Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°44 [avril 2003 - mai 2003]
© Passant n°44 [avril 2003 - mai 2003]
par Pierre Cocrelle
Imprimer l'articleVive la banlieue !
La vision est l’art de voir les choses invisibles – Jonathan SwiftComme vous le savez, je suis particulièrement sensible aux prémonitions et autres sombres ou nébuleux présages. Ceux poussés par les vents, par exemple ; que personne n’a jamais vus (les vents), soit dit en passant, sinon les effets qu’ils provoquent ! Vous savez bien : « Va petit mousse, le vent te pousse ! ». Je parle de ces météores inquiétants qui viennent – par surprise – estomper l’astre de chaleur en forme d’œuf au plat qui nous cuit d’habitude d’un jaune aveuglant et cloquant… Bon, pour résumer, j’ai la psyché fascinée qui s’entortille autour des luminaires évidents et autres gyrophares de l’existence… Pimpon pin ! Bonjour les barjos, bonne nuit des temps !
Je venais donc d’avoir une discussion quelque peu rude avec Ghislaine, ma compagne : « Micki, tu n’es qu’un petit rangeur… Tu fous le bordel partout. Une Golden Retriever à la fine truffe n’y retrouverait pas ses petits ! Toutes tes fringues vont finir à Emmaüs ! Quant au reste, n’en parlons même pas, tu pourrais, pour une fois, connaître la décharge facile ! »
Elle avait décidé d’être mauvaise. Ghislaine, ce n’est pas une vraie méchante, mais quand elle est en rogne, elle peut devenir injuste, voire excessive. Lisa, notre fille, dans son coin, se marrait, sournoise. Comme je suis un fervent partisan de la paix, je suis parti fumer une Gitane dans le jardin, boîte de Kro en pogne, prête à être dégoupillée. Boum, badaboum ! Voit-y-pas que je tombe aussitôt sur madame L, notre voisine du troisième âge, le mur mitoyen, juste de l’autre coté de la clôture (pas possible : à croire qu’elle m’attendait, le menton posé sur le grillage !) :
« Tiens, par exemple ! Bonjour, monsieur Mickey ! Quelle coïncidence ! Vous prenez l’air, vous aussi ? (La voix est chevrotante ; l’haleine fétide ; le poil sur verrue généralisé…) Figurez-vous que ma télécommande ne fonctionne plus ! Je n’ai plus que la « Trois » ! Et encore, je la vois en deux ! Ca me perturbe, tube, turbe, tube le transfert intestinal ! Proouuut ! J’en conchie le monde ! »
Reniflements, yeux rouges, regard désespéré, bruits divers et organiques…
Je suis bon, presque brave : après avoir tapoté l’épaule chiche et ostéoporeuse qui se pointait aiguë sous le sarrau noir négligé, plongé un regard bienveillant de mérou réjoui à travers les hublots du bathyscaphe en quête des minuscules pupilles affolées, je suis passé de l’autre côté du portail. Les culottes roses, en coton gros grain, qui séchaient suspendues à une corde à linge, m’ont paru immenses, presque menaçantes… Apparemment, cette coquine de madame L ne portait pas de soutien-gorge sous le…
« Mamie ? A peine que dalle ! Pile poil dedans ! » victorisai-je après check-up de la dite télécommande… Simple : deux batteries neuves à acheter ! »
Elle m’a alors fixé durement : « Pourtant, ma nièce m’en a ramenées des neuves le mois dernier… »
J’ai tenté la communication, exposé les accus vert-de-gris et gonflés, supputé quelque confusion de sa part : n’avait-elle point quelque autre appareil de progrès dépendant d’une source autonome d’énergie électrique ?
« Ma Wonder pour aller aux cabinets, de nuit ! Mais ce ne sont pas des rondes, comme vous devriez le savoir… »
Elle a fouillé dans le tiroir. Furieuse, elle cherchait un ticket de caisse :
« J’espère que ma nièce ne m’a pas fait payer des piles qu’elle se serait gardées ! Déjà, j’avais des doutes sur les yaourts aux fruits… »
Bon, elle a fini par se calmer. Je lui ai expliqué qu’elle pourrait, en attendant, changer de chaînes en appuyant sur un bouton noir dissimulé derrière un volet discret ; tellement discret qu’il était quasi invisible au premier regard ; et même au second. Là, ça a commencé à se gâter. Elle m’a regardé, sceptique :
« A quoi qu’elle sert, alors, la télécommande ? Où voyez-vous un bouton, vous ? » Etc. Elle a touché l’écran à la recherche du tout petit bouton noir. Des traces grasses n’ont pas tardé à s’accumuler sur l’écran… J’ai expliqué, ré expliqué. Rien à faire. Ca ne rentrait pas ; elle ne voyait pas le volet ; même en posant le nez dessus :
« Où ? Où ? J’appuie où ? »…
Après avoir retrouvé les six chaînes, les quatre-vingt-dix-neuf canaux que comportait son Oceanic écran géant stéréophonique, démontré dix fois le mouvement adéquat de l’index pour changer de programme, je l’ai laissée, ahurie, devant « Olive et Tom », un dessin animé sportif et japonais. Elle n’a même pas pensé à me remercier.
Revenu à la maison, Ghislaine s’est demandée – à haute voix – qui j’avais bien pu aller emmerder pendant une aussi longue et reposante absence. J’ai trouvé l’apostrophe appuyée, même si j’ai, à l’habitude, un grand sens de l’humour…
Peu après, nous avons entendu une musique d’enfer : de la techno. Ca braillait à tue-tête. Puis il y a eu le coup de téléphone : « Allo ! Monsieur Mickey ? J’ai appuyé comme vous m’avez dit : ça huuuurle ! Et je n’ai plus que la Uuuune ! »
Bis repetita de la procédure dans un environnement sonore de rave party ! Enfin le silence…
« Allo ! Monsieur Mickey ? Je suis sur le canal quarante-deux et il n’y a plus rien ! »
Dix fois, vingt fois ! Haro sur le baudet ! Cent fois, reprenons Notre Outrage ! Sisyphus, where are you ?
Ghislaine a proposé à Lisa, notre fille, de se rendre dans une pizzeria, le temps que je règle tout ce tintouin…
Ma fille, tout sourire, en enfilant son bonnet de gnome, a trouvé que je sentais le pain rassis et la pisse froide… Putain de vieille !
« T’as ouvert un créneau très porteur dans le marché du travail ! Un autre concept de hot line ! » a dit Ghislaine, avant de claquer la porte…
Ca a continué un temps certain avec madame L… Il était trop tard pour courir lui acheter des piles : magasins tous fermés. On frisait dix heures trente. Peut-être un Arabe… La nuit s’était faite profonde. Mais peu silencieuse. Le bordel ambiant demeurait toujours aussi terrifiant. Mamie « Blouse » s’était transformée en disc-jockey diabolique, remuant boutons, jouant rhéostat.
« Allo ! Monsieur Mickey ?.. »
Dix fois de mieux…
Et, il y a eu ce dernier coup de téléphone :
« Allo ! Monsieur Mickey ? Je ne vous dérangerai plus. Je vais aller à présent dormir. Rien de bien intéressant, ce soir, à part la « Trois » ! Je vais prendre mon Lexomil du soir. Bonne nuit quand même ! »
Puis encore un autre. Alors là, je me suis dit : « T’exagères complet, mamie ! Je vais te le foutre en carafe ton Home vidéo, crois-moi, don’t mean maybe ! » J’ai décroché, colère : « Sous le volet ! Le volet ! Je vous l’ai dit ! Nom de Dieu ! Vous n’avez plus de famille ? Un petit neveu qui ferait Polytechnique ? Faut faire dodo maintenant ! Pour une fois abusez donc du Lexomil, c’est pas la mort ! Un petit rhum peut-être ?.. »
« Allo ! Mickey, c’est Daniel ! Didonk katu ? Un voyage au Québec, à la Tuque, en février, chiens de traîneaux, raquettes, motoneige, pêche blanche… En banlieue du monde ! Ca te dirait, mon beke ?.. Au fait… D’accord pour le rhum ! »
Daniel est un collègue originaire des Antilles…
Mais ceci est une autre histoire…
A suivre…
Je venais donc d’avoir une discussion quelque peu rude avec Ghislaine, ma compagne : « Micki, tu n’es qu’un petit rangeur… Tu fous le bordel partout. Une Golden Retriever à la fine truffe n’y retrouverait pas ses petits ! Toutes tes fringues vont finir à Emmaüs ! Quant au reste, n’en parlons même pas, tu pourrais, pour une fois, connaître la décharge facile ! »
Elle avait décidé d’être mauvaise. Ghislaine, ce n’est pas une vraie méchante, mais quand elle est en rogne, elle peut devenir injuste, voire excessive. Lisa, notre fille, dans son coin, se marrait, sournoise. Comme je suis un fervent partisan de la paix, je suis parti fumer une Gitane dans le jardin, boîte de Kro en pogne, prête à être dégoupillée. Boum, badaboum ! Voit-y-pas que je tombe aussitôt sur madame L, notre voisine du troisième âge, le mur mitoyen, juste de l’autre coté de la clôture (pas possible : à croire qu’elle m’attendait, le menton posé sur le grillage !) :
« Tiens, par exemple ! Bonjour, monsieur Mickey ! Quelle coïncidence ! Vous prenez l’air, vous aussi ? (La voix est chevrotante ; l’haleine fétide ; le poil sur verrue généralisé…) Figurez-vous que ma télécommande ne fonctionne plus ! Je n’ai plus que la « Trois » ! Et encore, je la vois en deux ! Ca me perturbe, tube, turbe, tube le transfert intestinal ! Proouuut ! J’en conchie le monde ! »
Reniflements, yeux rouges, regard désespéré, bruits divers et organiques…
Je suis bon, presque brave : après avoir tapoté l’épaule chiche et ostéoporeuse qui se pointait aiguë sous le sarrau noir négligé, plongé un regard bienveillant de mérou réjoui à travers les hublots du bathyscaphe en quête des minuscules pupilles affolées, je suis passé de l’autre côté du portail. Les culottes roses, en coton gros grain, qui séchaient suspendues à une corde à linge, m’ont paru immenses, presque menaçantes… Apparemment, cette coquine de madame L ne portait pas de soutien-gorge sous le…
« Mamie ? A peine que dalle ! Pile poil dedans ! » victorisai-je après check-up de la dite télécommande… Simple : deux batteries neuves à acheter ! »
Elle m’a alors fixé durement : « Pourtant, ma nièce m’en a ramenées des neuves le mois dernier… »
J’ai tenté la communication, exposé les accus vert-de-gris et gonflés, supputé quelque confusion de sa part : n’avait-elle point quelque autre appareil de progrès dépendant d’une source autonome d’énergie électrique ?
« Ma Wonder pour aller aux cabinets, de nuit ! Mais ce ne sont pas des rondes, comme vous devriez le savoir… »
Elle a fouillé dans le tiroir. Furieuse, elle cherchait un ticket de caisse :
« J’espère que ma nièce ne m’a pas fait payer des piles qu’elle se serait gardées ! Déjà, j’avais des doutes sur les yaourts aux fruits… »
Bon, elle a fini par se calmer. Je lui ai expliqué qu’elle pourrait, en attendant, changer de chaînes en appuyant sur un bouton noir dissimulé derrière un volet discret ; tellement discret qu’il était quasi invisible au premier regard ; et même au second. Là, ça a commencé à se gâter. Elle m’a regardé, sceptique :
« A quoi qu’elle sert, alors, la télécommande ? Où voyez-vous un bouton, vous ? » Etc. Elle a touché l’écran à la recherche du tout petit bouton noir. Des traces grasses n’ont pas tardé à s’accumuler sur l’écran… J’ai expliqué, ré expliqué. Rien à faire. Ca ne rentrait pas ; elle ne voyait pas le volet ; même en posant le nez dessus :
« Où ? Où ? J’appuie où ? »…
Après avoir retrouvé les six chaînes, les quatre-vingt-dix-neuf canaux que comportait son Oceanic écran géant stéréophonique, démontré dix fois le mouvement adéquat de l’index pour changer de programme, je l’ai laissée, ahurie, devant « Olive et Tom », un dessin animé sportif et japonais. Elle n’a même pas pensé à me remercier.
Revenu à la maison, Ghislaine s’est demandée – à haute voix – qui j’avais bien pu aller emmerder pendant une aussi longue et reposante absence. J’ai trouvé l’apostrophe appuyée, même si j’ai, à l’habitude, un grand sens de l’humour…
Peu après, nous avons entendu une musique d’enfer : de la techno. Ca braillait à tue-tête. Puis il y a eu le coup de téléphone : « Allo ! Monsieur Mickey ? J’ai appuyé comme vous m’avez dit : ça huuuurle ! Et je n’ai plus que la Uuuune ! »
Bis repetita de la procédure dans un environnement sonore de rave party ! Enfin le silence…
« Allo ! Monsieur Mickey ? Je suis sur le canal quarante-deux et il n’y a plus rien ! »
Dix fois, vingt fois ! Haro sur le baudet ! Cent fois, reprenons Notre Outrage ! Sisyphus, where are you ?
Ghislaine a proposé à Lisa, notre fille, de se rendre dans une pizzeria, le temps que je règle tout ce tintouin…
Ma fille, tout sourire, en enfilant son bonnet de gnome, a trouvé que je sentais le pain rassis et la pisse froide… Putain de vieille !
« T’as ouvert un créneau très porteur dans le marché du travail ! Un autre concept de hot line ! » a dit Ghislaine, avant de claquer la porte…
Ca a continué un temps certain avec madame L… Il était trop tard pour courir lui acheter des piles : magasins tous fermés. On frisait dix heures trente. Peut-être un Arabe… La nuit s’était faite profonde. Mais peu silencieuse. Le bordel ambiant demeurait toujours aussi terrifiant. Mamie « Blouse » s’était transformée en disc-jockey diabolique, remuant boutons, jouant rhéostat.
« Allo ! Monsieur Mickey ?.. »
Dix fois de mieux…
Et, il y a eu ce dernier coup de téléphone :
« Allo ! Monsieur Mickey ? Je ne vous dérangerai plus. Je vais aller à présent dormir. Rien de bien intéressant, ce soir, à part la « Trois » ! Je vais prendre mon Lexomil du soir. Bonne nuit quand même ! »
Puis encore un autre. Alors là, je me suis dit : « T’exagères complet, mamie ! Je vais te le foutre en carafe ton Home vidéo, crois-moi, don’t mean maybe ! » J’ai décroché, colère : « Sous le volet ! Le volet ! Je vous l’ai dit ! Nom de Dieu ! Vous n’avez plus de famille ? Un petit neveu qui ferait Polytechnique ? Faut faire dodo maintenant ! Pour une fois abusez donc du Lexomil, c’est pas la mort ! Un petit rhum peut-être ?.. »
« Allo ! Mickey, c’est Daniel ! Didonk katu ? Un voyage au Québec, à la Tuque, en février, chiens de traîneaux, raquettes, motoneige, pêche blanche… En banlieue du monde ! Ca te dirait, mon beke ?.. Au fait… D’accord pour le rhum ! »
Daniel est un collègue originaire des Antilles…
Mais ceci est une autre histoire…
A suivre…