Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°45-46 [juin 2003 - septembre 2003]
© Passant n°45-46 [juin 2003 - septembre 2003]
par Naomi Klein
Imprimer l'articleLutte ouvrière chez Brukman
B.A., ArgentinaEn 1812, des ouvriers tisserands et des fileuses britanniques firent des descentes dans les ateliers du secteur textile : ils détruisirent, à la masse, les machines utilisées pour la production industrielle qui s’y trouvaient. Selon les Luddistes1, ces nouvelles machines-outils avaient éradiqué des milliers d’emplois, brisé les liens communautaires, et ne méritaient que destruction. Le gouvernement britannique répliqua en faisant appel à une troupe composée de 14 000 soldats, afin de réprimer sévèrement la révolte et de mettre à l’abri de la casse le matériel industriel.
Deux siècles après, venons en, par un de ces surprenants raccourcis de l’Histoire, à une autre usine de textile, mais celle-ci située à Buenos Aires : l’usine Brukman, très exactement, où l’on confectionne des vêtements pour homme depuis cinquante ans. Ici, c’est la police anti-émeute qui est venue s’en prendre aux machines à coudre ainsi qu’aux 58 ouvriers qui ont risqué leur vie pour les protéger du saccage. Lundi dernier, l’usine Brukman fut l’objet de la pire répression que Buenos Aires ait connu depuis près d’une année. Les forces de l’ordre ont expulsé les ouvrières en pleine nuit, transformant le site et ses alentours en une zone militaire surveillée à la mitrailleuse et gardée par des chiens d’attaque. Interdites d’entrer dans l’usine pour exécuter une commande exceptionnelle de 3 000 paires de pantalons, les ouvrières, accompagnées d’une foule im-mense, ont annoncé leur intention de reprendre quand même le travail. À 5h de l’après-midi, une cinquantaine de couturières, revêtues de bleus de travail seyants, avec cette allure provocante de mères de famille soucieuses du budget familial, se sont avancées jusqu’au cordon établi par la police. L’une d’entre elles a poussé une barrière : elle est tombée ; les ouvrières de chez Brukman, se tenant par le bras, ont alors lentement pénétré le périmètre interdit. A peine avaient-elles parcouru quelques mètres que la police se mit aussitôt à tirer : gaz lacrymogène, canons à eau, premières balles en caoutchouc, puis, carrément, le plomb. La police chargea aussi les mères de la plaza de Mayo. Elles arboraient pourtant sur la tête leurs foulards blancs, le nom de leur enfant « disparu » brodé dessus… Des douzaines de manifestants furent blessés à cette triste occasion. La police utilisa même le gaz lacrymogène à l’intérieur d’un hôpital où certains des manifestants avaient trouvé refuge.
Voici donc un cliché de la république d’Argentine, pris moins d’une semaine avant les élections présidentielles. Les cinq prétendants principaux promettent tous de remettre au travail le pays ravagé par la crise. Pourtant, les ouvrières de Brukman, dont le seul crime a été de vouloir en découdre avec la confection de costumes gris passe-partout, sont traitées comme de dangereuses délinquantes, voire des criminelles. Pour-quoi ce Luddisme d’état ? Pourquoi cette violence faite à des machines ? Parce que Brukman n’est pas n’importe quelle usine : elle est l’une des deux cents usines « occupées » à travers le pays, depuis plus d’un an et demi, qui ont été remises en marche par leurs ouvriers. Ces différentes usines em-ploient plus de 10 000 personnes sur tout le territoire argentin, produisant aussi bien des tracteurs que de la crème glacée, elles sont ou deviennent une réponse politique autant qu’une réponse économique à la crise actuelle.
« … Ils ont peur de nous parce qu’en démontrant que nous pouvons faire marcher une usine, nous faisons également la preuve que nous pourrions gouverner le pays… » C’est ce que nous a déclaré l’ouvrière Célia Martinez de chez Brukman, durant la nuit de lundi. « Voilà pourquoi le gouvernement a décidé de nous réprimer… »
À première vue, Brukman ressemble à toutes les autres usines de fabrication de vêtements de par ce vaste monde. Elle est semblable aux usines de Mexico ou de Toronto, même si les procédés de fabrication diffèrent quelque peu ou prou… L’atelier de confection de Brukman est rempli de femmes penchées sur leur machine à coudre, les yeux fatigués, les doigts courant au-dessus du tissu et du fil. Ce qui rendrait Brukman différent tiendrait à son environnement sonore particulier. Il y a, bien sûr, le hurlement habituel des machines, le sifflement attendu de la vapeur, mais il y a également cette musique folklorique bolivienne qu’émet un lecteur de cassettes à l’arrière de l’atelier et le ton tranquille des voix des ouvrières plus âgées penchées au-dessus des plus jeunes en train de leur montrer comment faire de nouveaux points. « Ils ne nous permettaient pas de quitter notre siège auparavant… Ni d’écouter de la musique pendant le travail… Pourtant, cela ne fait pas de mal et donne plus de pêche »… commente Célia Martinez.
A Buenos Aires, chaque semaine apporte des informations concernant telle ou telle occupation : ici, un hôtel « quatre étoiles » fonctionne désormais grâce à son personnel d’entretien ; un peu plus loin, un supermarché est géré par ses employés. Ailleurs encore, une compagnie aérienne de desserte locale se transforme en coopérative, une décision prise par les pilotes et le personnel au sol. Ces usines en autogestion sont acclamées partout dans le monde, plus spécialement dans la presse (confidentielle) qui se réclame encore du trotskisme. Par contre, dans la grande, l’importante presse économique, comme The Economist notamment, ces occupations sont rapportées sur un ton dramatique, décrites comme une lourde menace remettant en cause le principe sacré de la propriété privée. La vérité se trouve quelque part entre ces deux appréhensions divergentes. Chez Brukman, par exemple, le personnel ne s’est pas emparé des moyens de production. Ils ont eu juste à se baisser pour s’en saisir, suite à l’abandon des propriétaires légaux. L’usine était en perte de vitesse depuis plusieurs années ; les dettes envers les fournisseurs s’accumulaient et, au cours des cinq derniers mois, les couturières ont vu leurs salaires se réduirent comme une peau de chagrin, passant de 100 pesos par semaine à 2 pesos seulement – même pas assez pour le prix d’un trajet en autobus. Le 18 décembre, les ouvrières ont décidé qu’il était temps d’exiger une prime de transport. Les propriétaires de l’usine, s’appuyant sur leur manque drastique de créance actuelle, ont demandé aux ouvrières d’être patientes, d’attendre, tandis qu’ils se mettaient en quête d’argent frais. « Nous les avons attendus jusqu’en fin d’après-midi… Nous les avons attendus toute la soirée ! » explique Martinez. « Personne n’est revenu ! »
Après avoir obtenu du concierge les clefs, Martinez et les autres ouvrières ont dormi à l’usine. Depuis, elles la gèrent. Elles ont réglé les énormes factures en retard, attiré de nouveaux clients, trouvé de nouveaux débouchés, et, sans se prendre plus longtemps la tête avec les salaires de cadre et les dividendes à distribuer, elles sont parvenues à se verser des salaires, certes modestes, mais réguliers. Toutes ces décisions ont été prises démocratiquement : au vote, dans des assemblées générales. « Je ne sais pas pourquoi c’était aussi difficile pour les propriétaires de l’usine » ajoute Martinez. « …C’est pourtant facile : il suffit de savoir additionner et soustraire… » Brukman représente une nouvelle forme de lutte syndicale. Elle n’est pas basée sur la forme traditionnelle du débrayage mais, bien au contraire, sur le maintien de la production, un maintien ferme et résolu, quoiqu’il advienne. Ici, pas de dogmatisme, mais du simple réalisme. Dans un pays où 58% de la population vit dans la grande pauvreté, savoir que vous pouvez recevoir un chèque comme paiement de votre salaire, sans avoir, pour subsister, à faire les poubelles ou à mendier, ne se refuse pas.
Le spectre qui hante les usines occupées d’Argentine n’est pas le communisme, mais l’indigence.
Mais ne s’agit-il pas d’un vol qualifié ? Après tout, le matériel industriel appartient aux propriétaires qui l’ont acheté – s’ils veulent le vendre ou le déplacer dans un autre pays, c’est leur droit ; ça les regarde. C’est ce
que le juge fédéral a signifié dans l’ordre
d’expulsion concernant les ouvrières de Brukman : « La vie et l’intégrité physique ne l’emportent pas en droit sur les intérêts économiques »
Sans le vouloir, il a résumé la logique pure et dure de la dérégulation mondiale libérale : le capital doit être laisser libre de chercher les plus bas salaires ainsi que toute opportunité de gains supplémentaires, indépendamment des dégâts qu’il peut provoquer chez les individus, aussi bien qu’au sein des communautés. Les ouvriers des usines occupées argentines ont une vision différente du problème : leurs avocats s’appuient sur le fait que les propriétaires des usines en question ont manifestement violé les principes de base du marché en ne payant ni leurs salariés, ni leurs créanciers, et ce, bien qu’ils aient touché des subventions plus qu’importantes de l’Etat. Pourquoi donc l’Etat ne soutient-il pas ce nouvel état de fait ? Permettre la conservation des salaires et de l’activité en réparation des préjudices subis par les uns et les autres ? Déjà plus d’une douzaine de coopératives ont fait l’objet d’une procédure légale d’expulsion. Les ouvrières de chez Brukman se battent toujours, pour l’instant.
Quand on y repense, les Luddistes, en 1812, se trouvaient tant soit peu dans la même situation que nos ouvrières argentines. Les moyens de production nouveaux remplirent les poches de quelques-uns aux dépens du plus grand nombre. Les ouvriers et les ouvrières du secteur textile de cette époque s’essayèrent à combattre cette logique destructive en cassant les machines. Les ouvriers de Brukman ont un bien meilleur plan : ils veulent protéger les machines et briser la logique habituelle…
Naomi Klein*
Deux siècles après, venons en, par un de ces surprenants raccourcis de l’Histoire, à une autre usine de textile, mais celle-ci située à Buenos Aires : l’usine Brukman, très exactement, où l’on confectionne des vêtements pour homme depuis cinquante ans. Ici, c’est la police anti-émeute qui est venue s’en prendre aux machines à coudre ainsi qu’aux 58 ouvriers qui ont risqué leur vie pour les protéger du saccage. Lundi dernier, l’usine Brukman fut l’objet de la pire répression que Buenos Aires ait connu depuis près d’une année. Les forces de l’ordre ont expulsé les ouvrières en pleine nuit, transformant le site et ses alentours en une zone militaire surveillée à la mitrailleuse et gardée par des chiens d’attaque. Interdites d’entrer dans l’usine pour exécuter une commande exceptionnelle de 3 000 paires de pantalons, les ouvrières, accompagnées d’une foule im-mense, ont annoncé leur intention de reprendre quand même le travail. À 5h de l’après-midi, une cinquantaine de couturières, revêtues de bleus de travail seyants, avec cette allure provocante de mères de famille soucieuses du budget familial, se sont avancées jusqu’au cordon établi par la police. L’une d’entre elles a poussé une barrière : elle est tombée ; les ouvrières de chez Brukman, se tenant par le bras, ont alors lentement pénétré le périmètre interdit. A peine avaient-elles parcouru quelques mètres que la police se mit aussitôt à tirer : gaz lacrymogène, canons à eau, premières balles en caoutchouc, puis, carrément, le plomb. La police chargea aussi les mères de la plaza de Mayo. Elles arboraient pourtant sur la tête leurs foulards blancs, le nom de leur enfant « disparu » brodé dessus… Des douzaines de manifestants furent blessés à cette triste occasion. La police utilisa même le gaz lacrymogène à l’intérieur d’un hôpital où certains des manifestants avaient trouvé refuge.
Voici donc un cliché de la république d’Argentine, pris moins d’une semaine avant les élections présidentielles. Les cinq prétendants principaux promettent tous de remettre au travail le pays ravagé par la crise. Pourtant, les ouvrières de Brukman, dont le seul crime a été de vouloir en découdre avec la confection de costumes gris passe-partout, sont traitées comme de dangereuses délinquantes, voire des criminelles. Pour-quoi ce Luddisme d’état ? Pourquoi cette violence faite à des machines ? Parce que Brukman n’est pas n’importe quelle usine : elle est l’une des deux cents usines « occupées » à travers le pays, depuis plus d’un an et demi, qui ont été remises en marche par leurs ouvriers. Ces différentes usines em-ploient plus de 10 000 personnes sur tout le territoire argentin, produisant aussi bien des tracteurs que de la crème glacée, elles sont ou deviennent une réponse politique autant qu’une réponse économique à la crise actuelle.
« … Ils ont peur de nous parce qu’en démontrant que nous pouvons faire marcher une usine, nous faisons également la preuve que nous pourrions gouverner le pays… » C’est ce que nous a déclaré l’ouvrière Célia Martinez de chez Brukman, durant la nuit de lundi. « Voilà pourquoi le gouvernement a décidé de nous réprimer… »
À première vue, Brukman ressemble à toutes les autres usines de fabrication de vêtements de par ce vaste monde. Elle est semblable aux usines de Mexico ou de Toronto, même si les procédés de fabrication diffèrent quelque peu ou prou… L’atelier de confection de Brukman est rempli de femmes penchées sur leur machine à coudre, les yeux fatigués, les doigts courant au-dessus du tissu et du fil. Ce qui rendrait Brukman différent tiendrait à son environnement sonore particulier. Il y a, bien sûr, le hurlement habituel des machines, le sifflement attendu de la vapeur, mais il y a également cette musique folklorique bolivienne qu’émet un lecteur de cassettes à l’arrière de l’atelier et le ton tranquille des voix des ouvrières plus âgées penchées au-dessus des plus jeunes en train de leur montrer comment faire de nouveaux points. « Ils ne nous permettaient pas de quitter notre siège auparavant… Ni d’écouter de la musique pendant le travail… Pourtant, cela ne fait pas de mal et donne plus de pêche »… commente Célia Martinez.
A Buenos Aires, chaque semaine apporte des informations concernant telle ou telle occupation : ici, un hôtel « quatre étoiles » fonctionne désormais grâce à son personnel d’entretien ; un peu plus loin, un supermarché est géré par ses employés. Ailleurs encore, une compagnie aérienne de desserte locale se transforme en coopérative, une décision prise par les pilotes et le personnel au sol. Ces usines en autogestion sont acclamées partout dans le monde, plus spécialement dans la presse (confidentielle) qui se réclame encore du trotskisme. Par contre, dans la grande, l’importante presse économique, comme The Economist notamment, ces occupations sont rapportées sur un ton dramatique, décrites comme une lourde menace remettant en cause le principe sacré de la propriété privée. La vérité se trouve quelque part entre ces deux appréhensions divergentes. Chez Brukman, par exemple, le personnel ne s’est pas emparé des moyens de production. Ils ont eu juste à se baisser pour s’en saisir, suite à l’abandon des propriétaires légaux. L’usine était en perte de vitesse depuis plusieurs années ; les dettes envers les fournisseurs s’accumulaient et, au cours des cinq derniers mois, les couturières ont vu leurs salaires se réduirent comme une peau de chagrin, passant de 100 pesos par semaine à 2 pesos seulement – même pas assez pour le prix d’un trajet en autobus. Le 18 décembre, les ouvrières ont décidé qu’il était temps d’exiger une prime de transport. Les propriétaires de l’usine, s’appuyant sur leur manque drastique de créance actuelle, ont demandé aux ouvrières d’être patientes, d’attendre, tandis qu’ils se mettaient en quête d’argent frais. « Nous les avons attendus jusqu’en fin d’après-midi… Nous les avons attendus toute la soirée ! » explique Martinez. « Personne n’est revenu ! »
Après avoir obtenu du concierge les clefs, Martinez et les autres ouvrières ont dormi à l’usine. Depuis, elles la gèrent. Elles ont réglé les énormes factures en retard, attiré de nouveaux clients, trouvé de nouveaux débouchés, et, sans se prendre plus longtemps la tête avec les salaires de cadre et les dividendes à distribuer, elles sont parvenues à se verser des salaires, certes modestes, mais réguliers. Toutes ces décisions ont été prises démocratiquement : au vote, dans des assemblées générales. « Je ne sais pas pourquoi c’était aussi difficile pour les propriétaires de l’usine » ajoute Martinez. « …C’est pourtant facile : il suffit de savoir additionner et soustraire… » Brukman représente une nouvelle forme de lutte syndicale. Elle n’est pas basée sur la forme traditionnelle du débrayage mais, bien au contraire, sur le maintien de la production, un maintien ferme et résolu, quoiqu’il advienne. Ici, pas de dogmatisme, mais du simple réalisme. Dans un pays où 58% de la population vit dans la grande pauvreté, savoir que vous pouvez recevoir un chèque comme paiement de votre salaire, sans avoir, pour subsister, à faire les poubelles ou à mendier, ne se refuse pas.
Le spectre qui hante les usines occupées d’Argentine n’est pas le communisme, mais l’indigence.
Mais ne s’agit-il pas d’un vol qualifié ? Après tout, le matériel industriel appartient aux propriétaires qui l’ont acheté – s’ils veulent le vendre ou le déplacer dans un autre pays, c’est leur droit ; ça les regarde. C’est ce
que le juge fédéral a signifié dans l’ordre
d’expulsion concernant les ouvrières de Brukman : « La vie et l’intégrité physique ne l’emportent pas en droit sur les intérêts économiques »
Sans le vouloir, il a résumé la logique pure et dure de la dérégulation mondiale libérale : le capital doit être laisser libre de chercher les plus bas salaires ainsi que toute opportunité de gains supplémentaires, indépendamment des dégâts qu’il peut provoquer chez les individus, aussi bien qu’au sein des communautés. Les ouvriers des usines occupées argentines ont une vision différente du problème : leurs avocats s’appuient sur le fait que les propriétaires des usines en question ont manifestement violé les principes de base du marché en ne payant ni leurs salariés, ni leurs créanciers, et ce, bien qu’ils aient touché des subventions plus qu’importantes de l’Etat. Pourquoi donc l’Etat ne soutient-il pas ce nouvel état de fait ? Permettre la conservation des salaires et de l’activité en réparation des préjudices subis par les uns et les autres ? Déjà plus d’une douzaine de coopératives ont fait l’objet d’une procédure légale d’expulsion. Les ouvrières de chez Brukman se battent toujours, pour l’instant.
Quand on y repense, les Luddistes, en 1812, se trouvaient tant soit peu dans la même situation que nos ouvrières argentines. Les moyens de production nouveaux remplirent les poches de quelques-uns aux dépens du plus grand nombre. Les ouvriers et les ouvrières du secteur textile de cette époque s’essayèrent à combattre cette logique destructive en cassant les machines. Les ouvriers de Brukman ont un bien meilleur plan : ils veulent protéger les machines et briser la logique habituelle…
Naomi Klein*
Journaliste indépendante canadienne auteur de No logo : La Tyrannie des marques (Ed. Actes Sud, 2002) et Journal d’une combattante, nouvelles du front de la mondialisation (Ed. Actes Sud, 2003).
(1) Le mouvement luddiste fait référence au mythique Nedd Ludd (leader réel ou imaginaire) qui en 1779, avec d’autres compagnons, brisa des machines à fabriquer des bas, dans le Leicestershire. Ce mouvement atteint son apogée en 1811-1812 avec la lutte des ouvriers tricoteurs de la région de Nottingham, l’assassinat d’un patron particulièrement répressif dans le Yorkshire et les luttes contre les filatures utilisant la machine à vapeur dans le Lancashire (1811-1826). Il est très organisé, sous forme de sociétés secrètes et contrairement à l’interprétation réductrice qu’en donne aujourd’hui l’imagerie révolutionnaire radicale, il ne fut pas un déchaînement de sabotage contre les machines, mais plutôt un moyen de résistance nécessaire dans le cadre d’une lutte plus large. Mouvement défensif contre le passage à la manufacture et à la nouvelle subordination qui en découlerait, mais aussi offensif et politique dans sa dimension auto-organisée que l’expression d’« armée du peuple » de l’historien Thomson ne rend que très imparfaitement. En France, le premier exemple de ce type de lutte provient des ouvriers de l’Hérault en 1818 qui menacèrent les industriels du textile dans un contexte de récession et de chômage. On trouve des mouvements similaires pendant la période de la « Grande Dépression » (1875-1890). Mais en 1830 et en 1848, c’est le contexte politique qui voit les ouvriers du Livre détruire les presses mécaniques créant ainsi un rapport de force favorable à des transformations du monde du travail (diminution du temps de travail). (N.D.L.R.)
(1) Le mouvement luddiste fait référence au mythique Nedd Ludd (leader réel ou imaginaire) qui en 1779, avec d’autres compagnons, brisa des machines à fabriquer des bas, dans le Leicestershire. Ce mouvement atteint son apogée en 1811-1812 avec la lutte des ouvriers tricoteurs de la région de Nottingham, l’assassinat d’un patron particulièrement répressif dans le Yorkshire et les luttes contre les filatures utilisant la machine à vapeur dans le Lancashire (1811-1826). Il est très organisé, sous forme de sociétés secrètes et contrairement à l’interprétation réductrice qu’en donne aujourd’hui l’imagerie révolutionnaire radicale, il ne fut pas un déchaînement de sabotage contre les machines, mais plutôt un moyen de résistance nécessaire dans le cadre d’une lutte plus large. Mouvement défensif contre le passage à la manufacture et à la nouvelle subordination qui en découlerait, mais aussi offensif et politique dans sa dimension auto-organisée que l’expression d’« armée du peuple » de l’historien Thomson ne rend que très imparfaitement. En France, le premier exemple de ce type de lutte provient des ouvriers de l’Hérault en 1818 qui menacèrent les industriels du textile dans un contexte de récession et de chômage. On trouve des mouvements similaires pendant la période de la « Grande Dépression » (1875-1890). Mais en 1830 et en 1848, c’est le contexte politique qui voit les ouvriers du Livre détruire les presses mécaniques créant ainsi un rapport de force favorable à des transformations du monde du travail (diminution du temps de travail). (N.D.L.R.)