Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°38 [janvier 2002 - février 2002]
© Passant n°38 [janvier 2002 - février 2002]
par Jambonneau
Imprimer l'articleMais dans quel monde Vuitton ?
«On est l’armée américaine, on va niquer Ben Laden.»1
Sud Education vient de publier un fascicule intitulé « L’école face à la mondialisation capitaliste »2, un petit bijou de fascicule, à vous glacer l’échine, à vous geler les ouecs. On sait que l’OMC à travers l’Accord général sur le commerce et les services (AGCS) veut faire de l’éducation une marchandise comme les autres, mais l’Union européenne n’est pas en reste non plus. Loin s’en faut. Le contraire eût d’ailleurs été étonnant.
Florilège
Dans « une approche totalement neuve et inédite de l’éducation et de la formation » – c’est beau non ! –, l’Union européenne s’appuie sur la notion centrale de formation tout au long de sa vie. « Au sein de la société de la connaissance, le rôle principal revient aux individus eux-mêmes. » L’idée est intéressante, sauf quand elle est sous-tendue par la logique néo-libérale. Car, traduite en bon français, cette idée implique que chaque individu devra se débrouiller pour assurer, seul, sa formation, la société se trouvant, elle, déchargée de toute responsabilité. Exit l’accès de tous aux savoirs, exit l’égalité – certes parfois relative j’en conviens – des chances. Celui qui échouera ne pourra que s’en prendre à lui-même. Espèce de fainéant !
L’Union européenne poursuit son « approche totalement neuve et inédite » en entendant faire du patronat l’un des maîtres de l’éducation, notamment dans la validation des acquis. Elle souhaite mettre en place un curriculum vitæ qui aidera « les établissements d’enseignement et de formation et les employeurs à mieux évaluer les connaissances acquises. » Un boulet scolaire pour la vie quoi ! Sud Education fait remarquer qu’au XIXe siècle, cela s’appelait le livret ouvrier. Inventé en France, ce livret servait à contrôler les ouvriers, tant dans leurs déplacements que dans leur travail, les patrons y portant des observations sur leur comportement. Moi, personnellement, je n’ai pas vraiment envie d’être noté par le baron Seillères. Et vous ?
On y apprend aussi comment l’UE veut formater les individus au service de l’entreprise – « l’élève doit être actif et réactif » –, développer et stimuler un marché européen des contenus et des services – y’a bon pour Vivendi et consorts –, bref faire de l’école une PME afin « d’exploiter d’une manière optimale le capital humain et social » de nos chères têtes blondes ! En passant, pour ceux qui ne verraient dans ces propos qu’une paranoïa aiguë à soigner d’urgence, il est bon de rappeler que Jean-Marie Messier Moi-Même-Maître-du-Monde vient de racheter l’éditeur américain Hougthon Mifflin, ce qui fait de Vivendi Universal Publishing le premier groupe mondial d’édition scolaire. En France, Nathan, Bordas, Retz, Armand Collin, Dunod, Dalloz lui appartiennent. Ça calme non ?
Certes, les enseignants sont souvent insupportables quand, drapés dans la toute puissance de leur savoir, ils abusent de leur pouvoir, et il faut sans aucun doute redéfinir le rôle du pédagogue – littéralement, celui qui accompagne. Certes, on ne peut pas se satisfaire d’une école qui produit autant d’échec scolaire, où l’élève subit sa scolarité quand il devrait la construire, où la pédagogie n’est pas adaptée à chacun, où des programmes chargés et parfois stupides encombrent inutilement les cerveaux de connaissances que les élèves se chargent d’oublier aussi vite qu’ils les ont acquises… L’école reste un vaste chantier, et il serait temps de s’y mettre.
Et les enseignants seraient bien avisés également, me semble-t-il, de laisser tomber leurs grèves étriquées d’un jour à visée purement catégorielle – lesquelles quand elles se déroulent en période électorale donnent une piètre image du combat syndical –, et de ferrailler pour de bon avec ce pouvoir socialiste pour lequel ils s’apprêtent encore à voter massivement et qui est en train de leur faire, une fois de plus, un élève dans le dos.
Car il n’est pas question de livrer en pâture aux cupides organismes de formation et aux non moins cupides entreprises un système qui reste l’un des derniers bastions de l’égalité des chances. Eux souhaitent un élève qui, à l’âge adulte, consommera quand il ne travaillera pas et réciproquement. Nous voulons, nous, des enfants qui deviennent des adultes citoyens, capables de penser par eux-mêmes, de porter un projet de société ou de se battre contre un système inique et cynique.
Pour conclure, voici quelques exemples des premiers de la classe de l’éducation néo-libérale, de ce qu’il ne faut surtout pas que l’Éducation Nationale devienne en France. Les Néo-Zélandais ont ouvert la voie : l’école est gérée comme une entreprise avec un directeur – parfois issu de l’industrie – qui exerce des fonctions de management et de relations publiques ; les établissements les plus compétitifs proposent des moyens supplémentaires payants auxquels n’ont pas bien sûr accès les plus pauvres. Dans le genre, les Anglais sont bien aussi : les enseignants sont rémunérés au mérite, c’est-à-dire à la réussite de leurs élèves ; les écoles peuvent être vendues ou achetées, voire cotées en bourse ! Aux States, les professeurs ont des primes si les résultats sont bons, l’exclusion des mauvais élèves est donc une pratique pédagogique qui se généralise ; Time Warner, CNN et autres proposent des programmes éducatifs – comportant des publicités – aux écoles que ces sociétés ont aidées à câbler. Remarquez, en France, du matériel ludo-pédagogique offert par Colgate ou Danone est utilisé pour des séquences sur la santé dentaire ou l’équilibre nutritionnel.
Chez nos pauvres, c’est pas mal non plus. Pepsi-Cola Schools au Nicaragua, professeurs bénévoles au Niger… quand il y a des écoles. Merci le FMI, et vive l’ajustement structurel. Au Brésil, le gouvernement a fait très fort en privatisant l’état civil qui est alors devenu payant. Les familles les plus démunies ne signalent donc plus la naissance de leurs enfants qui, n’existant pas, ne peuvent être inscrits à l’école ni avoir accès aux soins. De 5 à 25 millions d’enfants seraient dans ce cas. Mais, putain, dans quel monde vit-on ?
Sud Education vient de publier un fascicule intitulé « L’école face à la mondialisation capitaliste »2, un petit bijou de fascicule, à vous glacer l’échine, à vous geler les ouecs. On sait que l’OMC à travers l’Accord général sur le commerce et les services (AGCS) veut faire de l’éducation une marchandise comme les autres, mais l’Union européenne n’est pas en reste non plus. Loin s’en faut. Le contraire eût d’ailleurs été étonnant.
Florilège
Dans « une approche totalement neuve et inédite de l’éducation et de la formation » – c’est beau non ! –, l’Union européenne s’appuie sur la notion centrale de formation tout au long de sa vie. « Au sein de la société de la connaissance, le rôle principal revient aux individus eux-mêmes. » L’idée est intéressante, sauf quand elle est sous-tendue par la logique néo-libérale. Car, traduite en bon français, cette idée implique que chaque individu devra se débrouiller pour assurer, seul, sa formation, la société se trouvant, elle, déchargée de toute responsabilité. Exit l’accès de tous aux savoirs, exit l’égalité – certes parfois relative j’en conviens – des chances. Celui qui échouera ne pourra que s’en prendre à lui-même. Espèce de fainéant !
L’Union européenne poursuit son « approche totalement neuve et inédite » en entendant faire du patronat l’un des maîtres de l’éducation, notamment dans la validation des acquis. Elle souhaite mettre en place un curriculum vitæ qui aidera « les établissements d’enseignement et de formation et les employeurs à mieux évaluer les connaissances acquises. » Un boulet scolaire pour la vie quoi ! Sud Education fait remarquer qu’au XIXe siècle, cela s’appelait le livret ouvrier. Inventé en France, ce livret servait à contrôler les ouvriers, tant dans leurs déplacements que dans leur travail, les patrons y portant des observations sur leur comportement. Moi, personnellement, je n’ai pas vraiment envie d’être noté par le baron Seillères. Et vous ?
On y apprend aussi comment l’UE veut formater les individus au service de l’entreprise – « l’élève doit être actif et réactif » –, développer et stimuler un marché européen des contenus et des services – y’a bon pour Vivendi et consorts –, bref faire de l’école une PME afin « d’exploiter d’une manière optimale le capital humain et social » de nos chères têtes blondes ! En passant, pour ceux qui ne verraient dans ces propos qu’une paranoïa aiguë à soigner d’urgence, il est bon de rappeler que Jean-Marie Messier Moi-Même-Maître-du-Monde vient de racheter l’éditeur américain Hougthon Mifflin, ce qui fait de Vivendi Universal Publishing le premier groupe mondial d’édition scolaire. En France, Nathan, Bordas, Retz, Armand Collin, Dunod, Dalloz lui appartiennent. Ça calme non ?
Certes, les enseignants sont souvent insupportables quand, drapés dans la toute puissance de leur savoir, ils abusent de leur pouvoir, et il faut sans aucun doute redéfinir le rôle du pédagogue – littéralement, celui qui accompagne. Certes, on ne peut pas se satisfaire d’une école qui produit autant d’échec scolaire, où l’élève subit sa scolarité quand il devrait la construire, où la pédagogie n’est pas adaptée à chacun, où des programmes chargés et parfois stupides encombrent inutilement les cerveaux de connaissances que les élèves se chargent d’oublier aussi vite qu’ils les ont acquises… L’école reste un vaste chantier, et il serait temps de s’y mettre.
Et les enseignants seraient bien avisés également, me semble-t-il, de laisser tomber leurs grèves étriquées d’un jour à visée purement catégorielle – lesquelles quand elles se déroulent en période électorale donnent une piètre image du combat syndical –, et de ferrailler pour de bon avec ce pouvoir socialiste pour lequel ils s’apprêtent encore à voter massivement et qui est en train de leur faire, une fois de plus, un élève dans le dos.
Car il n’est pas question de livrer en pâture aux cupides organismes de formation et aux non moins cupides entreprises un système qui reste l’un des derniers bastions de l’égalité des chances. Eux souhaitent un élève qui, à l’âge adulte, consommera quand il ne travaillera pas et réciproquement. Nous voulons, nous, des enfants qui deviennent des adultes citoyens, capables de penser par eux-mêmes, de porter un projet de société ou de se battre contre un système inique et cynique.
Pour conclure, voici quelques exemples des premiers de la classe de l’éducation néo-libérale, de ce qu’il ne faut surtout pas que l’Éducation Nationale devienne en France. Les Néo-Zélandais ont ouvert la voie : l’école est gérée comme une entreprise avec un directeur – parfois issu de l’industrie – qui exerce des fonctions de management et de relations publiques ; les établissements les plus compétitifs proposent des moyens supplémentaires payants auxquels n’ont pas bien sûr accès les plus pauvres. Dans le genre, les Anglais sont bien aussi : les enseignants sont rémunérés au mérite, c’est-à-dire à la réussite de leurs élèves ; les écoles peuvent être vendues ou achetées, voire cotées en bourse ! Aux States, les professeurs ont des primes si les résultats sont bons, l’exclusion des mauvais élèves est donc une pratique pédagogique qui se généralise ; Time Warner, CNN et autres proposent des programmes éducatifs – comportant des publicités – aux écoles que ces sociétés ont aidées à câbler. Remarquez, en France, du matériel ludo-pédagogique offert par Colgate ou Danone est utilisé pour des séquences sur la santé dentaire ou l’équilibre nutritionnel.
Chez nos pauvres, c’est pas mal non plus. Pepsi-Cola Schools au Nicaragua, professeurs bénévoles au Niger… quand il y a des écoles. Merci le FMI, et vive l’ajustement structurel. Au Brésil, le gouvernement a fait très fort en privatisant l’état civil qui est alors devenu payant. Les familles les plus démunies ne signalent donc plus la naissance de leurs enfants qui, n’existant pas, ne peuvent être inscrits à l’école ni avoir accès aux soins. De 5 à 25 millions d’enfants seraient dans ce cas. Mais, putain, dans quel monde vit-on ?
* Tendance Floue.
(1) Chansonnette entendue dans une cour d’école.
(2) Vous pouvez vous procurer ce fascicule, 2 E (13,12 F), auprès de la section Sud de votre département ou auprès de la fédération nationale : Sud Education, 30 bis, rue des Boulets, 75001 Paris. Tél. : 01 43 56 98 28. Vous pourrez également retrouver toutes ces citations, authentiques, en consultant le site internet des commissions européennes.
(1) Chansonnette entendue dans une cour d’école.
(2) Vous pouvez vous procurer ce fascicule, 2 E (13,12 F), auprès de la section Sud de votre département ou auprès de la fédération nationale : Sud Education, 30 bis, rue des Boulets, 75001 Paris. Tél. : 01 43 56 98 28. Vous pourrez également retrouver toutes ces citations, authentiques, en consultant le site internet des commissions européennes.