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Sortie du DVD de Notre Monde

Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
Rassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°42 [septembre 2002 - octobre 2002]
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Amis et/ou amants


Elle ressemblait à ça, quand elle m’a fait son strip dans une chambre d’hôtel.

Peut-être était-ce à Paris, dans un hôtel rue de l’Odéon ; avec ces poutres en bois qui sillonnaient le crépi des murs et du plafond. Ou bien encore, dans l’hôtel Gershwin, juste à coté de la Cinquième Avenue, où le sourire d’une héroïne de Picasso illuminait le mur près du lit et observait nos ébats amoureux à travers les cloisons de l’obscurité. Elle ne se gênait pas, pour autant, si nous gardions la lumière allumée. Peut être était-ce dans un petit hôtel d’Amsterdam, dont les fenêtres surplombaient un canal aux eaux troubles et glauques, où nous étions demeurés éveillés toute la nuit, à cause du raffut occasionné par des bambocheurs bourrés et les voitures qui cherchaient à se garer. Ca c’est sur, nous avons fréquenté beaucoup d’hôtels. Quelquefois, ils étaient élégants, sordides souvent, derniers refuges contemporains des amours illicites. Comme celui de Chicago, en pleine rénovation, où elle préféra dormir dans le deuxième lit, parce que je ronflais trop (de fait, l’hôtel terminus, tout le monde descend ! Le dernier endroit à abriter notre pathétique liaison ; l’excuse convoquée fut, peut être, un des signes avant-coureurs de son désintérêt grandissant à mon égard). Ou bien le St Pierre, sur Burgundy Street, à la Nouvelle-Orléans, suffisamment éloigné du tintamarre de Bourbon Street, où j’avais oublié de l’amener danser (il n’y a qu’à Chicago qu’elle dansa, mais ce fut avec d’autres hommes).

Ou celui dont je garde les souvenirs les plus chers. Notre chambre couleur marine – et pastel – du Grand Hôtel, à Sète ; son balcon terrasse qui donnait sur un canal bien différent du précédent. Durant le week-end, nous avions pu contempler des jouteurs locaux s’affrontant à bord de longues embarcations. Un port côtier où elle alluma, ce soir-là, le serveur boiteux qui s’était occupé de nous dans un restaurant de fruits de mer.

Elle suggéra, sérieuse, que nous l’invitions plus tard à nous rejoindre dans la chambre. Ca n’alla pas plus loin, mais pendant des mois, jusqu’à la fin, je demeurerais terriblement hanté par l’idée de la voir se faire mettre par un autre homme ; au point de faire du repérage pour en trouver un, quand, juste après, nous avons visité Manhattan. Le plan tomba à l’eau : ses règles arrivèrent la semaine où nous venions de débarquer.

Dans mes rêves, je n’étais même pas jaloux de l’imaginer dans les affres du plaisir, la queue d’un autre homme lentement la pénétrant ; je me voyais en train d’écouter ses gémissements, son abandon ; d’observer la scène, complètement fasciné, alors que ses yeux bleus, si clairs, se troubleraient, au point de devenir vitreux. Après notre toute première fois, alors que je la raccompagnais à la gare, elle me confia que son partenaire se rendrait immédiatement compte qu’elle s’était donnée à un autre, rien qu’au brillant intense de ses yeux. Non, je ne ressentais aucune jalousie à la pensée de ses ébats avec un autre. Pour moi, ça pouvait même constituer une sorte de plaisir instructif. Je l’installerais à quatre pattes sur le lit, la croupe face à la porte, je ferais glisser mes doigts dans le sillon de ses fesses, je plongerais ensuite dans son humidité, et ferais au nouveau venu les présentations de la beauté et des intimités secrètes et complexes de son corps. Voyez comme elle est chaude à l’intérieur, comme cette douce chatte va vous attraper la queue, vous soutirer tout votre lait ; jusqu’à la moindre goutte ; jusqu’à sec. Je serais le réalisateur, m’occupant du moindre détail de mise en scène, orchestrant mouvements et déplacements. Je me caresserais gentiment pendant que ses lèvres se refermeraient fermement autour du braquemart du monsieur pour l’engloutir entier et aspirer sa substance avec l’énergie du désespoir. (J’ai déjà dû vous dire comme elle faisait bien les pipes, non ? Elle vous suçait avec une énergie passionnée, comme si sa vie entière en dépendait, mais conservait dans les yeux cet air d’innocence amusée. Elle manifestait un plaisir pur à pratiquer l’art de la fellation. Ce que j’espérais manifester moi-même, quand, penché sur elle, je la savourais, et me retrouvais secoué par les tremblements de son orgasme qui se propageaient à travers son corps jusqu’à ma langue, mon cœur, mon âme, et ma bite.

Elle fit donc, pour moi, un strip dans une chambre d’hôtel. Il ne restait que les bas. Elle ondulait, fragile, jetant son pelvis en avant, secouant ses seins délicats, les bras pendant en toute liberté, les mains caressant sa croupe dans une sorte de pastiche érotique, tout comme une strip-teaseuse au cinéma. Pas de musique, rien que nous, dans cette pièce, à sa façon, dénudée. Un mouvement plus surprenant, un bond, quelques tressautements ; là, comme Madonna dans cette vidéo, un truc un tantinet vulgaire, mais suffisamment suggestif ; là, débordante, façon Kylie Minogue, mais jamais aussi allumée que Jennifer Lopez ou Destiny’s Child.

Je m’abreuvais de chaque petite quantité de son corps. A plus soif. La chair pale, les grains de beauté, et les imperfections ; l’océan profond des yeux insondables ; les seins qui balançaient gentiment ; les cheveux blond cendré qui, à présent, atteignaient les épaules ; le triangle pétulant, soigné, formé par les boucles plus sombres de la pilosité pubienne, à travers duquel j’apercevais aisément l’entaille de l’ouverture nacrée ; les plis plus épais de la chair, là où les lèvres du sexe retombaient, se faisaient tellement charnues et saillantes ; l’étendu ferme, majestueuse de son cul, et qui m’avait paru si beau dans le string que nous avions acheté ensemble chez Victoria’s Secrets sur Broadway.

Elle baissait les yeux, m’apercevait, la langue, sans aucun doute, pendante, une érection douloureuse en train de tendre le tissu sombre de mes falzards ; elle souriait, et mon cœur se mettait à fondre. Bien sûr que je voulais la tringler, à nous retrouver sur le cul et hors d’haleine. Cependant, c’était étrange : je me sentais submergé de bonté ; je sentais que cette sensation me transformait en un homme meilleur.

Ce corps je l’ai connu dans un telle intimité que je pourrais vous en lire les menus détails de ses soupirs ; vous décrire le regard dans ses yeux, au moment où elle se fait pénétrer ; la tache sur le côté gauche de son sein gauche ; la douzaine de variations de la couleur de peau entourant l’ouverture godée de l’anus ; et la centaine de nuances de rouge, de rose, hurlant vers moi lorsque je sépare les lèvres de son con pour l’ouvrir en grand. Et les souvenirs reviennent à toute vitesse, comme un ouragan ; soudains, absurdes, brutaux. De bons moments, et aussi des mauvais. Du moment où nous nous sommes retrouvés à poil sur une plage balayée par un vent glacé. D’un autre moment, au Metropolitan Museum, où elle se sentit tellement excitée par les sculptures érotiques de l’Inde et de l’Océanie que nous avons presque baisé dans les toilettes d’à côté (Je fus celui qui trouva ça bien trop risqué, et quand nous avons rejoint l’hôtel, l’envie s’était dissipée…). De l’e-mail dans lequel elle m’informait s’être rasée la chatte, et quelques jours plus tard, d’une autre communication laconique m’informant qu’elle s’était dégotée un nouvel amant, et de ma colère quand j’ai réalisé qu’il était devenu celui qui pouvait à présent contempler, dans toute son érotique splendeur, son mont chauve. Je me souviens aussi de la première fois où elle m’autorisa à la prendre par derrière, sans préservatif ; je me regardais m’enfoncer en elle, allant, venant, nos humeurs en pleine percolation. Et de la soirée où nous avions dégusté des huîtres, pour elle c’était la première fois, et dont elle retrouva le goût en avalant mon foutre quelques heures plus tard dans la chambre d’hôtel.

Cette chambre d’hôtel où elle fit son strip pour mon plaisir amusé, yeux baissés, un sobre collier en or passé autour du cou gracieux ; où, réduite maintenant à attaquer les bas résille, elle se dirigea lentement vers moi – j’étais assis sur le bord du lit –, l’odeur délicate de son con juste à proximité de mon visage ; elle s’était retrouvée d’une enjambée debout sur la couverture du lit, me dominant de toute sa taille, puis écartant ses jambes largement, elle avait offert, à quelques centimètres de mes yeux grand ouverts, la vision obscène et merveilleuse de sa fente manifestement humide, passant de l’attisement à l’offrande, elle, ma maîtresse à poil, la performeuse rien que pour moi, mon amour toute nue.

« Ca vous plaît, Mister ? » demande-t-elle, un petit gloussement flanqué au fond de la gorge.

Bien sûr, j’approuve.

Sa main descend alors, plante deux doigts opposés dans son humidité, et elle s’écarte le con.

« Ca vous dit, Sir ? » me propose-t-elle.

Je souris, feins une indifférence détachée. Réponds, comme je peux, d’une blague à propos dont je ne peux pas, Grand Dieu, me souvenir maintenant. Elle éclate de rire. Il était une fois une époque où je la faisais poiler comme personne. Je la préviens de tempérer son hilarité, lui rappelle le coup, sur le boulevard St Germain, où elle s’est mise à pisser quelque peu à la culotte, emportée par son fou rire. Elle émet un hoquet, se penche vers moi. La chaleur hypnotique de son corps nu contre moi. Je suis encore tout habillé.

Maintenant ces souvenirs d’hôtels, de blagues un temps amusantes, sont devenus insupportables.

Maintenant, trop de choses se sont passées depuis le temps où nous étions heureux tous les deux, dans notre simple et sexuelle façon d’exister. Elle désire que nous devenions des amis, mais plus jamais des amants.

Il y a eu un Hollandais, marié, en plein divorce à présent ; un Coréen, à la peau sombre ; et Dieu seul sait qui d’autre. Finalement, je suis jaloux. A fond. Pour sûr, elle insiste, nous pouvons encore passer du bon temps ensemble, en copains, pas de sexe, c’est mieux comme ça. Comment, je lui demande, je le pourrais, n’est-ce pas ? Comment pourrait-on passer nos journées dans des villes étrangères, partager une chambre d’hôtel et faire semblant d’ignorer, en ce qui me concerne, que son corps, ses yeux, son odeur, ses propos et sa chatte gueulent le sexe ? Je sais bien que je ne peux pas accepter ce ridicule lot de consolation que serait entre nous l’amitié.

Tu peux t’envoyer en l’air avec d’autres hommes, lui dis-je, je ne t’en blâme pas et ne t’en tiens aucune rigueur, je comprends que je ne suis pas toujours disponible, et que tu es jeune, avec des besoins et des désirs liés à ton âge. Elle sait bien cependant que je lui mens quelque part. Que je ne dirais rien pour qu’elle revienne.

Dans des chambres d’hôtel.

A me faire son strip.

A rire avec moi. A rire de moi.

Elle se déplace dans l’obscurité ; je suis sourd, je ne peux pas entendre la musique sur laquelle elle évolue, si sensuelle. C’est peut-être un blues, interprété par Christine McVie ou Nathalie Merchant. Ou bien « Sing » par Travis. Ou bien encore « Tumbling Towards Ecstasy » de Sarah McLahan (le Coréen, qui l’a laissée tomber pour une Russe après avoir brisé son cœur si fragile, l’avait initiée à cette musique ; d’une certaine manière, il connaissait la chanson : un homme d’un bon goût mélodique…). Ou bien, pour continuer dans l’encore, cette chanson d’Aimée Mann tirée de la bande sonore de Magnolia (nous avions vu le film ensemble ; ah, comme elle aimait voir des films avec moi). Je n’entends rien du tout. Je peux tout juste essayer d’en deviner l’air à partir des mouvements langoureux de son corps alors que les pièces de vêtement choient, l’une après l’autre, révélant les trésors de son corps, de son intimité. La fissure de son nombril, Le bout plus sombre de ses tétons (si dénués de sensibilité, tenait-elle toujours à me rappeler), sa gorge, la luminosité de son visage, sa jeunesse, sa vitalité.

J’ouvre la bouche mais je ne peux même pas m’entendre dire « s’il te plaît » ou « reviens » ou encore « pardonne-moi ».

Elle danse, mon ange érotique, ma maîtresse perdue.

Les mots silencieux prennent en moi du volume, mais elle est perdue dans la musique et n’aperçoit même plus son public. Derrière elle, les murs de l’hôtel sont devenus tous noirs. Elle s’est fixée comme une photo, sa pâleur en contraste avec ce qui l’entoure. Un effeuillage dans une chambre d’hôtel. Etude d’ombres et de lumières.

Comme lors d’un cauchemar, ma gorge se contracte, les mots m’abandonnent complètement. Je laisse tomber une larme solitaire de tendresse humide, bien trop averti que je ne pourrai plus jamais me permettre un strip-tease privé. Seul avec moi-même dans une chambre d’hôtel.

Romancier, éditeur, libraire anglais, Maxim Jakubowsky est l’auteur de nombreux ouvrages dont Montana que vient de publier les éd. Blanche (2001). Amis et/ou amants (Friends and/or lovers), la nouvelle que nous publions ici, est inédite en français. Elle est extraite de Thirteen, bel ouvrage collectif regroupant des fictions inspirées par les photographies de Marc Atkins, publié par les éditions anglaises The Do-Not-Press Limited en 2002. Lire également page 62 la nouvelle de Stella Duffy.

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