Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
Retour
© Passant n°43 [février 2003 - mars 2003]
Imprimer l'article© Passant n°43 [février 2003 - mars 2003]
Les droits des étrangers et des migrants
L’aptitude du mouvement social et citoyen à prendre en charge, au niveau local, national, européen, mondial, l’ensemble des questions de la période est la condition de son développement. Il se doit de prendre en compte les questions majeures liées aux inégalités sociales et aux discriminations ; aux inégalités entre le Nord et le Sud, aux rapports de domination, aux guerres et aux conflits ; au respect des droits des générations futures et à la préservation des écosystèmes ; aux dénis des libertés individuelles et collectives et des droits démocratiques.
Nous voulons par cette déclaration attirer l’attention sur la question centrale et trop souvent négligée des étrangers et des migrations. Nous ne le faisons pas seulement pour défendre les droits particulièrement contestés des étrangers et des migrants ; nous le faisons surtout parce que ces droits s’inscrivent dans l’ensemble des droits et que leur remise en cause se traduira par une atteinte à tous les droits et aux droits de tous. Nous le faisons aussi parce que le mouvement social et citoyen doit démontrer sa capacité à assumer un rôle historique, à prendre en charge la société dans toutes ses dimensions, y compris sa dimension mondiale.
L’échelle européenne est une échelle pertinente pour poser cette question. Elle est déjà, pour les pays européens, celle de la définition des politiques publiques en matière d’immigration, celle de la concertation et de la prééminence d’un espace judiciaire européen. Dans la situation actuelle, les gouvernements se confortent les uns les autres pour accentuer une approche régressive et répressive des droits des étrangers et des migrants. Pourtant, la dimension européenne offre des possibilités. La diversité culturelle est une des conditions de l’identité européenne ; les migrations et la conquête des droits des migrants font partie de l’histoire de l’Europe et de son identité. Le mouvement social et citoyen européen qui se construit, à partir des mouvements locaux et nationaux, doit s’approprier cette question, s’en saisir de manière positive et offensive.
Cette première contribution est plus directement marquée par les réalités de la société français ; c’est de cette situation que nous partons. Nous versons cette contribution pour que, dans l’année qui vient, du Forum social européen de Florence à celui de Paris et Saint-Denis, à partir des différentes situations et propositions, nous puissions construire ensemble une position commune sur la question des droits des migrants et des résidents étrangers dans la perspective de l’égalité des droits de tous, de leur garantie et de leur approfondissement.
Le traitement désastreux de la question des étrangers et des migrants explique, en partie, l’échec de la gauche.
Nous sommes dans une période contradictoire. Une période marquée par la montée du populisme et des références de l’extrême droite, mais aussi une période de renforcement du mouvement social et citoyen. Cette contradiction n’est pas seulement française, elle est aussi européenne et mondiale. Pour la caractériser, nous voulons citer cette proposition de Gramsci qui avançait, entre les deux guerres mondiales, dans une période analogue : « le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair obscur, surgissent les monstres ».
Dans ces périodes, la situation des couches sociales les plus exposées est significative de la nature profonde des sociétés dans lesquelles nous vivons. Les migrants occupent aujourd’hui, dans l’imaginaire des sociétés mondialisées, la place des « classes laborieuses, classes dangereuses », réservée, il y a quelques décennies, au prolétariat. Sur cette question s’opposent de manière radicale, d’une part, ceux qui pensent que le progrès social et démocratique implique la protection contre l’étranger et, d’autre part, ceux qui estiment qu’un progrès social et démocratique construit sur l’exclusion a peu de chances d’être durable.
Nous pensons que l’échec de la gauche est lié au traitement désastreux de la question des étrangers et de l’immigration. La situation a été de ce point de vue très proche dans l’ensemble des pays européens gouvernés par des alliances dirigées par des partis sociaux-démocrates. En France, il y a certes plusieurs raisons combinées qui expliquent la perte de crédibilité du projet de la gauche plurielle et le divorce avec l’électorat populaire. La rigidité par rapport aux sans-papiers a été, pour certains, une rupture morale. La difficulté à comprendre l’exaspération des exclus et à leur assurer un égal accès aux droits a approfondi cette rupture. La dérive des mesures sociales les plus prometteuses vers les couches moyennes a dérouté de larges secteurs des couches populaires. L’incapacité à échapper à la surenchère dans la montée des dérives sécuritaires et nationalistes pendant la campagne a dérouté de larges secteurs de la population, particulièrement de la jeunesse.
Les droits des migrants et des étrangers sont doublement remis en cause, par les inégalités sociales et les discriminations, et par la domination du Sud par le Nord ; ceci met en danger l’ensemble des droits.
Une société solidaire implique la lutte contre toutes les discriminations ; particulièrement le racisme, la xénophobie et celles qui reposent sur le genre. En France par exemple, nous ne pouvons accepter la représentation idiote qui voudrait que « tous les Français sont racistes ». Pas plus qu’on ne peut imaginer une idéalisation dans laquelle « les Français ne sont en aucun cas racistes ». Nous savons que le racisme et la xénophobie jouent le rôle de « valeurs » constitutives de larges secteurs de la société française ; et que ces comportements sont ancrés dans un passé colonial qui se perpétue dans la nostalgie d’une France dominatrice. Mais nous savons aussi qu’une large partie de la société française n’a jamais hésité à marquer son refus du racisme et même à manifester son antiracisme. C’est par une action continue qu’on peut faire reculer le racisme et la xénophobie dans la société française à condition de refuser tout suivisme par rapport aux offensives de l’extrême droite et de développer nos luttes à partir des valeurs de liberté et d’égalité.
L’insécurité est réelle dans les sociétés contemporaines. Cette insécurité résulte de la remise en cause des statuts sociaux par la précarisation, des solidarités et des identités par la modernité, de la paix par les conflits. Répondre à la demande de sécurité par une idéologie sécuritaire et par un Etat autoritaire et répressif, c’est entrer dans une surenchère qui profitera, en dernière instance à l’extrême droite. Accepter de faire des étrangers et des migrants les boucs émissaires de cette situation est dangereux et illusoire ; comme ils ne sont ni la cause ni la solution à cette situation, leur stigmatisation ne fera qu’augmenter les craintes et entraînera toute la société dans une spirale régressive. Accepter l’idée que l’Europe est en guerre contre les migrants et qu’il est normal, qu’à ses frontières, des centaines de personnes trouvent la mort, conduira à accréditer la conception d’une Europe forteresse, fermée et indifférente à l’évolution d’un monde dont elle est aussi responsable.
Les migrants font partie du peuple ; tous ceux qui habitent le même territoire, qui y travaillent et qui y vivent, y compris les étrangers. Nier leur appartenance se traduirait assez vite par la négation de toute la diversité qui constitue la richesse de toute culture et s’oppose à la logique de la purification ethnique. Ce serait surtout affaiblir le camp de tous ceux qui ont intérêt à changer ensemble la société. Avec l’élargissement du système-monde, la citoyenneté prend de nouvelles formes. La citoyenneté de résidence est une de ces formes. La mondialisation n’annule pas les identités nationales et les solidarités communautaires, elle n’annule pas non plus les frontières mais elle en modifie l’acceptation. Les solidarités s’appuient sur la diversité culturelle et les inscrivent dans une unité, celle d’un avenir commun librement assumé.
La mise au ban des migrants et des étrangers fait partie d’une politique de précarisation généralisée. Cette précarisation se traduit par les licenciements et le chômage, la marginalisation des empois stables, la remise en cause des statuts sociaux et des systèmes de protection sociale. La négation des droits pour une partie de la population fragilise l’ensemble. Progressivement, les droits des catégories successives sont remis en cause. Les femmes qui sont de plus en plus au centre des restructurations de l’immigration, et qui sont soumises à des conditions spécifiques d’oppression et de domination, subissent particulièrement la dégradation de cette situation. Aucune politique reposant sur la division et l’exclusion ne peut assurer un progrès social et démo-cratique ; elle se traduit toujours par une exclusion en chaîne.
La précarisation généralisée est le résultat recherché des politiques de libéra-lisation menée dans le cadre de la mondia-lisation. Cette mondialisation, dans son cours actuel, repose sur deux fondements : les inégalités sociales et les discriminations ; les inégalités entre pays et la domination du Sud par le Nord. Les migrants sont au cœur de ces deux questions. La négation des droits des migrants trouve aujourd’hui sa source dans la domination du Sud par le Nord, dans les discriminations et dans la faiblesse du mouvement de défense solidaire.
Les droits des migrants et des étrangers occupent une place stratégique dans un projet d’émancipation sociale et démocratique.
Nous rappelons ici les cinq principes de base et quelques propositions immédiates.
La liberté de circulation et d’établissement fait partie des droits fondamentaux. Le reconnaître est un préalable et l’indication d’un objectif. Cette reconnaissance ne revient pas à décréter l’ouverture immédiate et incontrôlée des frontières, car comme toute liberté, la liberté de circulation et d’établissement doit être aménagée et organisée. Mais, les difficultés à mettre en œuvre un droit n’autorise en aucun cas à accepter la négation de ce droit. D’autant que le risque d’une invasion massive fait partie de ces fausses évidences soigneusement entretenues ; rappelons que l’essentiel des flux migratoires va de pays du Sud vers d’autres pays du Sud et n’oublions pas que l’ouverture des frontières à l’occasion de l’adhésion à l’Europe s’est traduite par un large retour des émigrés dans toute l’Europe du Sud.
Des dispositifs d’accueil et d’insertion devraient être créés impliquant non seulement les autorités gouvernementales, mais surtout de façon plus directe les collecti-vités locales, les organisations syndicales et les associations, acteurs décisifs en la matière. Ces dispositifs n’auraient aucun caractère obligatoire, mais les candidats à l’installation seraient encouragés à s’y inscrire par différentes mesures incitatives favorisant l’accès à l’apprentissage de la langue, au logement, à l’école et à l’emploi. Ainsi serait enfin élaborée une politique nationale d’hospitalité portée, non par les seuls pouvoirs publics, mais par la société dans son ensemble. Dans l’immédiat nous proposons de supprimer les visas d’entrée de court séjour en Europe ; de créer un droit de recours suspensif pour toutes les décisions administratives entraînant un refus de séjour ; d’admettre la légitimité des opérations de régularisation fondées sur le respect des droits la personne et le refus de zones de non-droit ; d’inscrire le droit d’établissement en Europe pour les ressortissants de la zone ACP dans les accords de coopération.
La lutte contre les inégalités et les discriminations doit être le fondement des politiques publiques. Les inégalités sont structurées par les discriminations ; la lutte contre les inégalités passe donc par la lutte contre les discriminations. Les migrants et les étrangers sont une des fractions de la population les plus exposées ; le respect de leurs droits fait partie intégrante de la lutte pour le respect des droits de tous. La lutte contre les discriminations, qui passe par le respect des droits fondamentaux et la garantie d’égalité d’accès, doit être le fondement des politiques publiques. Nous avons tous pu vérifier que toute atteinte à l’accès des étrangers aux services publics n’est qu’une première étape pour restreindre l’accès de tous aux services et subordonner cet accès à des mécanismes de marché discriminatoires en fonction de revenus. Dans l’immédiat, nous proposons de substituer le principe de l’égalité des droits à celui du maintien de l’ordre public dans les législations concernant les étrangers ; d’annuler la double peine ; de lier la lutte contre le travail clandestin aux politiques de l’emploi, à la garantie des droits des personnes et au respect du droit du travail.
La citoyenneté de résidence est aujourd’hui le fondement démocratique de nos sociétés. Elle préserve le rapport entre citoyenneté et territoire mis à mal par la mondialisation. Elle fonde les libertés démocratiques de cha-que personne par rapport à l’imposition des appartenances com-munautaristes. Plusieurs évo-lutions vont dans ce sens, l’évolution du droit de la nationalité avec une reconnaissance plus grande donnée au droit du sol, du droit de vote dans l’Union européenne, les élections pru-d’homales, les essais de démocratie participative, etc. Cette progression des pratiques démo-cratiques se heurte aux nationalismes crispés sur des conceptions rétrogrades. Le défi de la période à venir est dans l’élargissement et l’approfondissement démocratiques par l’articulation des formes représentatives et participatives à tous les niveaux, ceux de l’entreprise, du local, du national, des grandes régions et particulièrement de l’Europe, du mondial. La place des migrants et des étrangers est un révélateur de cette évolution. Dans l’immédiat, nous pro-posons de confirmer le fondement de la nationalité sur le droit du sol ; de garantir l’égalité des droits à tous les résidents ; d’ouvrir les emplois réservés et de rejeter les pré-férences nationales ou euro-péennes ; d’étendre la citoyenneté européenne à tous les résidents ; d’assurer l’égal accès des résidents à toutes les instances participatives et représentatives.
La solidarité internationale est une des principales valeurs de référence par rapport au cours dominant de la mondialisation. Il faut rappeler le rôle historique des flux migratoires, et des migrants en tant qu’acteurs déterminants, dans le développement des sociétés d’origine et des sociétés d’accueil. Rappeler aussi que les flux migratoires sous leurs différentes formes (migrations économiques, demandeurs d’asile, diasporas, exode des cerveaux et assistance technique, etc.) structurent l’espace mondial et représentent l’un des aspects de la mondialisation. Rappeler enfin le rapport entre émigration et développement ; il est impossible de réfléchir au développement et au système mondial en dehors des flux migratoires ; l’immigration est au cœur du développement. Les modalités de coopération mises en place par les migrants renouvellent la coopération. Les migrants sont un vecteur stratégique et privilégié de la sensibilisation des sociétés européennes, et de la solidarité internationale, en France, en Europe et dans les pays d’origine. S’appuyer sur la richesse et la diversité des habitants et des citoyens, c’est ancrer la coopération dans la réalité des quartiers, des communes et des régions, c’est construire un niveau supérieur d’identité et d’unité, c’est ouvrir la France et l’Europe au monde. Dans l’immédiat, nous proposons de défendre la liberté d’association et d’expression com-me un des fondements de la coopération ; de reconnaître les migrants comme des acteurs essentiels de coopération ; que chaque accord de coopération comporte des volets sur la liberté de circulation, les conditions de la liberté d’établissement et les conditions de formation et de qualification.
La garantie du respect des droits des migrants doit être renforcée dans le droit international. Nous ne pouvons accepter que le droit international soit subordonné au droit des affaires et réglé par l’Orga-nisation Mondiale du Commerce. Accepter que les migrants soient considérés comme des marchandises c’est accepter un pas de plus dans la marchandisation de l’espèce humaine. Dans l’immédiat, nous devons exiger que le gouvernement français, les autres gouvernements européens et l’Union européenne, ratifient la « Convention in-ternationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des mem-bres de leur famille » approuvée le 18 dé-cembre 1990 par l’Assemblée générale des Nations Unies, signée par seulement 26 pays, et d’ailleurs uniquement des pays du Sud ; elle pourrait donner de véritables garanties aux migrants sur le plan international. Nous proposons aussi une Conférence In-ternationale organisée par les Nations Unies pour discuter des flux migratoires et de la garantie des droits des migrants, de la liberté de circulation, de l’égalité des droits entre les résidents et des droits des réfugiés dans les règlements des conflits. Une première étape, associant les différents secteurs de l’opinion, et notamment les migrants, peut être mise en œuvre dans l’Union européenne.
Nous voulons par cette déclaration attirer l’attention sur la question centrale et trop souvent négligée des étrangers et des migrations. Nous ne le faisons pas seulement pour défendre les droits particulièrement contestés des étrangers et des migrants ; nous le faisons surtout parce que ces droits s’inscrivent dans l’ensemble des droits et que leur remise en cause se traduira par une atteinte à tous les droits et aux droits de tous. Nous le faisons aussi parce que le mouvement social et citoyen doit démontrer sa capacité à assumer un rôle historique, à prendre en charge la société dans toutes ses dimensions, y compris sa dimension mondiale.
L’échelle européenne est une échelle pertinente pour poser cette question. Elle est déjà, pour les pays européens, celle de la définition des politiques publiques en matière d’immigration, celle de la concertation et de la prééminence d’un espace judiciaire européen. Dans la situation actuelle, les gouvernements se confortent les uns les autres pour accentuer une approche régressive et répressive des droits des étrangers et des migrants. Pourtant, la dimension européenne offre des possibilités. La diversité culturelle est une des conditions de l’identité européenne ; les migrations et la conquête des droits des migrants font partie de l’histoire de l’Europe et de son identité. Le mouvement social et citoyen européen qui se construit, à partir des mouvements locaux et nationaux, doit s’approprier cette question, s’en saisir de manière positive et offensive.
Cette première contribution est plus directement marquée par les réalités de la société français ; c’est de cette situation que nous partons. Nous versons cette contribution pour que, dans l’année qui vient, du Forum social européen de Florence à celui de Paris et Saint-Denis, à partir des différentes situations et propositions, nous puissions construire ensemble une position commune sur la question des droits des migrants et des résidents étrangers dans la perspective de l’égalité des droits de tous, de leur garantie et de leur approfondissement.
Le traitement désastreux de la question des étrangers et des migrants explique, en partie, l’échec de la gauche.
Nous sommes dans une période contradictoire. Une période marquée par la montée du populisme et des références de l’extrême droite, mais aussi une période de renforcement du mouvement social et citoyen. Cette contradiction n’est pas seulement française, elle est aussi européenne et mondiale. Pour la caractériser, nous voulons citer cette proposition de Gramsci qui avançait, entre les deux guerres mondiales, dans une période analogue : « le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair obscur, surgissent les monstres ».
Dans ces périodes, la situation des couches sociales les plus exposées est significative de la nature profonde des sociétés dans lesquelles nous vivons. Les migrants occupent aujourd’hui, dans l’imaginaire des sociétés mondialisées, la place des « classes laborieuses, classes dangereuses », réservée, il y a quelques décennies, au prolétariat. Sur cette question s’opposent de manière radicale, d’une part, ceux qui pensent que le progrès social et démocratique implique la protection contre l’étranger et, d’autre part, ceux qui estiment qu’un progrès social et démocratique construit sur l’exclusion a peu de chances d’être durable.
Nous pensons que l’échec de la gauche est lié au traitement désastreux de la question des étrangers et de l’immigration. La situation a été de ce point de vue très proche dans l’ensemble des pays européens gouvernés par des alliances dirigées par des partis sociaux-démocrates. En France, il y a certes plusieurs raisons combinées qui expliquent la perte de crédibilité du projet de la gauche plurielle et le divorce avec l’électorat populaire. La rigidité par rapport aux sans-papiers a été, pour certains, une rupture morale. La difficulté à comprendre l’exaspération des exclus et à leur assurer un égal accès aux droits a approfondi cette rupture. La dérive des mesures sociales les plus prometteuses vers les couches moyennes a dérouté de larges secteurs des couches populaires. L’incapacité à échapper à la surenchère dans la montée des dérives sécuritaires et nationalistes pendant la campagne a dérouté de larges secteurs de la population, particulièrement de la jeunesse.
Les droits des migrants et des étrangers sont doublement remis en cause, par les inégalités sociales et les discriminations, et par la domination du Sud par le Nord ; ceci met en danger l’ensemble des droits.
Une société solidaire implique la lutte contre toutes les discriminations ; particulièrement le racisme, la xénophobie et celles qui reposent sur le genre. En France par exemple, nous ne pouvons accepter la représentation idiote qui voudrait que « tous les Français sont racistes ». Pas plus qu’on ne peut imaginer une idéalisation dans laquelle « les Français ne sont en aucun cas racistes ». Nous savons que le racisme et la xénophobie jouent le rôle de « valeurs » constitutives de larges secteurs de la société française ; et que ces comportements sont ancrés dans un passé colonial qui se perpétue dans la nostalgie d’une France dominatrice. Mais nous savons aussi qu’une large partie de la société française n’a jamais hésité à marquer son refus du racisme et même à manifester son antiracisme. C’est par une action continue qu’on peut faire reculer le racisme et la xénophobie dans la société française à condition de refuser tout suivisme par rapport aux offensives de l’extrême droite et de développer nos luttes à partir des valeurs de liberté et d’égalité.
L’insécurité est réelle dans les sociétés contemporaines. Cette insécurité résulte de la remise en cause des statuts sociaux par la précarisation, des solidarités et des identités par la modernité, de la paix par les conflits. Répondre à la demande de sécurité par une idéologie sécuritaire et par un Etat autoritaire et répressif, c’est entrer dans une surenchère qui profitera, en dernière instance à l’extrême droite. Accepter de faire des étrangers et des migrants les boucs émissaires de cette situation est dangereux et illusoire ; comme ils ne sont ni la cause ni la solution à cette situation, leur stigmatisation ne fera qu’augmenter les craintes et entraînera toute la société dans une spirale régressive. Accepter l’idée que l’Europe est en guerre contre les migrants et qu’il est normal, qu’à ses frontières, des centaines de personnes trouvent la mort, conduira à accréditer la conception d’une Europe forteresse, fermée et indifférente à l’évolution d’un monde dont elle est aussi responsable.
Les migrants font partie du peuple ; tous ceux qui habitent le même territoire, qui y travaillent et qui y vivent, y compris les étrangers. Nier leur appartenance se traduirait assez vite par la négation de toute la diversité qui constitue la richesse de toute culture et s’oppose à la logique de la purification ethnique. Ce serait surtout affaiblir le camp de tous ceux qui ont intérêt à changer ensemble la société. Avec l’élargissement du système-monde, la citoyenneté prend de nouvelles formes. La citoyenneté de résidence est une de ces formes. La mondialisation n’annule pas les identités nationales et les solidarités communautaires, elle n’annule pas non plus les frontières mais elle en modifie l’acceptation. Les solidarités s’appuient sur la diversité culturelle et les inscrivent dans une unité, celle d’un avenir commun librement assumé.
La mise au ban des migrants et des étrangers fait partie d’une politique de précarisation généralisée. Cette précarisation se traduit par les licenciements et le chômage, la marginalisation des empois stables, la remise en cause des statuts sociaux et des systèmes de protection sociale. La négation des droits pour une partie de la population fragilise l’ensemble. Progressivement, les droits des catégories successives sont remis en cause. Les femmes qui sont de plus en plus au centre des restructurations de l’immigration, et qui sont soumises à des conditions spécifiques d’oppression et de domination, subissent particulièrement la dégradation de cette situation. Aucune politique reposant sur la division et l’exclusion ne peut assurer un progrès social et démo-cratique ; elle se traduit toujours par une exclusion en chaîne.
La précarisation généralisée est le résultat recherché des politiques de libéra-lisation menée dans le cadre de la mondia-lisation. Cette mondialisation, dans son cours actuel, repose sur deux fondements : les inégalités sociales et les discriminations ; les inégalités entre pays et la domination du Sud par le Nord. Les migrants sont au cœur de ces deux questions. La négation des droits des migrants trouve aujourd’hui sa source dans la domination du Sud par le Nord, dans les discriminations et dans la faiblesse du mouvement de défense solidaire.
Les droits des migrants et des étrangers occupent une place stratégique dans un projet d’émancipation sociale et démocratique.
Nous rappelons ici les cinq principes de base et quelques propositions immédiates.
La liberté de circulation et d’établissement fait partie des droits fondamentaux. Le reconnaître est un préalable et l’indication d’un objectif. Cette reconnaissance ne revient pas à décréter l’ouverture immédiate et incontrôlée des frontières, car comme toute liberté, la liberté de circulation et d’établissement doit être aménagée et organisée. Mais, les difficultés à mettre en œuvre un droit n’autorise en aucun cas à accepter la négation de ce droit. D’autant que le risque d’une invasion massive fait partie de ces fausses évidences soigneusement entretenues ; rappelons que l’essentiel des flux migratoires va de pays du Sud vers d’autres pays du Sud et n’oublions pas que l’ouverture des frontières à l’occasion de l’adhésion à l’Europe s’est traduite par un large retour des émigrés dans toute l’Europe du Sud.
Des dispositifs d’accueil et d’insertion devraient être créés impliquant non seulement les autorités gouvernementales, mais surtout de façon plus directe les collecti-vités locales, les organisations syndicales et les associations, acteurs décisifs en la matière. Ces dispositifs n’auraient aucun caractère obligatoire, mais les candidats à l’installation seraient encouragés à s’y inscrire par différentes mesures incitatives favorisant l’accès à l’apprentissage de la langue, au logement, à l’école et à l’emploi. Ainsi serait enfin élaborée une politique nationale d’hospitalité portée, non par les seuls pouvoirs publics, mais par la société dans son ensemble. Dans l’immédiat nous proposons de supprimer les visas d’entrée de court séjour en Europe ; de créer un droit de recours suspensif pour toutes les décisions administratives entraînant un refus de séjour ; d’admettre la légitimité des opérations de régularisation fondées sur le respect des droits la personne et le refus de zones de non-droit ; d’inscrire le droit d’établissement en Europe pour les ressortissants de la zone ACP dans les accords de coopération.
La lutte contre les inégalités et les discriminations doit être le fondement des politiques publiques. Les inégalités sont structurées par les discriminations ; la lutte contre les inégalités passe donc par la lutte contre les discriminations. Les migrants et les étrangers sont une des fractions de la population les plus exposées ; le respect de leurs droits fait partie intégrante de la lutte pour le respect des droits de tous. La lutte contre les discriminations, qui passe par le respect des droits fondamentaux et la garantie d’égalité d’accès, doit être le fondement des politiques publiques. Nous avons tous pu vérifier que toute atteinte à l’accès des étrangers aux services publics n’est qu’une première étape pour restreindre l’accès de tous aux services et subordonner cet accès à des mécanismes de marché discriminatoires en fonction de revenus. Dans l’immédiat, nous proposons de substituer le principe de l’égalité des droits à celui du maintien de l’ordre public dans les législations concernant les étrangers ; d’annuler la double peine ; de lier la lutte contre le travail clandestin aux politiques de l’emploi, à la garantie des droits des personnes et au respect du droit du travail.
La citoyenneté de résidence est aujourd’hui le fondement démocratique de nos sociétés. Elle préserve le rapport entre citoyenneté et territoire mis à mal par la mondialisation. Elle fonde les libertés démocratiques de cha-que personne par rapport à l’imposition des appartenances com-munautaristes. Plusieurs évo-lutions vont dans ce sens, l’évolution du droit de la nationalité avec une reconnaissance plus grande donnée au droit du sol, du droit de vote dans l’Union européenne, les élections pru-d’homales, les essais de démocratie participative, etc. Cette progression des pratiques démo-cratiques se heurte aux nationalismes crispés sur des conceptions rétrogrades. Le défi de la période à venir est dans l’élargissement et l’approfondissement démocratiques par l’articulation des formes représentatives et participatives à tous les niveaux, ceux de l’entreprise, du local, du national, des grandes régions et particulièrement de l’Europe, du mondial. La place des migrants et des étrangers est un révélateur de cette évolution. Dans l’immédiat, nous pro-posons de confirmer le fondement de la nationalité sur le droit du sol ; de garantir l’égalité des droits à tous les résidents ; d’ouvrir les emplois réservés et de rejeter les pré-férences nationales ou euro-péennes ; d’étendre la citoyenneté européenne à tous les résidents ; d’assurer l’égal accès des résidents à toutes les instances participatives et représentatives.
La solidarité internationale est une des principales valeurs de référence par rapport au cours dominant de la mondialisation. Il faut rappeler le rôle historique des flux migratoires, et des migrants en tant qu’acteurs déterminants, dans le développement des sociétés d’origine et des sociétés d’accueil. Rappeler aussi que les flux migratoires sous leurs différentes formes (migrations économiques, demandeurs d’asile, diasporas, exode des cerveaux et assistance technique, etc.) structurent l’espace mondial et représentent l’un des aspects de la mondialisation. Rappeler enfin le rapport entre émigration et développement ; il est impossible de réfléchir au développement et au système mondial en dehors des flux migratoires ; l’immigration est au cœur du développement. Les modalités de coopération mises en place par les migrants renouvellent la coopération. Les migrants sont un vecteur stratégique et privilégié de la sensibilisation des sociétés européennes, et de la solidarité internationale, en France, en Europe et dans les pays d’origine. S’appuyer sur la richesse et la diversité des habitants et des citoyens, c’est ancrer la coopération dans la réalité des quartiers, des communes et des régions, c’est construire un niveau supérieur d’identité et d’unité, c’est ouvrir la France et l’Europe au monde. Dans l’immédiat, nous proposons de défendre la liberté d’association et d’expression com-me un des fondements de la coopération ; de reconnaître les migrants comme des acteurs essentiels de coopération ; que chaque accord de coopération comporte des volets sur la liberté de circulation, les conditions de la liberté d’établissement et les conditions de formation et de qualification.
La garantie du respect des droits des migrants doit être renforcée dans le droit international. Nous ne pouvons accepter que le droit international soit subordonné au droit des affaires et réglé par l’Orga-nisation Mondiale du Commerce. Accepter que les migrants soient considérés comme des marchandises c’est accepter un pas de plus dans la marchandisation de l’espèce humaine. Dans l’immédiat, nous devons exiger que le gouvernement français, les autres gouvernements européens et l’Union européenne, ratifient la « Convention in-ternationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des mem-bres de leur famille » approuvée le 18 dé-cembre 1990 par l’Assemblée générale des Nations Unies, signée par seulement 26 pays, et d’ailleurs uniquement des pays du Sud ; elle pourrait donner de véritables garanties aux migrants sur le plan international. Nous proposons aussi une Conférence In-ternationale organisée par les Nations Unies pour discuter des flux migratoires et de la garantie des droits des migrants, de la liberté de circulation, de l’égalité des droits entre les résidents et des droits des réfugiés dans les règlements des conflits. Une première étape, associant les différents secteurs de l’opinion, et notamment les migrants, peut être mise en œuvre dans l’Union européenne.
Ce texte est le premier texte public du CMiL. Il se donne pour objectif : de produire des textes de réflexion sur les questions de l’immigration, de mettre en place un centre de documentation sur la question de l’immigration et d’animer le débat au sein des mouvements associatifs, syndicaux… Les membres du CMiL sont à votre disposition pour animer des réunions publiques, des cercles de réflexion… Les membres du CMiL sont à votre disposition pour animer des réunions publiques, des cercles de réflexion… Pour tout contact, s’adresser à CMiL c/o CEDETIM, 21 ter rue Voltaire 75011 Paris. Tel : (33) 01.43.71.62.12 Courriel : cedetim@globenet.org