Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°37 [novembre 2001 - décembre 2001]
© Passant n°37 [novembre 2001 - décembre 2001]
par Olivier Voirol
Imprimer l'articleLutte des réfugiés
contre le racisme institutionnel en AllemagneFondée en 1994, The Voice-Africa Forum1 est la première organisation autonome de réfugiés en Allemagne. Son but est de combattre les pratiques de déportation forcée et de développer une organisation autonome contre le traitement raciste prodigué par les autorités allemandes à l’égard des réfugiés. Elle a mené, au cours de l’année passée, une campagne dans plusieurs villes d’Allemagne contre la loi d’assignation à résidence.
La loi d’assignation à résidence
L’Allemagne dispose d’une loi d’assignation à résidence pour les réfugiés2. Cette loi est l’exemple même de ces nouvelles frontières intérieures établies par les Etats à des fins de contrôle sur des franges spécifiques de la population. Elle interdit aux requérants d’asile de quitter la commune ou le périmètre administratif dans lequel ils et elles sont inscrits. Les demandeurs d’asile sont en effet soumis aux procédures d’assignation à une commune particulière et doivent s’y tenir. Pour des cas d’exception, et au prix d’une demande dûment motivée auprès des autorités locales, une autorisation de déplacement, limitée dans le temps et d’un montant de 15 DM, peut être accordée. Il n’est pas rare que des requêtes soient refusées. Les autorités locales disposent d’une grande marge de manœuvre et décident souvent de manière arbitraire. Ainsi, le droit de mouvement repose souvent sur le fonctionnaire communal en charge du dossier « étrangers ». La sortie non avalisée par les autorités hors du périmètre administratif expose les réfugiés à de sévères sanctions. Le réfugié quittant le périmètre sans autorisation se trouve menacé, selon les cas, d’une amende pouvant s’élever jusqu’à 5000 DM, d’une année de privation de liberté et, en cas de répétition, d’expulsion du pays. L’« infraction » est dans tous les cas répertoriée dans le dossier de requête d’asile et joue un rôle dans la décision d’attribution ou non du droit d’asile. Aux contrôles policiers permanents auxquels sont confrontés les réfugiés lors de leurs rares déplacements, il faut ajouter la pratique de certains responsables de camps, consistant à établir quotidiennement des listes de présence pour vérifier si tous sont bien présents.
Les conséquences de la loi d’assignation à résidence sont nombreuses. Pour les personnes directement concernées, elle signifie une suppression de la liberté de mouvement qui apparente leur vie à une véritable incarcération. Chaque mouvement hors du périmètre de la commune signifie des tracasseries administratives, des coûts financiers, des déplacements pour récolter les papiers requis, sans compter la confrontation souvent désagréable avec les autorités locales et toutes les humiliations liées au fait de ne pas disposer du droit élémentaire de mouvement. La visite à un ami habitant le « camp de transit » du village voisin dépend ainsi de la bonne volonté de l’employé communal. Chaque déplacement, chaque visite à un ami, à un membre de la famille, chaque participation à une rencontre politique doit être autorisée par les autorités.
Cette loi rend en outre très difficile l’auto-organisation des réfugiés et met des barrières considérables à l’activité collective. Elle menace particulièrement celles et ceux qui sont les plus actifs dans les réseaux d’entraide et de défense, car leurs activités supposent de nombreux déplacements pour établir des contacts entre les personnes. Aussi sont-ils particulièrement exposés aux contrôles policiers, à la répression et aux diverses sanctions qui découlent de la violation de la loi. Cette loi prive une catégorie de personnes de la liberté de mouvement et a pour conséquence d’isoler les réfugiés les uns des autres, mais aussi et surtout, de l’ensemble de la population allemande. Elle contribue ainsi, d’une manière ou d’une autre, à alimenter le climat de haine raciste.
En outre, cette loi encourage les contrôles policiers incessants, dans la rue, dans les centres de transit, et tout particulièrement dans les gares et les transports publics. Sur la base de cette loi, la police peut contrôler les réfugiés partout et à tout moment, pour vérifier s’ils sont sortis de leur périmètre avec ou sans autorisation. Il s’agit ainsi d’une loi proprement discriminatoire, sinon raciste, dans la mesure où elle produit des types d’actes punissables que la population résidant en Allemagne en situation régulière ne peut pas commettre. Enfin, l’exposition permanente des réfugiés aux contrôles de police contribue à leur criminalisation aux yeux de la population non concernée par ces mesures juridiques. En effet, les contrôles policiers dans les lieux publics sous les regards de tous contribuent à faire peser le doute sur les réfugiés et cultiver les préjugés racistes. Ainsi, la police applique une loi raciste qui alimente elle-même la haine raciste dans la population.
La résistance s’organise
La lutte contre cette loi d’assignation à résidence s’est alors engagée du côté des organisations de réfugiés, lesquelles dénoncent la discrimination dont ils sont victimes. Le collectif The Voice s’appuie sur la déclaration universelle des droits humains établie par l’ONU en 1948 et signée par l’Allemagne, en tant que membre de l’ONU. Le paragraphe 13-i stipule : « Chaque homme a le droit de se déplacer et de choisir son lieu d’habitation à l’intérieur d’un Etat ». Or ce n’est pas le cas des réfugiés, dont la liberté de mouvement est restreinte de manière considérable par les lois d’assignation à résidence.
L’appui sur une définition positive des droits, et notamment les droits de l’être humain, assure les bases d’une lutte pour la reconnaissance des problèmes des réfugiés et de leur exclusion des droits fondamentaux. Elle met en évidence en quoi l’absence de droits entraîne une grave atteinte à l’image de soi, au sentiment minimal de dignité et de sa propre valeur en tant que personne. L’exclusion des droits élémentaires empêche de se considérer comme l’égal des autres, de pouvoir se compter comme membre à part entière d’une collectivité, de développer un respect pour soi-même et se sentir digne du respect d’autrui. « A travers la loi d’assignation à résidence, mais aussi d’autres lois racistes et discriminatoires qui valent pour les réfugiés dans ce pays, qui sont en attente d’autorisation de séjour, je ressens la limitation de mes droits de vivre en tant qu’être humain libre. Je me sens torturé mentalement et physiquement, déshonoré, discriminé et presque détruit » fait remarquer Cornelius Yufanyi dans la lettre adressée aux autorités de Worbis, sa commune de résidence, visant à motiver son acte de désobéissance civile.
La lutte pour la suppression des lois discriminatoires passe par des actes politiques comme la désobéissance civile. Après s’être vu refuser, sous prétexte qu’une permission lui avait déjà été accordée dans le courant du mois, l’autorisation de déplacement pour un congrès qu’il avait largement contribué à organiser, Cornelius Yufanyi a fait acte de désobéissance civile en quittant son périmètre en dépit de l’interdiction. Il a alors du passer devant le tribunal et a été condamné au versement d’une amende de 600 DM, amende qu’il a refusé de payer, arguant notamment que la liberté de mouvement ne se monnaie pas. De plus, il affirme désormais ne plus vouloir formuler de demandes auprès des autorités pour quitter son périmètre.
S’il s’agit certes là d’un acte de résistance personnel, il a ouvert un mouvement désormais largement suivi par nombre de réfugiés. Il n’est pas rare que des groupes entiers quittent leur zone d’autorisation sans solliciter d’autorisation, pour se rendre à des manifestations ou à des rencontres politiques. Ce fut le cas notamment au cours des dernières actions menées par The Voice et les différents réseaux organisés de réfugiés, comme la Brandenburger Flüchtlingsinitiative. Lors de ces actions ou manifestations, la grande majorité des réfugiés, issus de toute l’Allemagne, se déplace sans autorisation et fait par conséquent acte de désobéissance civile.
L’extrémisme de droite
et le racisme institutionnel
La lutte du groupe The Voice est ainsi directement dirigée vers la question des droits. Ceci s’affirme clairement dans l’analyse que font ses membres de la question de l’extrême-droite en Allemagne. En effet, ils refusent de restreindre leur analyse du racisme au seul phénomène de l’extrême-droite et des mouvements néo-nazis, qui se sont largement déployés au cours de ces dernières an-nées. Ils s’en prennent plutôt aux institutions étatiques qui ratifient et avalisent le racisme par un en-semble de lois discriminatoires. « Le problème principal, c’est pas les nazis, mais les lois. Les nazis disent : étrangers dehors et l’Etat s’emploie à ce que cela se réalise. La loi autorise un apartheid à l’allemande. Un groupe précis de personnes n’ose, dans ce pays, n’être qu’à des en-droits précis, n’acheter que dans des magasins précis avec des bons d’achat3, et ne visiter que des médecins précis. Les Allemands ne remarquent pas cela. Lorsqu’ils aperçoivent un contrôle policier dans la rue, c’est pour eux comme si nous étions des criminels »4.
La discussion sur l’interdiction du NPD5 et sur la présence de mouvements d’extrême-droite forts et organisés, qui a occupé le débat public entre l’été et l’automne 2000 paraît à bien des égards futile pour les organisations de réfugiés. Elles soulignent, par rapport à ce qui a parfois été décrit comme un « antifascisme d’Etat », le caractère fallacieux du débat. La lutte pour des droits égaux et la suppression des différenciations juridiques à caractère raciste apparaît dès lors comme leur principale perspective de combat. Sans toucher le problème des lois racistes et de la discrimination des populations réfugiées, les tentatives de l’Etat de répondre à la question de la montée de l’extrême-droite s’avèrent fallacieuses et mènent à une impasse. « Les explications passagères des politiciens allemands sont pour nous dérisoires. Comment donc pouvez-vous vous exprimez publiquement contre la terreur néo-nazie quand, depuis deux décennies, vous avez créé les conditions de son émergence ? Vous nous avez isolés de la société allemande. Vous nous avez rabaissés et terrorisés. L’assignation à résidence, qui est comparable aux lois sur les passeports de l’ex-régime d’apartheid en Afrique du Sud, en est la preuve juridique. […] Nous n’attendrons par, comme le lapin devant le serpent, que les néo-nazis continuent à nous terroriser ! Nous allons nous battre contre les lois injustes qui nous empêchent de nous organiser ! »6. Pour elles, le racisme institutionnel apparaît plus dangereux que la violence d’extrême-droite, parce que beaucoup y sont accoutumés. Défiler dans une manifestation contre les agressions racistes s’avère beaucoup plus aisé que d’appeler à une manifestation contre les traitements brutaux de la police contre les étrangers ou pour l’abolition des lois discriminatoires.
The Voice met le doigt sur le caractère raciste et discriminatoire du système juridique en place et des dangers qu’il comporte en termes de haine à l’égard des migrants. « Les lois sont formulées et mises en application de telle sorte qu’elles entraînent la haine des étrangers. Avec The Voice, cela fait longtemps que nous combattons les lois racistes. Mais dans les faits, la plupart des réfugiés doivent s’habituer aux agressions verbales et physiques des gens de droite parce qu’ils ont peu de possibilités de s’en protéger en recourant à l’Etat. Pour donner un exemple, j’ai récemment quitté mon périmètre sans autorisation et j’ai été agressé par des nazis à Jena. J’étais seul dans la rue, au beau milieu de la nuit, après avoir travaillé au bureau de The Voice. Je ne pouvais pas solliciter la protection de la police parce que la loi ne me permet de me déplacer que dans un périmètre donné, et non pas à Jena. Au lieu d’obtenir un soutien, j’aurais été contrôlé et amendé pour avoir dépassé la frontière autorisée. Ainsi, tout ce qui se passe en ce moment dans les médias à propos de l’extrême-droite me fait penser au jeu du chien et du chat. Le chien cher-che à attraper le chat et le chat le chien. Mais chacun sait que le chien ne va pas attraper le chat et vice versa. La souris, qui a peur des deux parce qu’il en va de sa vie, n’est bien sûr jamais mentionnée. C’est comme ça que nous nous ressentons, nous réfugiés : dans la situation de la souris »7.
La lutte des réfugiés en Allemagne contre le racisme institutionnel met ainsi la question des droits au premier plan. Au même titre que la lutte des « sans-papiers », il s’agit d’une résistance collective contre la discrimination produite par l’appareil légal. Elle prend la forme d’une lutte contre l’Etat dans la mesure où ce dernier, loin d’assurer l’égalité de traitement de toutes et tous, produit des catégories de sans-droits, des différenciations entre populations, des formes de discrimination et donc, des populations illégales. Par sa politique de discrimination, l’Etat avalise juridiquement la stigmatisation de franges sociales spécifiques et offre un terreau favorable au développement de la haine raciste. Mais la lutte des réfugiés est aussi un combat pour un autre système de droits, pour la conquête d’une reconnaissance juridique, qui va de pair avec un sentiment de dignité individuelle et assure des conditions élémentaires de liberté.
La loi d’assignation à résidence
L’Allemagne dispose d’une loi d’assignation à résidence pour les réfugiés2. Cette loi est l’exemple même de ces nouvelles frontières intérieures établies par les Etats à des fins de contrôle sur des franges spécifiques de la population. Elle interdit aux requérants d’asile de quitter la commune ou le périmètre administratif dans lequel ils et elles sont inscrits. Les demandeurs d’asile sont en effet soumis aux procédures d’assignation à une commune particulière et doivent s’y tenir. Pour des cas d’exception, et au prix d’une demande dûment motivée auprès des autorités locales, une autorisation de déplacement, limitée dans le temps et d’un montant de 15 DM, peut être accordée. Il n’est pas rare que des requêtes soient refusées. Les autorités locales disposent d’une grande marge de manœuvre et décident souvent de manière arbitraire. Ainsi, le droit de mouvement repose souvent sur le fonctionnaire communal en charge du dossier « étrangers ». La sortie non avalisée par les autorités hors du périmètre administratif expose les réfugiés à de sévères sanctions. Le réfugié quittant le périmètre sans autorisation se trouve menacé, selon les cas, d’une amende pouvant s’élever jusqu’à 5000 DM, d’une année de privation de liberté et, en cas de répétition, d’expulsion du pays. L’« infraction » est dans tous les cas répertoriée dans le dossier de requête d’asile et joue un rôle dans la décision d’attribution ou non du droit d’asile. Aux contrôles policiers permanents auxquels sont confrontés les réfugiés lors de leurs rares déplacements, il faut ajouter la pratique de certains responsables de camps, consistant à établir quotidiennement des listes de présence pour vérifier si tous sont bien présents.
Les conséquences de la loi d’assignation à résidence sont nombreuses. Pour les personnes directement concernées, elle signifie une suppression de la liberté de mouvement qui apparente leur vie à une véritable incarcération. Chaque mouvement hors du périmètre de la commune signifie des tracasseries administratives, des coûts financiers, des déplacements pour récolter les papiers requis, sans compter la confrontation souvent désagréable avec les autorités locales et toutes les humiliations liées au fait de ne pas disposer du droit élémentaire de mouvement. La visite à un ami habitant le « camp de transit » du village voisin dépend ainsi de la bonne volonté de l’employé communal. Chaque déplacement, chaque visite à un ami, à un membre de la famille, chaque participation à une rencontre politique doit être autorisée par les autorités.
Cette loi rend en outre très difficile l’auto-organisation des réfugiés et met des barrières considérables à l’activité collective. Elle menace particulièrement celles et ceux qui sont les plus actifs dans les réseaux d’entraide et de défense, car leurs activités supposent de nombreux déplacements pour établir des contacts entre les personnes. Aussi sont-ils particulièrement exposés aux contrôles policiers, à la répression et aux diverses sanctions qui découlent de la violation de la loi. Cette loi prive une catégorie de personnes de la liberté de mouvement et a pour conséquence d’isoler les réfugiés les uns des autres, mais aussi et surtout, de l’ensemble de la population allemande. Elle contribue ainsi, d’une manière ou d’une autre, à alimenter le climat de haine raciste.
En outre, cette loi encourage les contrôles policiers incessants, dans la rue, dans les centres de transit, et tout particulièrement dans les gares et les transports publics. Sur la base de cette loi, la police peut contrôler les réfugiés partout et à tout moment, pour vérifier s’ils sont sortis de leur périmètre avec ou sans autorisation. Il s’agit ainsi d’une loi proprement discriminatoire, sinon raciste, dans la mesure où elle produit des types d’actes punissables que la population résidant en Allemagne en situation régulière ne peut pas commettre. Enfin, l’exposition permanente des réfugiés aux contrôles de police contribue à leur criminalisation aux yeux de la population non concernée par ces mesures juridiques. En effet, les contrôles policiers dans les lieux publics sous les regards de tous contribuent à faire peser le doute sur les réfugiés et cultiver les préjugés racistes. Ainsi, la police applique une loi raciste qui alimente elle-même la haine raciste dans la population.
La résistance s’organise
La lutte contre cette loi d’assignation à résidence s’est alors engagée du côté des organisations de réfugiés, lesquelles dénoncent la discrimination dont ils sont victimes. Le collectif The Voice s’appuie sur la déclaration universelle des droits humains établie par l’ONU en 1948 et signée par l’Allemagne, en tant que membre de l’ONU. Le paragraphe 13-i stipule : « Chaque homme a le droit de se déplacer et de choisir son lieu d’habitation à l’intérieur d’un Etat ». Or ce n’est pas le cas des réfugiés, dont la liberté de mouvement est restreinte de manière considérable par les lois d’assignation à résidence.
L’appui sur une définition positive des droits, et notamment les droits de l’être humain, assure les bases d’une lutte pour la reconnaissance des problèmes des réfugiés et de leur exclusion des droits fondamentaux. Elle met en évidence en quoi l’absence de droits entraîne une grave atteinte à l’image de soi, au sentiment minimal de dignité et de sa propre valeur en tant que personne. L’exclusion des droits élémentaires empêche de se considérer comme l’égal des autres, de pouvoir se compter comme membre à part entière d’une collectivité, de développer un respect pour soi-même et se sentir digne du respect d’autrui. « A travers la loi d’assignation à résidence, mais aussi d’autres lois racistes et discriminatoires qui valent pour les réfugiés dans ce pays, qui sont en attente d’autorisation de séjour, je ressens la limitation de mes droits de vivre en tant qu’être humain libre. Je me sens torturé mentalement et physiquement, déshonoré, discriminé et presque détruit » fait remarquer Cornelius Yufanyi dans la lettre adressée aux autorités de Worbis, sa commune de résidence, visant à motiver son acte de désobéissance civile.
La lutte pour la suppression des lois discriminatoires passe par des actes politiques comme la désobéissance civile. Après s’être vu refuser, sous prétexte qu’une permission lui avait déjà été accordée dans le courant du mois, l’autorisation de déplacement pour un congrès qu’il avait largement contribué à organiser, Cornelius Yufanyi a fait acte de désobéissance civile en quittant son périmètre en dépit de l’interdiction. Il a alors du passer devant le tribunal et a été condamné au versement d’une amende de 600 DM, amende qu’il a refusé de payer, arguant notamment que la liberté de mouvement ne se monnaie pas. De plus, il affirme désormais ne plus vouloir formuler de demandes auprès des autorités pour quitter son périmètre.
S’il s’agit certes là d’un acte de résistance personnel, il a ouvert un mouvement désormais largement suivi par nombre de réfugiés. Il n’est pas rare que des groupes entiers quittent leur zone d’autorisation sans solliciter d’autorisation, pour se rendre à des manifestations ou à des rencontres politiques. Ce fut le cas notamment au cours des dernières actions menées par The Voice et les différents réseaux organisés de réfugiés, comme la Brandenburger Flüchtlingsinitiative. Lors de ces actions ou manifestations, la grande majorité des réfugiés, issus de toute l’Allemagne, se déplace sans autorisation et fait par conséquent acte de désobéissance civile.
L’extrémisme de droite
et le racisme institutionnel
La lutte du groupe The Voice est ainsi directement dirigée vers la question des droits. Ceci s’affirme clairement dans l’analyse que font ses membres de la question de l’extrême-droite en Allemagne. En effet, ils refusent de restreindre leur analyse du racisme au seul phénomène de l’extrême-droite et des mouvements néo-nazis, qui se sont largement déployés au cours de ces dernières an-nées. Ils s’en prennent plutôt aux institutions étatiques qui ratifient et avalisent le racisme par un en-semble de lois discriminatoires. « Le problème principal, c’est pas les nazis, mais les lois. Les nazis disent : étrangers dehors et l’Etat s’emploie à ce que cela se réalise. La loi autorise un apartheid à l’allemande. Un groupe précis de personnes n’ose, dans ce pays, n’être qu’à des en-droits précis, n’acheter que dans des magasins précis avec des bons d’achat3, et ne visiter que des médecins précis. Les Allemands ne remarquent pas cela. Lorsqu’ils aperçoivent un contrôle policier dans la rue, c’est pour eux comme si nous étions des criminels »4.
La discussion sur l’interdiction du NPD5 et sur la présence de mouvements d’extrême-droite forts et organisés, qui a occupé le débat public entre l’été et l’automne 2000 paraît à bien des égards futile pour les organisations de réfugiés. Elles soulignent, par rapport à ce qui a parfois été décrit comme un « antifascisme d’Etat », le caractère fallacieux du débat. La lutte pour des droits égaux et la suppression des différenciations juridiques à caractère raciste apparaît dès lors comme leur principale perspective de combat. Sans toucher le problème des lois racistes et de la discrimination des populations réfugiées, les tentatives de l’Etat de répondre à la question de la montée de l’extrême-droite s’avèrent fallacieuses et mènent à une impasse. « Les explications passagères des politiciens allemands sont pour nous dérisoires. Comment donc pouvez-vous vous exprimez publiquement contre la terreur néo-nazie quand, depuis deux décennies, vous avez créé les conditions de son émergence ? Vous nous avez isolés de la société allemande. Vous nous avez rabaissés et terrorisés. L’assignation à résidence, qui est comparable aux lois sur les passeports de l’ex-régime d’apartheid en Afrique du Sud, en est la preuve juridique. […] Nous n’attendrons par, comme le lapin devant le serpent, que les néo-nazis continuent à nous terroriser ! Nous allons nous battre contre les lois injustes qui nous empêchent de nous organiser ! »6. Pour elles, le racisme institutionnel apparaît plus dangereux que la violence d’extrême-droite, parce que beaucoup y sont accoutumés. Défiler dans une manifestation contre les agressions racistes s’avère beaucoup plus aisé que d’appeler à une manifestation contre les traitements brutaux de la police contre les étrangers ou pour l’abolition des lois discriminatoires.
The Voice met le doigt sur le caractère raciste et discriminatoire du système juridique en place et des dangers qu’il comporte en termes de haine à l’égard des migrants. « Les lois sont formulées et mises en application de telle sorte qu’elles entraînent la haine des étrangers. Avec The Voice, cela fait longtemps que nous combattons les lois racistes. Mais dans les faits, la plupart des réfugiés doivent s’habituer aux agressions verbales et physiques des gens de droite parce qu’ils ont peu de possibilités de s’en protéger en recourant à l’Etat. Pour donner un exemple, j’ai récemment quitté mon périmètre sans autorisation et j’ai été agressé par des nazis à Jena. J’étais seul dans la rue, au beau milieu de la nuit, après avoir travaillé au bureau de The Voice. Je ne pouvais pas solliciter la protection de la police parce que la loi ne me permet de me déplacer que dans un périmètre donné, et non pas à Jena. Au lieu d’obtenir un soutien, j’aurais été contrôlé et amendé pour avoir dépassé la frontière autorisée. Ainsi, tout ce qui se passe en ce moment dans les médias à propos de l’extrême-droite me fait penser au jeu du chien et du chat. Le chien cher-che à attraper le chat et le chat le chien. Mais chacun sait que le chien ne va pas attraper le chat et vice versa. La souris, qui a peur des deux parce qu’il en va de sa vie, n’est bien sûr jamais mentionnée. C’est comme ça que nous nous ressentons, nous réfugiés : dans la situation de la souris »7.
La lutte des réfugiés en Allemagne contre le racisme institutionnel met ainsi la question des droits au premier plan. Au même titre que la lutte des « sans-papiers », il s’agit d’une résistance collective contre la discrimination produite par l’appareil légal. Elle prend la forme d’une lutte contre l’Etat dans la mesure où ce dernier, loin d’assurer l’égalité de traitement de toutes et tous, produit des catégories de sans-droits, des différenciations entre populations, des formes de discrimination et donc, des populations illégales. Par sa politique de discrimination, l’Etat avalise juridiquement la stigmatisation de franges sociales spécifiques et offre un terreau favorable au développement de la haine raciste. Mais la lutte des réfugiés est aussi un combat pour un autre système de droits, pour la conquête d’une reconnaissance juridique, qui va de pair avec un sentiment de dignité individuelle et assure des conditions élémentaires de liberté.
Sociologue.
(1) The VOICE, Schillergäßchen 5, 07745 Jena-D.
(2) En Europe, plusieurs pays disposent de systèmes d’attribution autoritaire d’un lieu de résidence (Belgique, Angleterre, etc.) Si une logique similaire s’observe donc dans la plupart des pays européens, l’Allemagne est celui qui est allé le plus loin dans cette direction.
(3) Il existe en effet un système de carte électronique qui permet aux autorités de contrôler l’ensemble des achats effectués : quel type de nourriture, quelle quantité, à quel moment, dans quels endroits l’achat a été fait, etc.
(4) Katharina Born, « Cornelius Yufanyi und sein Recht auf Bewegungsfreiheit », in Tageszeitung, 16.5.2001.
(5) Le NPD (Nationalistische Partei Deutschlands) est un des plus importants partis nazis en Allemagne à l’heure actuelle. La question de son interdiction a été lancée l’année dernière, suite à une série d’attentats racistes. Aujourd’hui la procédure s’enlise dans des entrelacs constitutionnels.
(6) « Für die Abschaffung der «Residenzpflicht» für Asylbewerber/innen in Deutschland, Bewegungsfreiheit von Flüchtlingen in Deutschland ! », Die Karawane für die Rechte der Flüchtlinge und MigrantINNen.
(7) « «Aus dem institutionalisierten Rassismus wird der andere geboren.» Interview mit dem Flüchtling Cornelius Yufanyi », in Zeitschrift für Flüchtltlingspolitik in Niedersachsen, 8/2000, Heft 73, Dezembre 2000.
(1) The VOICE, Schillergäßchen 5, 07745 Jena-D.
(2) En Europe, plusieurs pays disposent de systèmes d’attribution autoritaire d’un lieu de résidence (Belgique, Angleterre, etc.) Si une logique similaire s’observe donc dans la plupart des pays européens, l’Allemagne est celui qui est allé le plus loin dans cette direction.
(3) Il existe en effet un système de carte électronique qui permet aux autorités de contrôler l’ensemble des achats effectués : quel type de nourriture, quelle quantité, à quel moment, dans quels endroits l’achat a été fait, etc.
(4) Katharina Born, « Cornelius Yufanyi und sein Recht auf Bewegungsfreiheit », in Tageszeitung, 16.5.2001.
(5) Le NPD (Nationalistische Partei Deutschlands) est un des plus importants partis nazis en Allemagne à l’heure actuelle. La question de son interdiction a été lancée l’année dernière, suite à une série d’attentats racistes. Aujourd’hui la procédure s’enlise dans des entrelacs constitutionnels.
(6) « Für die Abschaffung der «Residenzpflicht» für Asylbewerber/innen in Deutschland, Bewegungsfreiheit von Flüchtlingen in Deutschland ! », Die Karawane für die Rechte der Flüchtlinge und MigrantINNen.
(7) « «Aus dem institutionalisierten Rassismus wird der andere geboren.» Interview mit dem Flüchtling Cornelius Yufanyi », in Zeitschrift für Flüchtltlingspolitik in Niedersachsen, 8/2000, Heft 73, Dezembre 2000.