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Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas Lacoste
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© Passant n°43 [février 2003 - mars 2003]
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Emile, le maçon bulgare qui anticipait l’Europe


En 2007, si tout va bien, la Bulgarie devrait rejoindre l’Union européenne. Les dizaines de bulgares, roms pour la grande majorité, qui squattaient cet automne, au vu et au su de tous, des hangars désaffectés sur les quais de Bordeaux, croyaient pouvoir anticiper de quelques années cette intégration qui leur permettra de circuler et de travailler dans tous les pays de l’Union. Hélas, au même moment, un ministre de l’Intérieur qui tire plus vite que son ombre décidait de fermer le centre de Sangatte ; il n’était pas question de laisser s’installer une nouvelle poche de fixation ailleurs. Depuis, on a vu les mêmes scènes contre d’autres roms, de Roumanie ceux-là, dans la région parisien-ne et la région lyonnaise. « Réglez-moi ce problème », un ordre sans équivoque adressé au préfet de la région Aquitaine qui organisait alors une opération très médiatisée : encerclement policier au petit matin, contrôle des identités, 38 bulgares dont 7 femmes en situation irrégulière placés en garde à vue. Suivi un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière sous dix jours1. Message de fermeté à l’adresse de tous les candidats à l’émigration, de Bulgarie et d’ailleurs, relayé par les autorités bulgares qui ont affiché dans l’affaire un zèle pré-européen.



Sans toit ni lieu



Seul parmi les expulsables, Emile a sauvé momentanément sa mise et celle de sa famille, son épouse Velichka et ses deux enfants, un garçon de 13 ans et une fillette de 8 ans. Comme la majorité des bulgares de Bordeaux, il est originaire de Pechtera, une petite ville du sud du pays. Pour payer le voyage, il a vendu les tuiles du toit de sa maison. D’autres ont démonté les murs et vendu les briques à l’unité. Arrivé début 2001, Emile a fait venir sa famille au prin-temps dernier. A Pechtera, ils travaillaient, lui et sa femme dans une usine de chaussures, la spécialité locale, pour un salaire de 300 levas par mois, soit 150 euros, pas le Pérou mais de quoi vi-vre malgré tout. Hélas, quand des italiens ont racheté l’usine en 97, les salaires ont été divisés par trois. Merci le Fonds monétaire international et la Banque mondiale qui ont imposé à cette époque-là des mesures de redressement drastiques au pays. Sa femme est restée accrochée à sa machine à chaussures, lui s’est lancé dans la con-struction. Une compétence acquise sous les drapeaux. Comme tous les hommes issus des minorités, il a passé ses deux ans de service militaire à construire des bâtiments pour l’armée. La tentative « libérale » d’Emile ne fut pas un succès. Aussi, quand la France a décidé de sup-primer les visas pour l’entrée des Bulgares en avril 2001, comme des dizaines, voire des cen-taines de ses compatriotes2, il a pris la route de Bordeaux, en bus via les forêts autrichiennes et Paris.



Ecole et bas de laine



A Pechtera, la rumeur était revenue colportée par les premiers émigrés, elle courait dans les quartiers misérables où s’entassent roms et turcs : « à Bordeaux, il y a du travail sur les chantiers ». Et de fait, Emile, l’excellent maçon, a trouvé du travail sans difficulté, au noir, payé de 50 à 200 euros par jour selon les chantiers. Si bien qu’au printemps 2002, il est reparti en Bulgarie chercher sa femme et ses deux enfants. Avec un projet simple, dit Velichka « faire étudier nos enfants en France et repartir ensuite, pelote faîte, s’offrir à Pechtera une belle maison ». Depuis la rentrée les deux enfants sont scolarisés dans des classes d’accueil spécifiques pour enfants étrangers. Une situation qui aurait pu durer et prospérer sans l’arrivée à l’automne des deux frères d’Emile et de leurs épouses dans l’appartement de Saint-Michel, une surpopulation qui provoqua leur expulsion. Tous vinrent alors grossir les rangs des squatters des hangars avec les suites que l’on connaît. Ses frères ont été renvoyés chez eux. Emile, seul, a échappé à l’expulsion bien que, comme celui des 38, son passeport fut périmé3. La pré-sence de ses enfants, l’intervention d’associations et d’avocats auprès des autorités lui ont momentanément évité le pire. Rien n’est pourtant réglé, son passeport s’est égaré entre Bordeaux et Sofia, les em-ployeurs se font plus rares depuis les remous de l’affaire des hangars. En attendant que ça se tasse, Emile et Velichka rasent les murs, entourés de la solidarité d’une poignée d’amis.

(1) Les 38 Bulgares, moins Emile, ont été expulsés par avion vers Sofia quand leur recours devant le tribunal admini-stratif a été rejeté. Des départs 3 par 3, ou 4 par 4, étalés dans le temps à leur demande pour tenter un retour discret dans leur pays. Ils n’ont logiquement qu’une idée en tête : revenir. Cela prendra le temps de trouver l’argent du bakchich indispensable pour le rachat à la douane des passeports confisqués.

(2) 500 à 600 bulgares, roms et turcs, vivraient dans l’agglomération bordelaise, dans d’autres squats, profil très bas depuis l’affaire. Des arrestations plus discrètes sont opérées en pleine rue avec, à la clef, des mesures individuelles de reconduite à la frontière.

(3) Pour rentrer dans l’espace Schengen, les Bulgares ont besoin de leur seul passeport qui donne droit à un séjour de 3 mois. C’est donc au terme de ces 3 mois qu’ils se trouvent en situation irrégulière.

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