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Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
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© Passant n°36 [septembre 2001 - octobre 2001]
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Les Nuits Atypiques de Langon : faire modeste


Festival citoyen et alternatif, les Nuits Atypiques de Langon fêtaient cette année le dixième anniversaire de leur création. En ouverture de la quarantaine de concerts, un forum co-organisé avec Attac ou comment lier éthique et esthétique, c’est l’aventure, le faire « modeste », poursuivis par Patrick Lavaud et son équipe.



Patrick Lavaud : Les Nuits Atypiques sont nées en 1992 dans le contexte bien particulier de Langon, une petite ville de 6000 habitants, une sous préfecture d’un territoire rural. Il fallait prendre le contre-pied de ce qu’on l’on pourrait y attendre : une ville qui se regarde le nombril, une culture provincialiste, et imaginer une manifestation qui ouvre Langon au reste du monde et pose cette relation entre l’ici et l’ailleurs, entre l’identité et l’altérité. L’altérité, c’était réfléchir à ce que pouvait être la force d’une petite ville comme Langon, c’était justement d’être enracinée dans des traditions de langue, de culture, de musique, de savoir vivre et d’accueil. Avec toutes ces forces-là, on avait la capacité d’être en contact avec le monde entier, cette formulation était déjà éminemment politique. La grande force des Nuits, c’est aussi d’avoir pris le temps de grandir, de s’enraciner dans le tissu local associatif, progressivement ; à partir de 95, on a imaginé que cela pouvait devenir quelque chose de plus conséquent, un « festival », sur quatre jours, plusieurs scènes, une quarantaine de concerts, des artistes qui viennent de loin et restent plusieurs jours à Langon, une manifestation qui pose la musique au cœur des contradictions de la société, et donc au-delà de la musique, des rencontres avec les artistes, des débats, une réflexion sur les relations nord-sud, une ouverture encore plus poussée aux autres cultures. Les musiques peuvent être un instrument, un vecteur d’interrogation sur une société qui produit toutes ces musiques.

Le Passant : Ce rapport entre musique et société se fait en particulier de façon très concrète avec le Burkina Faso. Quel est le sens de cette « exportation » des Nuits… ?

Echange et solidarité, ces deux mots caractérisent cette action. C’est parti des Saaba, un groupe de musiciens burkinabés venus chanter en 1994, d’excellents musiciens qui ont un discours extrêmement intéressant sur le développement local. L’argent qu’ils gagnent en jouant en Europe, ils l’ont investi dans un projet de centre d’éducation permanente à Koudougou, un lieu qui accueille 4 à 500 adolescents exclus du système scolaire. Un vrai projet de développement social, éducatif, pensé, structuré par des Africains. Un jour est née cette idée de créer un festival en Afrique, avec le même contenu, ce même sens, un lieu qui s’ouvre à l’autre, qui crée des passerelles entre les gens d’ici et les gens d’ailleurs. On a besoin de ça, d’être en contact différemment avec le monde, affirmaient les Saaba car l’éducation et la culture sont des ferments de développement et l’avenir de l’Afrique passe aussi par la culture et l’éducation. Nous, c’était des choses auxquelles on réfléchissait déjà. Comment nous, petite structure, pouvions-nous enclencher une coopération qui ne soit pas d’ordre institutionnelle ? On a lancé cette idée d’inventer un festival sans en avoir les moyens sur la base de la démerde, de l’entrain, de la solidarité. Notre rôle fut de leur donner confiance dans leur capacité à le faire, former des gens, animer des réunions, accueillir ici des stagiaires, les aider à constituer des dossiers, les accompagner dans les démarches auprès des organismes adéquats à Paris. Nous avons essayé, non d’amener des solutions toutes faites mais du bricolage ; du bricolage qui a une très haute valeur alors que, dans les politiques de coopération officielle, on est dans des logiques plus industrielles, un peu savantes où bien sûr le blanc sait tout, dit comment il faut faire ; nous nous sommes sur des positions beaucoup plus modestes.



Pour ce dixième anniversaire, vous débutez les Nuits avec une journée ATTAC. Quel symbole cela représente-t-il ?

Attac nous est apparue comme un allié objectif car plus on s’interroge sur le monde plus on se heurte à cette mondialisation libérale capitaliste ou tout devient marchandise. Plus on a invité des artistes du monde entier et plus on s’est déplacé dans le monde entier, plus on a compris qu’il fallait réfléchir sur ces questions-là. J’ai vu les ravages qu’on pu faire au Burkina Faso les plans d’ajustement de la Banque Mondiale et du F.M.I., où l’on arrive à des économies déstructurées, à des systèmes de santé, scolaire et universitaire qui tombent à l’eau. Il nous a donc semblé important de faire un point sérieux sur l’état de la mondialisation, sur les relations entre état et culture, et sur les alternatives.



En résumé, comment envisager le Que faire des Nuits ?

C’est une question extrêmement compliquée. La question « Que faire ? », on se la pose tous les jours et tous les jours on essaye d’y répondre. Déjà résister au bougisme et s’imposer une confrontation dialectique permanente entre action et réflexion. Chaque jour, on essaie d’inventer notre devenir. Nous sommes accrochés à cette idée que le devenir nous appartient, je ne sais pas de quoi va être fait demain, ce que je sais c’est que je travaille au présent pour que demain bouge et que le présent bouge aussi. Pour nous, les Nuits c’est notre seule réponse, une réponse locale, modeste mais s’il y avait plein de réponses comme ça partout dans chaque village, ça pourrait faire bouger les choses. Programmer tous les artistes que nous faisons venir, les faire écouter par le public, c’est déjà une logique d’ouvertures, donc d’éducation, donc peut-être d’émancipation. Nous n’avons pas de vérité révélée, on est en chemin, on invente et on construit une utopie de culture politique, citoyenne, d’être humain.



Propos recueillis par Jean-François Meekel

* Directeur des Nuits Atypiques de Langon.

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