (1910) qui accusait notamment Jaurès de la « corruption » parlementaire de l’idéal dreyfusard. L’homme fragile, porteur d’erreurs et d’hésitations face à un cours historique pour une part incertain, n’a pas de place chez Péguy ou dans PLPL : ni du côté des « accusés », ni du côté des « accusateurs ». À l’omniscience supposée du « système » et de ses « complots » permanents répondrait l’omniscience du critique pur, qui n’a jamais de comptes à rendre : « le journal qui mord et qui fuit » tel est le sous-titre de PLPL, dont les articles sont... anonymes. Le genre satirique porte-t-il nécessairement en lui-même la protection et le confort de celui qui le manie ? Non, répond l’écrivain Claudio Magris10 : « le rire le plus franc est celui qui mêle ironie, auto-ironie et respect : le rire de celui qui, tout en se moquant des autres (...), se moque aussi de lui-même, dissipant toute suffisance et jouissant de cette gaieté qui n’appartient qu’à ceux qui sont libres de toute présomption à l’égard d’eux-mêmes ». Non, répond aussi en pratique le « sous-commandant » Marcos, qui est un des premiers à avoir mis l’auto-ironie au programme du renouvellement du langage politique radical.
Il appartient sans doute à une nouvelle politique de la fragilité, qui reste à inventer au contact des certitudes désenchantées du passé, de donner sa part au retour critique sur soi, ses préjugés, ses aveuglements et ceux de ses familles politiques et intellectuelles.
Le combat contre la recherche
« Système » plutôt que formation sociale plurielle, « pureté » plutôt que fragilité, critique auto-protectrice plutôt qu’auto-analyse critique : c’est la dynamique du combat qui oriente principalement la démarche de PLPL, comme d’autres secteurs des nouvelles radicalités surtout polarisés par la prégnance de « l’anti » (« anti-libéralisme », « anti-mondialisation », etc.). La priorité donnée au combat tend à oblitérer une série de questions, à les ramener au « secondaire », ou même à voir en elle une « faiblesse » face à « l’adversaire » (ce « système » tout-puissant), l’amorce de « la compromission » ou de « la trahison » (surtout lorsqu’on va jusqu’à reconnaître que c’est parmi les « adversaires » que de bonnes questions ont été posées et parmi les « alliés » que des stupidités ont été énoncées).
Ces questions, dont nous avons commencé à formuler quelques-unes, s’inscrivent dans une autre logique : celle de la recherche. Sa mise entre parenthèses pouvait passer (même si cela a été dévastateur, à plusieurs reprises, pour le mouvement ouvrier) quand les cadres intellectuels et les perspectives politiques de la gauche étaient stabilisés. Mais aujourd’hui que les référents éthiques et politiques du combat émancipateur sont devenus plus flous, cela a encore moins de sens. Ne sommes-nous pas enjoints à esquisser un équilibre instable entre deux pôles également nécessaires : la logique du combat et la logique de la recherche ?
J’ai sans doute trop pris au sérieux le discours de PLPL, en sous-estimant son caractère potache, n’engageant pas à grand-chose si ce n’est à s’amuser en jouant à « épater le bourgeois ». Cette initiative se révélerait décevante seulement si on y cherchait des points d’appui afin de reconstituer une politique radicale, car elle apparaît trop proche du passé que nous nous efforçons de mettre à distance. En revanche, en tant que pièce dans l’équilibre libéral des pouvoirs et des contre-pouvoirs, alors que les médias ont parfois des prétentions à l’intouchabilité, elle a sans doute un avenir. Bref, son apport à la radicalité est à relativiser, mais sa portée pragmatique est à réévaluer.
A-t-on pour autant beaucoup avancé quant au « que faire ? » du départ ? Un début de signalisation des routes les plus empruntées et de leurs écueils n’est pas rien, mais l’essentiel demeure devant nous, avec pas mal de pain sur la planche…
Bluette anonyme
Philippe Corcuff a choisi, pour participer à ce dossier Que faire ?, d’interroger les postures des nouvelles radicalités et de certains journaux indépendants, plus précisément celles du mordant PLPL (dont nous avions salué l’existence dès son numéro O, cf. Passant, n°32). Son questionnement nous est apparu à la fois original et pertinent, nous obligeant à nous interroger sur nos propres positions. Néanmoins, les animateurs de PLPL, épinglés dans les lignes qui suivent, nous semblent également participer pleinement aux débats intellectuels critiques sur notre société et les colonnes du Passant leurs sont ouvertes pour nourrir cette controverse.
Quand on demande « que faire ? » aujourd’hui, à un moment où une gauche dans le coma est paraît-il « au pouvoir » et que des centaines de milliers d’anciens militants et sympathisants de cette gauche sont déboussolés par une succession de désenchantements entremêlés (désenchantements communiste, gauchiste, socialiste... en attendant le proche désenchantement vert), on peut difficilement ne pas jeter un œil dans le rétroviseur de nos erreurs, de nos impasses et de nos désillusions, mais aussi de nos légitimes aspirations émancipatrices non assouvies. Bref, se dessine ici la question de la réélaboration critique de notre passé.
Ce passé se présente au moins sous deux aspects : passé-poids mort susceptible de plomber nos perspectives d’avenir, et passé-aiguillon porteur de rêves non aboutis. Dans le premier cas, « le mort saisit le vif » (Marx), le passé de nos conneries pourrait, tel un virus informatique, contaminer les nouveaux logiciels du futur. Dans le deuxième cas, on a à résister à l’histoire des vainqueurs que nous rabâche la vulgate néo-libérale : « l’économie de marché » (nom plus cool du capitalisme) est notre passé, notre présent et notre avenir ; vulgate reconduite sous la forme atténuée du social-libéralisme par Lionel Jospin avec sa distinction bancale entre « économie de marché » (qui serait nécessaire) et « société de marché » (« excès » qui serait condamnable). Radicalement mélancoliques, il nous faudrait alors chanter avec Charles Aznavour : « Et mon passé revient du fond de sa défaite... »(« Non, je n’ai rien oublié »). Le chanteur retrouve des accents de la philosophie de l’histoire de Walter Benjamin1 : les défaites ne sont jamais définitives, car elles peuvent prendre la forme des bonheurs de demain, si l’on sait saisir l’occasion, la mémoire en bandoulière. La tâche est ardue pour les nouvelles radicalités qui travaillent depuis quelque temps les mouvements sociaux, le champ intellectuel et même la politique électorale : ne pas se contenter de recommencer « comme avant » en surfant simplement sur la vague anti-libérale, donner un sens actuel aux utopies de la tradition.
PLPL et
le renouveau critique
Pour identifier quelques-uns des problèmes que nous rencontrons dans ce défi, je m’arrêterais sur PLPL (Pour Lire Pas Lu), le journal de critique des médias lancé depuis juin 2000, sous la houlette notamment de Pierre Carles, Thierry Discepolo et Serge Halimi. Bien que se situant à l’écart des engagements de terrain, il a l’intérêt, comme souvent les productions intellectuelles, de systématiser et de cristalliser des postures qui apparaissent plus diluées dans les pratiques militantes quotidiennes. Ce premier décryptage de certains des écueils qui nous menacent renvoie bien à un nous, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas d’une vue en surplomb, mais d’un débat critique mené de l’intérieur des nouvelles radicalités, par quelqu’un qui a été et est partie prenante de ses composantes syndicales (SUD-Éducation), associatives (mouvement des chômeurs, comité lyonnais contre la double peine, Attac, etc.), politiques (des Verts à la LCR) et intellectuelles (club Merleau-Ponty, revues Mouvements et ContreTemps) depuis 1995. Débat critique aussi avec moi-même et mes camarades les plus proches, car les limitations repérées sont aussi, pour une part au moins, les miennes et les nôtres.
Mais il serait injuste de ne pas commencer par ce en quoi l’initiative PLPL témoigne d’une renaissance de la critique sociale. La liberté de ton, le recours à l’ironie, voire l’espièglerie redonnent vie au combat sans le figer dans les anciennes langues de bois. PLPL montre en acte, dans une certaine veine situationniste, que le langage politique, même critique et radical, est trop souvent plombé par une paresse rhétorique, par des précautions tactiques à destination d’un public de spécialistes ou par des connivences quotidiennes qu’on préfère pieusement taire. En choisissant principalement pour cibles les médias, les journalistes et les personnalités médiatisées, les rédacteurs de PLPL signifient clairement qu’il n’y a pas de lieu social privilégié qui pourrait échapper par essence au travail de la critique, et qu’il serait bien mal venu de la part de journalistes d’instituer « le quatrième pouvoir » comme un pouvoir intouchable, sans contre-pouvoir envisageable, et de faire du principe de « la liberté de la presse » une protection quasi-religieuse contre la liberté de la critique. Des hypocrisies peuvent s’en trouver irrémédiablement fissurées. C’est pourquoi nous conseillons aux journalistes qui sont habituellement ridiculisés dans PLPL (Sylvain Bourmeau, Jean-Marie Colombani, Jean-Michel Helvig, Laurent Joffrin, Serge July, Edwy Plenel, Daniel Schneidermann, Philippe Val, etc.) de s’y abonner le plus vite possible2, si ce n’est déjà fait, pour manifester leur pleine adhésion aux valeurs pluralistes du libéralisme politique, et notamment à cette remarque de Montesquieu dans De l’esprit des lois (1748) qui n’a pas fini de titiller salutairement conservateurs comme radicaux : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Quant à ceux qui sont mis, de manière plus ou moins éphémère, sous les feux de la rampe médiatique, y compris parmi les moins conformistes, la douche froide de la satire n’apparaît-elle pas comme un antidote bienvenu face aux excès du narcissisme, de nos penchants narcissiques ? Nous avons donc à apprendre positivement de l’expérience PLPL, et d’abord sur nous-mêmes.
Cours, cours camarade : la nouvelle critique
est derrière toi ?
Mais c’est également du négatif d’une expérience, de ses errements et de ses fausses solutions trop évidentes, qu’on est susceptible de tirer nombre d’enseignements. Je m’intéresserai moins, d’ailleurs, à PLPL en soi qu’à la part de ses présupposés qui sourdent plus ou moins explicitement à travers les nouvelles radicalités, et qui pourraient les ramener en arrière.
La nostalgie de la totalité – La gauche et le mouvement ouvrier ont hérité avec la catégorie hégélienne de « totalité » de prétentions religieuses antérieures aux Lumières, mais prolongées d’une certaine façon dans les Lumières conquérantes. Avec la notion de « totalité » ou de « système », on avait l’impression de « maîtriser » : maîtriser l’amont dans la critique du « système capitaliste » et maîtriser l’aval avec la perspective d’une société « réunifiée et transparente à elle-même » (« socialiste », « communiste » ou « anarchiste »). Aujourd’hui, alors que les référents positifs de l’avenir ont été brouillés, ne reste plus, nostalgiquement, que l’amont avec la critique du « système ». Dans PLPL, ce « système » apparaît omniprésent, cohérent, fonctionnel, doté d’un pouvoir de « récupération » immense. Les « faux critiques » (« les faux impertinents » selon la terminologie du n°0 de juin 2000) qui peupleraient les médias, jusque dans les rangs d’une gauche « apparemment » radicale, sont montrés sous leur « vrai » jour : leur « corruption » par « le système » et leur contribution masquée à son « fonctionnement ». Ainsi Sylvain Bourmeau et Les Inrockuptibles, Philippe Val et Charlie Hebdo, « les vedettes parisiennes du radical-chic » comme... Daniel Bensaïd ou « le BHL de la contestation », Christophe Aguiton, seraient (enfin !) démasqués comme des « traîtres au service du système ». Parfois, ce systémisme prend une tonalité économiste chère aux « marxismes » les plus caricaturaux. Le sociologue Cyril Lemieux est ainsi qualifié de « sociologue rampant » pour avoir invoqué « la complexité du réel » et oublié « la dernière instance » : « le fonctionnement dans la presse du totalitarisme de l’argent » (n°2/3, février 2001). Toutefois, le plus souvent, c’est le schéma du « complot », c’est-à-dire d’une intentionnalité organisée et cachée (entre journalistes, intellectuels médiatiques, politiques et patrons), qui a le dernier mot. Il est vrai que le style satirique s’y prête tout particulièrement comme le roman policier.
Une puissante sociologie critique comme celle de Pierre Bourdieu, qui constitue pourtant une des rares références positives de PLPL, nous a appris depuis longtemps à assouplir et à pluraliser notre vision du monde social. Tout d’abord, elle a irrémédiablement récusé la thématique du « complot » – dont Maurice Merleau-Ponty a écrit qu’elle « est toujours celle des accusateurs parce qu’ils partagent avec les préfets de police l’idée naïve d’une histoire faite de machinations individuelles »3 – en nous montrant que les mécanismes de domination étaient plus intelligents que les plus intelligents des dominants et plus efficaces que leurs tentatives explicites de concertation. Et surtout elle a avancé une vision pluri-dimensionnelle de la société, organisée autour d’une diversité de modes de domination (exploitation économique, domination masculine, domination politique, domination culturelle, domination technocratique, domination journalistique, etc.), à la fois autonomes et imbriqués de manière complexe dans une formation sociale comme la société française.
Certes, tous les types de domination n’ont pas le même poids dans les processus socio-historiques et on peut penser que, par exemple, l’exploitation capital/travail et la domination masculine sont plus générales et l’oppression des homosexuels ou de la culture basque plus localisées – et elles entretiennent bien des relations entre elles, mais on ne peut pas pour autant les réduire, même « en dernière instance », à l’une d’entre elles.
Ensuite, dans le sillage critique de Bourdieu, Claude Grignon et Jean-Claude Passeron4 nous ont mis en garde contre la tentation « domino-centrée » de voir l’ensemble de la réalité à travers la notion de « domination », et de ne saisir le populaire que sous le regard du dominant, sans autonomie ni capacités critiques, simplement « aliéné ».
D’autre part, ouvrant d’autres pistes, les travaux initiés par Luc Boltanski et Laurent Thévenot ont mis en évidence qu’il y avait, déjà dans la société telle qu’elle est, des relations sociales (morales, principes de justice, amour, compassion, etc.) dont n’arrivait pas à rendre compte la notion de « domination ». C’est dans cette perspective justement que Cyril Lemieux5, à partir d’enquêtes, a repéré une autonomie de l’activité journalistique vis-à-vis des contraintes économiques, notamment à travers des savoir-faire et des morales professionnels. Cela n’élimine pas les contraintes économiques, mais évite de croire que tenir le seul fil du « système économique » suffit pour comprendre ce que font les gens et pourquoi ils le font. Or, avec l’à-peu-près des pensées de « système », on ne voit plus les différences, et, par exemple, on confond Le Monde, Libération, Les Inrockuptibles ou même Charlie Hebdo avec TF1 ou plus abstraitement avec « Le Capital », monstre froid auquel rien n’échappe sauf une poignée de « vrais » critiques6. La propension, commune aux gauchistes et aux intellectuels, à faire du plus proche l’ennemi principal favorise la pratique d’un tel amalgame.
« Les choses sont simples » répète inlassablement PLPL, comme jadis les détenteurs de « lignes justes » ; non, elles sont éminemment complexes répondent les sociologies critiques contemporaines. Elles nous invitent alors à trouver une autre inspiration : la recherche d’une cartographie globale du monde qui abandonne la nostalgie de la totalité, en accueillant la pluralité, la discordance et l’aléatoire.
L’illusion de la pureté
Le « système » aurait un dedans et un dehors strictement établis : nos « vrais » critiques sont dehors, les « faux impertinents » ont été pris la main dans le sac. Mais qu’est-ce que cette étrange position du « dehors », cette « pureté » qui ne serait pas contaminée par « le système » ? Si l’on suit Maurice Merleau-Ponty, je suis d’abord « au monde ». Par tous les pores de ma peau, par mes gestes, par mes mots, etc., je suis pris dans la société dans laquelle je vis : dans ses institutions, dans ses stéréotypes, dans son histoire. Ce constat merleau-pontien est renforcé par les sciences sociales avec la notion de « socialisation ». C’est pourquoi je n’articule de position critique qu’à partir de cette présence première au monde. J’ai donc les pieds en plein dans « l’impureté ». Et pour vivre, je passe chaque jour des compromis avec le monde ou plutôt dans le monde. Il y aurait donc une illusion sur soi-même dans la mise en scène de soi comme personne surhumaine échappant aux prises du monde sur soi et en soi. Une analyse convergente a amené Rosa Luxemburg dès le début du XXe siècle à mettre au cœur de tout processus de transformation sociale une dialectique indépassable du dedans/dehors : nous sommes de ce monde, nous lui ressemblons (nous, en tant que personnes, mais aussi les associations, les syndicats, les partis, les journaux, etc. que nous forgeons, jusqu’aux plus radicaux ou libertaires) et c’est pourtant à partir de ce monde que nous voulons aller au-delà, vers une autre société.
Il faut assumer cette dynamique contradictoire, cette « impureté ». D’autant plus qu’il s’agit de tenir compte d’une autre dimension révélée par Machiavel : une part importante des circonstances de notre action nous échappe et peut nous entraîner dans des directions opposées à nos intentions (de bonnes intentions pouvant produire de mauvais effets et de mauvaises intentions de bons effets). L’action humaine doit donc admettre sa fragilité, ses faiblesses constitutives.
Certes, il est fort utile de retenir de PLPL la vigilance à l’égard des fortes capacités de « récupération » des ordres établis, comme l’ont montré une fois de plus Luc Boltanski et Eve Chiapello7 dans leur analyse du processus d’incorporation des critiques soixante-huitardes par le néo-capitalisme. Mais il n’y a pas de position d’extériorité radicale qui permettrait à quelques-uns – une nouvelle « avant-garde » ? – de tracer définitivement la frontière séparant les compromis ordinaires de tout un chacun de la compromission avec les logiques dominantes. Il n’y a pas de garantie ultime dans ce combat avec le monde et avec soi, mais seulement l’appui fragile d’une inquiétude éthique. Et, humains, simplement humains, tentons justement d’humaniser cette morale de l’inquiétude en trouvant quelque gaieté dans ce qu’Antonia Birnbaum nomme « les vertus héroïques du défaut »8 et que Patrice Novotny a appelé un jour « le bonheur d’être imparfait », plutôt que de se gonfler d’importance comme dans un mauvais western, en laissant le ressentiment nourrir nos coliques !
Un narcissisme
de la critique
L’omniscience malfaisante du « système » à un bout, la pureté du critique à l’autre : il y a peu de place pour l’auto-analyse critique dans ce dispositif discursif. L’enfer, c’est nécessairement « les autres » ! L’énonciateur de la critique a oublié de s’interroger lui-même, pire, en creux, il s’est en quelque sorte magnifié : en montrant d’un doigt inquisiteur combien « ils sont sales », j’indique subrepticement combien « je suis propre ». « L’homme moral a toujours des retours pleins de tristesse sur lui-même. L’homme léger demeure content de lui-même et accuse Pierre, Paul, Jean de ses déconvenues » écrivait Georges Sorel9, en visant le Péguy de Notre jeunesse (1910) qui accusait notamment Jaurès de la « corruption » parlementaire de l’idéal dreyfusard. L’homme fragile, porteur d’erreurs et d’hésitations face à un cours historique pour une part incertain, n’a pas de place chez Péguy ou dans PLPL : ni du côté des « accusés », ni du côté des « accusateurs ». À l’omniscience supposée du « système » et de ses « complots » permanents répondrait l’omniscience du critique pur, qui n’a jamais de comptes à rendre : « le journal qui mord et qui fuit » tel est le sous-titre de PLPL, dont les articles sont... anonymes. Le genre satirique porte-t-il nécessairement en lui-même la protection et le confort de celui qui le manie ? Non, répond l’écrivain Claudio Magris10 : « le rire le plus franc est celui qui mêle ironie, auto-ironie et respect : le rire de celui qui, tout en se moquant des autres (...), se moque aussi de lui-même, dissipant toute suffisance et jouissant de cette gaieté qui n’appartient qu’à ceux qui sont libres de toute présomption à l’égard d’eux-mêmes ». Non, répond aussi en pratique le « sous-commandant » Marcos, qui est un des premiers à avoir mis l’auto-ironie au programme du renouvellement du langage politique radical.
Il appartient sans doute à une nouvelle politique de la fragilité, qui reste à inventer au contact des certitudes désenchantées du passé, de donner sa part au retour critique sur soi, ses préjugés, ses aveuglements et ceux de ses familles politiques et intellectuelles.
Le combat contre la recherche
« Système » plutôt que formation sociale plurielle, « pureté » plutôt que fragilité, critique auto-protectrice plutôt qu’auto-analyse critique : c’est la dynamique du combat qui oriente principalement la démarche de PLPL, comme d’autres secteurs des nouvelles radicalités surtout polarisés par la prégnance de « l’anti » (« anti-libéralisme », « anti-mondialisation », etc.). La priorité donnée au combat tend à oblitérer une série de questions, à les ramener au « secondaire », ou même à voir en elle une « faiblesse » face à « l’adversaire » (ce « système » tout-puissant), l’amorce de « la compromission » ou de « la trahison » (surtout lorsqu’on va jusqu’à reconnaître que c’est parmi les « adversaires » que de bonnes questions ont été posées et parmi les « alliés » que des stupidités ont été énoncées).
Ces questions, dont nous avons commencé à formuler quelques-unes, s’inscrivent dans une autre logique : celle de la recherche. Sa mise entre parenthèses pouvait passer (même si cela a été dévastateur, à plusieurs reprises, pour le mouvement ouvrier) quand les cadres intellectuels et les perspectives politiques de la gauche étaient stabilisés. Mais aujourd’hui que les référents éthiques et politiques du combat émancipateur sont devenus plus flous, cela a encore moins de sens. Ne sommes-nous pas enjoints à esquisser un équilibre instable entre deux pôles également nécessaires : la logique du combat et la logique de la recherche ?
J’ai sans doute trop pris au sérieux le discours de PLPL, en sous-estimant son caractère potache, n’engageant pas à grand-chose si ce n’est à s’amuser en jouant à « épater le bourgeois ». Cette initiative se révélerait décevante seulement si on y cherchait des points d’appui afin de reconstituer une politique radicale, car elle apparaît trop proche du passé que nous nous efforçons de mettre à distance. En revanche, en tant que pièce dans l’équilibre libéral des pouvoirs et des contre-pouvoirs, alors que les médias ont parfois des prétentions à l’intouchabilité, elle a sans doute un avenir. Bref, son apport à la radicalité est à relativiser, mais sa portée pragmatique est à réévaluer.
A-t-on pour autant beaucoup avancé quant au « que faire ? » du départ ? Un début de signalisation des routes les plus empruntées et de leurs écueils n’est pas rien, mais l’essentiel demeure devant nous, avec pas mal de pain sur la planche…
* Militant de la gauche radicale et maître de conférences en science politique à l’IEP de Lyon.
(1) Voir les récents commentaires de Michael Löwy, Walter Benjamin : Avertissement d’incendie - Une lecture des thèses « Sur le concept d’histoire », PUF, 2001.
(2) 100 F pour 10 numéros à : PLPL, BP 2326, 13213 Marseille Cedex 02.
(3) Dans Humanisme et terreur (1ère éd. : 1947), Gallimard, coll. Idées, 1980, p. 127.
(4) Dans Le savant et le populaire, Gallimard-Seuil, coll. Hautes Etudes, 1989.
(5) Dans Mauvaise presse - Une sociologie compréhensive du travail journalistique et de ses critiques, Métailié, 2000.
(6) « Vrais » critiques qui, à leur tour, pourraient être harangués par des « plus purs » dans un PQPQ qui étalerait leurs « compromissions bourgeoises et petites-bourgeoises »...
(7) Dans Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999.
(8) Dans Nietzsche - Les aventures de l’héroïsme (Payot, 2000), ouvrage stimulant jusque dans les réticences qu’il suscite.
(9) Juillet 1910, repris dans Notre jeunesse, Gallimard, coll. Folio, 1993, p. 321.
(10) Dans son beau livre Utopie et désenchantement (1ère éd. italienne : 1999), Gallimard, 2001.
(1) Voir les récents commentaires de Michael Löwy, Walter Benjamin : Avertissement d’incendie - Une lecture des thèses « Sur le concept d’histoire », PUF, 2001.
(2) 100 F pour 10 numéros à : PLPL, BP 2326, 13213 Marseille Cedex 02.
(3) Dans Humanisme et terreur (1ère éd. : 1947), Gallimard, coll. Idées, 1980, p. 127.
(4) Dans Le savant et le populaire, Gallimard-Seuil, coll. Hautes Etudes, 1989.
(5) Dans Mauvaise presse - Une sociologie compréhensive du travail journalistique et de ses critiques, Métailié, 2000.
(6) « Vrais » critiques qui, à leur tour, pourraient être harangués par des « plus purs » dans un PQPQ qui étalerait leurs « compromissions bourgeoises et petites-bourgeoises »...
(7) Dans Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard, 1999.
(8) Dans Nietzsche - Les aventures de l’héroïsme (Payot, 2000), ouvrage stimulant jusque dans les réticences qu’il suscite.
(9) Juillet 1910, repris dans Notre jeunesse, Gallimard, coll. Folio, 1993, p. 321.
(10) Dans son beau livre Utopie et désenchantement (1ère éd. italienne : 1999), Gallimard, 2001.