Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
Retour
© Passant n°39 [mars 2002 - avril 2002]
© Passant n°39 [mars 2002 - avril 2002]
par Bernard Daguerre
Imprimer l'articleDu bon usage de la nouvelle
Chronique de la littérature ordinaireQuelques petits joyaux, littérature noire (John Williams, Chris Offutt, Moisson noire 2001), littérature d’aventure (Jorn Riel) ou conte philosophique (Primo Levi).
John Williams, Cinq pubs, deux bars et une boîte de nuit (trad. de l’anglais par Christine Raguet-Bouvart, Ed. L’esprit des péninsules, 246 p., 21,35 _). Dans le monde interlope de Cardiff des années 90, de petits truands, dealers, hommes aux combines minables et aux bons coups pour gruger les gogos, se déclinent dans les huit nouvelles de John Williams. Les personnages, qui pour la plupart appartiennent à la communauté jamaïcaine de la ville, se déplacent d’un récit à l’autre, s’agitant sur la scène de la vie, en une galerie vraiment épatante, assez haute en couleur : un humour caustique et plein de bonhomie, de bar en bar. On y croise un ancien trois-quarts centre de rugby qui regarde, tous rideaux tirés, les matchs du Tournoi des Cinq nations, lui, le caïd de son quartier, avant d’installer une mosquée se réclamant de la Nation de l’Islam de Louis Farrakhan, en rez-de-chaussée de sa boîte de nuit. Plus loin, Mikey, trafiquant besogneux, laid et bas sur pattes, tente sans cesse d’utiliser son bagout pour tomber les dames, et ensuite se faire soigneusement casser la figure par sa femme chaque fois qu’elle soupçonne sa propre infortune conjugale. Le récit d’un attentat gauchiste dans les années 70, le dynamitage d’un pont enjambant le réseau ferroviaire de la ville, raconté par un acteur de l’époque, Ozzie, devenu éducateur de rue salarié de la ville… (John Williams participera au prochain festival Noir-Ouest à Bordeaux organisé par le Passant les 14, 15 et 16 juin).
Chris Offut, Sortis du bois (trad. de l’américain par Philippe Garnier, Ed. Gallimard, 16,50 _). Chris Offut sait rendre la densité de ceux qui, partis de l’Est-Kentucky natal, se vivent comme exilés de ce morceau de terre fait de collines tapissées de forêts, « où il n’y a que de la pente », comme disait joliment un des protagonistes du Bon frère, précédent livre d’Offut paru dans La Noire. Ce qui frappe les héros de ces nouvelles, c’est toujours les grands espaces américains qu’ils découvrent « où la terre est plate comme une carte à jouer » ; un camionneur surpris par des pluies diluviennes en Oregon contemple « un paysage [qui] lui rappelait un dessus de table et il fonçait vers le bord ». On peut comprendre que certains, angoissés d’être ainsi lâchés, ne pensent qu’à retrouver leur coin pentu d’origine. D’autres, au contraire, sortent des bois natals pour ne plus y revenir. Ils sont tous des hommes au cœur simple, volontiers sentencieux, taciturnes, et se vantent d’être les premiers habitants d’Amérique, aussi anciens que les Indiens. En somme, ils se pensent uniques et ils ont bien sûr raison.
Donald Westlake, Moisson noire 2001, les meilleures nouvelles policières américaines (Ed. Rivages Thriller, 22, 63 _). Les nouvelles noires proposées par Donald Westlake sont comme une encyclopédie du genre : récits de la ville ou de la campagne, du Nord ou du Sud du pays américain. D’illustres auteurs comme Dennis Lahanne ou Barbara D’Amato y côtoient des inconnus. La plupart sont de vrais petits bijoux, avec un sens de la chute comme dans la nouvelle gore d’Edward Lee, la complainte des malandrins qui terminent leur road-movie tragique sur le delta du Mississipi (L’île sur le fleuve de Chad Holley), faite autour comme une ballade américaine… Il faudrait toutes les citer. Plutôt les lire.
Jorn Riel, Un gros bobard et autres racontars (trad. du danois par Suzanne Juul et Bernard Saint Bonnet, 10/18, 5,79 _). Que dire de Jorn Riel, sinon que c’est un fameux conteur ? Ses personnages de chasseurs perdus dans l’immensité du Groenland trompent la dureté de l’hiver en racontant d’énormes histoires. Elles ont une tenue toujours élégante.
Comme cette présentation d’un mauvais conteur qui « ne possédait pas le don de savoir étirer une information jusqu’aux limites de son point de rupture ». Je peux certifier que ce n’est pas du tout le cas de Riel. Il a, de plus, cette capacité des formules qui frappent, fut-ce dans le scatologique comme cette sensation universelle de « pouvoir pousser l’horizon » à l’occasion d’opération naturelles réalisées dans le décor grandiose des plages qui baignent la mer du Groenland… Il sait aussi manier les hypothèses les plus farfelues : ainsi le « concept des livres enrhumés ». Riel, vrai, c’est un régal.
Primo Levi, Dernier Noël de guerre (trad. de l’italien par Nathalie Bauer, 10/18, 5,79 _).
Primo Levi aimait son pays, pratiqua l’alpinisme et rapporta de l’enfer d’Auschwitz son récit Si c’est un homme. Les nouvelles ici rassemblées abordent ces thèmes, et aussi celui de l’étrangeté au monde : « Buffet », premier texte du recueil, décrit l’expérience bizarre d’un kangourou qui participe à un pince-fesse… Difficile d’oublier la description du « buffet mélancolique » où notre animal veut taire sa différence et sent monter en lui un sentiment d’angoisse diffuse, comme pour le pauvre héros de la Métamorphose de Kafka. « Dernier Noël de guerre » relate diverses facettes du comportement humain dans le Lager où survivait Levi, « Fra Diavolo sur le Pô », sa courte expérience forcée de milicien universitaire, prolongée par l’absurde loi administrative d’après-guerre. Il faut lire et relire tout Primo Levi.
John Williams, Cinq pubs, deux bars et une boîte de nuit (trad. de l’anglais par Christine Raguet-Bouvart, Ed. L’esprit des péninsules, 246 p., 21,35 _). Dans le monde interlope de Cardiff des années 90, de petits truands, dealers, hommes aux combines minables et aux bons coups pour gruger les gogos, se déclinent dans les huit nouvelles de John Williams. Les personnages, qui pour la plupart appartiennent à la communauté jamaïcaine de la ville, se déplacent d’un récit à l’autre, s’agitant sur la scène de la vie, en une galerie vraiment épatante, assez haute en couleur : un humour caustique et plein de bonhomie, de bar en bar. On y croise un ancien trois-quarts centre de rugby qui regarde, tous rideaux tirés, les matchs du Tournoi des Cinq nations, lui, le caïd de son quartier, avant d’installer une mosquée se réclamant de la Nation de l’Islam de Louis Farrakhan, en rez-de-chaussée de sa boîte de nuit. Plus loin, Mikey, trafiquant besogneux, laid et bas sur pattes, tente sans cesse d’utiliser son bagout pour tomber les dames, et ensuite se faire soigneusement casser la figure par sa femme chaque fois qu’elle soupçonne sa propre infortune conjugale. Le récit d’un attentat gauchiste dans les années 70, le dynamitage d’un pont enjambant le réseau ferroviaire de la ville, raconté par un acteur de l’époque, Ozzie, devenu éducateur de rue salarié de la ville… (John Williams participera au prochain festival Noir-Ouest à Bordeaux organisé par le Passant les 14, 15 et 16 juin).
Chris Offut, Sortis du bois (trad. de l’américain par Philippe Garnier, Ed. Gallimard, 16,50 _). Chris Offut sait rendre la densité de ceux qui, partis de l’Est-Kentucky natal, se vivent comme exilés de ce morceau de terre fait de collines tapissées de forêts, « où il n’y a que de la pente », comme disait joliment un des protagonistes du Bon frère, précédent livre d’Offut paru dans La Noire. Ce qui frappe les héros de ces nouvelles, c’est toujours les grands espaces américains qu’ils découvrent « où la terre est plate comme une carte à jouer » ; un camionneur surpris par des pluies diluviennes en Oregon contemple « un paysage [qui] lui rappelait un dessus de table et il fonçait vers le bord ». On peut comprendre que certains, angoissés d’être ainsi lâchés, ne pensent qu’à retrouver leur coin pentu d’origine. D’autres, au contraire, sortent des bois natals pour ne plus y revenir. Ils sont tous des hommes au cœur simple, volontiers sentencieux, taciturnes, et se vantent d’être les premiers habitants d’Amérique, aussi anciens que les Indiens. En somme, ils se pensent uniques et ils ont bien sûr raison.
Donald Westlake, Moisson noire 2001, les meilleures nouvelles policières américaines (Ed. Rivages Thriller, 22, 63 _). Les nouvelles noires proposées par Donald Westlake sont comme une encyclopédie du genre : récits de la ville ou de la campagne, du Nord ou du Sud du pays américain. D’illustres auteurs comme Dennis Lahanne ou Barbara D’Amato y côtoient des inconnus. La plupart sont de vrais petits bijoux, avec un sens de la chute comme dans la nouvelle gore d’Edward Lee, la complainte des malandrins qui terminent leur road-movie tragique sur le delta du Mississipi (L’île sur le fleuve de Chad Holley), faite autour comme une ballade américaine… Il faudrait toutes les citer. Plutôt les lire.
Jorn Riel, Un gros bobard et autres racontars (trad. du danois par Suzanne Juul et Bernard Saint Bonnet, 10/18, 5,79 _). Que dire de Jorn Riel, sinon que c’est un fameux conteur ? Ses personnages de chasseurs perdus dans l’immensité du Groenland trompent la dureté de l’hiver en racontant d’énormes histoires. Elles ont une tenue toujours élégante.
Comme cette présentation d’un mauvais conteur qui « ne possédait pas le don de savoir étirer une information jusqu’aux limites de son point de rupture ». Je peux certifier que ce n’est pas du tout le cas de Riel. Il a, de plus, cette capacité des formules qui frappent, fut-ce dans le scatologique comme cette sensation universelle de « pouvoir pousser l’horizon » à l’occasion d’opération naturelles réalisées dans le décor grandiose des plages qui baignent la mer du Groenland… Il sait aussi manier les hypothèses les plus farfelues : ainsi le « concept des livres enrhumés ». Riel, vrai, c’est un régal.
Primo Levi, Dernier Noël de guerre (trad. de l’italien par Nathalie Bauer, 10/18, 5,79 _).
Primo Levi aimait son pays, pratiqua l’alpinisme et rapporta de l’enfer d’Auschwitz son récit Si c’est un homme. Les nouvelles ici rassemblées abordent ces thèmes, et aussi celui de l’étrangeté au monde : « Buffet », premier texte du recueil, décrit l’expérience bizarre d’un kangourou qui participe à un pince-fesse… Difficile d’oublier la description du « buffet mélancolique » où notre animal veut taire sa différence et sent monter en lui un sentiment d’angoisse diffuse, comme pour le pauvre héros de la Métamorphose de Kafka. « Dernier Noël de guerre » relate diverses facettes du comportement humain dans le Lager où survivait Levi, « Fra Diavolo sur le Pô », sa courte expérience forcée de milicien universitaire, prolongée par l’absurde loi administrative d’après-guerre. Il faut lire et relire tout Primo Levi.