Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°39 [mars 2002 - avril 2002]
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L’ordinaire de l’histoire
Lettre à mesdames et messieurs les candidats aux élections, aux grands patrons, à tous ceux qui devraient être responsables et qui n’y arrivent pas.
Levi’s Yser : 541 licenciés le 12 mars 1999 par la fermeture injustifiable de l’usine.
Nul ne peut dire – n’ose dire – aujourd’hui combien ont retrouvé du travail… Les mesures de reclassement sont un simple échec pour ceux qui les ont décidées ou menées, une vraie catastrophe pour ceux et celles qui les ont subies. Au bout de trois ans, le silence. Autant la lutte a pu émouvoir, autant la peine de longue durée ne suscite que la gêne, la fatigue.
Le spectacle 501 Blues connaît le succès, les représentations sont nombreuses et c’est tant mieux. Il fait vivre la mémoire de la vie ouvrière chez Levi’s et de la lutte, il donne du travail à cinq ex-ouvrières devenues intermittentes du spectacle, il donne de la force et du courage à plusieurs autres. Le livre Les Mains bleues se vend régulièrement, il fait entrer quelques milliers de francs dans la caisse de l’association des 25 qui l’ont écrit. Tout cela est vrai, spectaculaire, exemplaire, mais ne remplit pas la vie et les besoins des 541 !
Leur vie n’est pas un long conte de fées tranquille dans la lumière de la scène. Non ! En trois ans, on sait les deux suicides, les dépressions nerveuses, les divorces, les familles dévastées, les dettes qui montent dangereusement, les vies étouffées et l’avenir noir. Levi’s a fermé ses usines en Belgique et à La Bassée, s’est
réorganisé dans des pays pauvres et connaît
des bénéfices records. Ici, c’est la misère
qui s’abat. Plus d’espoir, plus de joie : survivre.
Et pendant ce temps-là, on nous rabat les oreilles avec la sécurité !
Des emplois. Des emplois pour tous, bien considérés, bien payés ! Voilà ce que nous voulons et qui assurera la sécurité pour nous, pour nos enfants, pour tous et pour pas cher. C’est simple, c’est connu, alors, pourquoi remettre sans cesse sur le tapis des questions de surveiller, soupçonner, traquer, punir ? Nous ne sommes pas des délinquants, nous ne sommes pas des bandits : nous sommes les ouvriers déchus du travail. Vous nous avez employés, vous nous avez jetés et vous ne voulez plus de nous ; vous ne voulez rien faire pour nous et, au lieu de nous considérer avec confiance, vous prétendez que nous faisons peur.
Alors nous voilà aujourd’hui en « fin de droits ». « Fin de droits », vous vous rendez compte ! Nous sommes sans droits. Allez-vous nous pousser à la mer ? Nous expulser ? Chaque jour, l’humiliation s’empire et il faudra encore en avaler une fameuse dose pour seulement prétendre au RMI. Quand nous serons devenus des intouchables, quel but aurez-vous atteint ?
Les Levi’s il y a trois ans, les Marks & Spencer aujourd’hui, les Moulinex, les Thompson, les Lever, tous les autres, est-ce cela qui les attend ? Un peu d’émotion suivie de beaucoup d’oubli ? Est-ce que leur vie sans avenir n’a aucune importance ?
Commence bientôt le printemps électoral, alors écoutez-nous. Nous avons peu à dire : « Donnez-nous la sécurité du travail et faites-nous confiance. Tout viendra de là. »
Levi’s Yser : 541 licenciés le 12 mars 1999 par la fermeture injustifiable de l’usine.
Nul ne peut dire – n’ose dire – aujourd’hui combien ont retrouvé du travail… Les mesures de reclassement sont un simple échec pour ceux qui les ont décidées ou menées, une vraie catastrophe pour ceux et celles qui les ont subies. Au bout de trois ans, le silence. Autant la lutte a pu émouvoir, autant la peine de longue durée ne suscite que la gêne, la fatigue.
Le spectacle 501 Blues connaît le succès, les représentations sont nombreuses et c’est tant mieux. Il fait vivre la mémoire de la vie ouvrière chez Levi’s et de la lutte, il donne du travail à cinq ex-ouvrières devenues intermittentes du spectacle, il donne de la force et du courage à plusieurs autres. Le livre Les Mains bleues se vend régulièrement, il fait entrer quelques milliers de francs dans la caisse de l’association des 25 qui l’ont écrit. Tout cela est vrai, spectaculaire, exemplaire, mais ne remplit pas la vie et les besoins des 541 !
Leur vie n’est pas un long conte de fées tranquille dans la lumière de la scène. Non ! En trois ans, on sait les deux suicides, les dépressions nerveuses, les divorces, les familles dévastées, les dettes qui montent dangereusement, les vies étouffées et l’avenir noir. Levi’s a fermé ses usines en Belgique et à La Bassée, s’est
réorganisé dans des pays pauvres et connaît
des bénéfices records. Ici, c’est la misère
qui s’abat. Plus d’espoir, plus de joie : survivre.
Et pendant ce temps-là, on nous rabat les oreilles avec la sécurité !
Des emplois. Des emplois pour tous, bien considérés, bien payés ! Voilà ce que nous voulons et qui assurera la sécurité pour nous, pour nos enfants, pour tous et pour pas cher. C’est simple, c’est connu, alors, pourquoi remettre sans cesse sur le tapis des questions de surveiller, soupçonner, traquer, punir ? Nous ne sommes pas des délinquants, nous ne sommes pas des bandits : nous sommes les ouvriers déchus du travail. Vous nous avez employés, vous nous avez jetés et vous ne voulez plus de nous ; vous ne voulez rien faire pour nous et, au lieu de nous considérer avec confiance, vous prétendez que nous faisons peur.
Alors nous voilà aujourd’hui en « fin de droits ». « Fin de droits », vous vous rendez compte ! Nous sommes sans droits. Allez-vous nous pousser à la mer ? Nous expulser ? Chaque jour, l’humiliation s’empire et il faudra encore en avaler une fameuse dose pour seulement prétendre au RMI. Quand nous serons devenus des intouchables, quel but aurez-vous atteint ?
Les Levi’s il y a trois ans, les Marks & Spencer aujourd’hui, les Moulinex, les Thompson, les Lever, tous les autres, est-ce cela qui les attend ? Un peu d’émotion suivie de beaucoup d’oubli ? Est-ce que leur vie sans avenir n’a aucune importance ?
Commence bientôt le printemps électoral, alors écoutez-nous. Nous avons peu à dire : « Donnez-nous la sécurité du travail et faites-nous confiance. Tout viendra de là. »
* L’équipe de 501 Blues, les éditions Sansonnet et le Comité d’Établissement Régional SNCF.
** Tendance Floue
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