Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°37 [novembre 2001 - décembre 2001]
© Passant n°37 [novembre 2001 - décembre 2001]
par Bernard Daguerre
Imprimer l'articlePlatform du chinois Jia Zhang-ke
Platform du chinois Jia Zhang-ke est une métaphore des transformations brutales de la Chine contemporaine, comme l’était déjà Xiao Wu, artisan pickpocket du même auteur distribué en 1999. Le héros, Minliang, appartient à une troupe de théâtre laquelle, de la fin des années 70 au début des années 90, passe de la louange du grand Timonier à la production de spectacles plus ou moins érotiques et à du mauvais rock ; la troupe passe aussi par la privatisation, synonyme de privations pour chacun des membres. Elle quitte alors la ville de Fenyang pour un voyage des comédiens à travers la Chine, odyssée longue et harassante. On traverse le grand chantier perpétuel que constitue l’aménagement du pays et de ses villes, on rencontre la misère sexuelle des protagonistes et les effets d’une pudibonderie policière ; mais aussi la surexploitation féroce, comme celle du cousin de Minliang : mineur, il est obligé de se vendre pour un salaire de misère et on le voit signer un contrat de travail léonin en mouillant son doigt.
Mais point de misérabilisme chez Zhang-Ke, plutôt une espèce de spleen qui tient beaucoup des protagonistes dès le début du film, lesquels auront ensuite le plus grand mal à le quitter. C’est aussi un art de la forme cinématographique : des cadrages qui permettent aux personnages de sortir de l’écran et d’y entrer à nouveau comme s’ils n’arrivaient pas à se fixer, des travellings le long des murailles de Fenyang qui paraissent comme enserrer les personnages, à les étouffer presque. Platform est un film fleuve, qui sait raconter des destinées ordinaires saisies sur le vif et au devenir toujours incertain.
Je ne saurai trop recommander Mariage tardif de Dover Kosashili. Zaza, vieil étudiant en philosophie n’est toujours pas marié à 31 ans. Ce qui inquiète fortement sa famille, des juifs d’origine géorgienne émigrés depuis moins d’une génération en Israël de telle sorte que la force des traditions est forte. Elles se heurtent à la réalité d’une liaison de Zaza avec une Marocaine divorcée. Le film manie avec brio un sujet qui se prête autant à la farce qu’à la tragédie.
Il faut toujours garder une petite place pour un polar formaté par les Etats-Unis. On tombe parfois sur de très bonnes surprises, comme Panic d’Henry Bromell. Ça débute en comédie : un tueur dépressif qui veut tout arrêter, qui rencontre un amour impossible auprès d’une jeune fille, et dont la famille est assez particulière – un père initiateur du métier de tueur, une mère également étouffante, et son propre fils adoré ; on passe ensuite au registre du thriller angoissant. Les personnages interprétés par William H. Macy, le tueur à la triste figure, Donald Sutherland, le truculent père commanditaire des meurtres, Neve Campbell enfin jeune fille déterminée et perturbée à la fois contribuent à la réussite de cette pellicule.
Que dire à côté de The Pledge de Sean Penn ? Sous le prétexte d’une enquête menée jusqu’à l’obsession par un policier à la retraite, incarné par Jack Nicholson, le cinéaste filme la pente douce vers la folie de son personnage. Il filme aussi, et c’est le meilleur de l’histoire, l’espace de l’Amérique rugueuse et rurale du Nevada, avec la même indicible tristesse que Paul Schrader dans Affliction ou Atom Egoyan dans De Beaux lendemains. Pour cela et pour cela surtout, le film vaut le détour.
Jubilatoire, brillant, tous ces épithètes conviennent à Jacques Rivette et son dernier film Va savoir. La tragi-comédie de l’amour s’incarne à travers les personnages, au premier rang duquel Jeanne Balibar se détache, impériale. Il faut la voir se déplacer sur les toits de Paris (comme le faisaient déjà les personnages de Paris nous appartient, premier film de Rivette, 1961) pour échapper à un ancien amour trop étouffant et arriver à temps au théâtre où elle interprète une héroïne de Pirandello. Va savoir si la liberté des personnages de théâtre n’est pas plus grande que celle des héros de la comédie de l’amour filmés malicieusement par le cinéaste.
Mais point de misérabilisme chez Zhang-Ke, plutôt une espèce de spleen qui tient beaucoup des protagonistes dès le début du film, lesquels auront ensuite le plus grand mal à le quitter. C’est aussi un art de la forme cinématographique : des cadrages qui permettent aux personnages de sortir de l’écran et d’y entrer à nouveau comme s’ils n’arrivaient pas à se fixer, des travellings le long des murailles de Fenyang qui paraissent comme enserrer les personnages, à les étouffer presque. Platform est un film fleuve, qui sait raconter des destinées ordinaires saisies sur le vif et au devenir toujours incertain.
Je ne saurai trop recommander Mariage tardif de Dover Kosashili. Zaza, vieil étudiant en philosophie n’est toujours pas marié à 31 ans. Ce qui inquiète fortement sa famille, des juifs d’origine géorgienne émigrés depuis moins d’une génération en Israël de telle sorte que la force des traditions est forte. Elles se heurtent à la réalité d’une liaison de Zaza avec une Marocaine divorcée. Le film manie avec brio un sujet qui se prête autant à la farce qu’à la tragédie.
Il faut toujours garder une petite place pour un polar formaté par les Etats-Unis. On tombe parfois sur de très bonnes surprises, comme Panic d’Henry Bromell. Ça débute en comédie : un tueur dépressif qui veut tout arrêter, qui rencontre un amour impossible auprès d’une jeune fille, et dont la famille est assez particulière – un père initiateur du métier de tueur, une mère également étouffante, et son propre fils adoré ; on passe ensuite au registre du thriller angoissant. Les personnages interprétés par William H. Macy, le tueur à la triste figure, Donald Sutherland, le truculent père commanditaire des meurtres, Neve Campbell enfin jeune fille déterminée et perturbée à la fois contribuent à la réussite de cette pellicule.
Que dire à côté de The Pledge de Sean Penn ? Sous le prétexte d’une enquête menée jusqu’à l’obsession par un policier à la retraite, incarné par Jack Nicholson, le cinéaste filme la pente douce vers la folie de son personnage. Il filme aussi, et c’est le meilleur de l’histoire, l’espace de l’Amérique rugueuse et rurale du Nevada, avec la même indicible tristesse que Paul Schrader dans Affliction ou Atom Egoyan dans De Beaux lendemains. Pour cela et pour cela surtout, le film vaut le détour.
Jubilatoire, brillant, tous ces épithètes conviennent à Jacques Rivette et son dernier film Va savoir. La tragi-comédie de l’amour s’incarne à travers les personnages, au premier rang duquel Jeanne Balibar se détache, impériale. Il faut la voir se déplacer sur les toits de Paris (comme le faisaient déjà les personnages de Paris nous appartient, premier film de Rivette, 1961) pour échapper à un ancien amour trop étouffant et arriver à temps au théâtre où elle interprète une héroïne de Pirandello. Va savoir si la liberté des personnages de théâtre n’est pas plus grande que celle des héros de la comédie de l’amour filmés malicieusement par le cinéaste.