Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°48 [avril 2004 - juin 2004]
© Passant n°48 [avril 2004 - juin 2004]
entretien de Sergio Tornaghi par Christophe Dabitch
Imprimer l'articleLe passé de plomb
ergio Tornaghi pensait, tout comme Cesare Battisti, que ces années que l’on a dites de plomb étaient définitivement derrière lui. Mais l’arrestation de l’écrivain et la demande d’extradition en cours l’a soudainement ramené vers son passé. Sergio Tornaghi était membre des Brigades rouges, à Milan, de 1979 à 1982. Il avait intégré à Sesto San Giovanni, ville ouvrière de la banlieue de Milan, la colonne Walter Alasia, du nom d’un militant tué par la police en 1976 lors d’une perquisition. À la suite d’une série d’arrestations et des déclarations de repentis, la colonne Walter Alasia fut entièrement démantelée. Sergio Tornaghi, malgré une première interpellation, passa entre les mailles, vécut clandestinement en Italie puis passa en France en 1983 car il était recherché. Il est le seul de l’organisation milanaise à avoir fait ce choix. Il fut ensuite condamné par contumace à la prison à perpétuité pour « participation à bande armée » et « assassinat ».
En France, il fut arrêté en 1984 et la justice rendit pour la première fois, en 1986, un avis de non-extradition. Réfugié et travaillant dans la région de Bordeaux, il fut pourtant arrêté une seconde fois, en 1998. Les policiers bordelais vinrent l’interpeller sans ménagement alors qu’il accompagnait sa fille à l’école maternelle. La demande d’extradition italienne avait été relancée par les accords de Schengen. Après un séjour de prison et dix mois de procédure, il obtint gain de cause pour la seconde fois, la cour d’appel de Bordeaux refusant l’extradition en raison notamment de la procédure italienne qui ne permet pas à un condamné par contumace d’être à nouveau jugé en cas de retour.
Il a ensuite recouvré la liberté et, même si la France lui a refusé par deux fois la nationalité, il se sent dorénavant plus Français qu’Italien. Soutenant Cesare Battisti, il raconte ici une partie de son itinéraire, à un moment précis de l’histoire italienne, et les raisons pour lesquelles son pays d’origine n’a selon lui aucune autorité morale pour demander l’extradition des anciens des années de plomb.
De quel milieu social êtes-vous originaire ?
Ma mère était ouvrière dans une grande surface et mon père était technicien chez Olivetti. J’habitais Sesto San Giovanni, la banlieue rouge de Milan. Pendant la guerre, on l’appelait la Stalingrad italienne. C’était une ville qui faisait 100 000 habitants la nuit et 400 000 le jour avec les ouvriers qui venaient travailler dans les grandes usines. Mes parents n’étaient pas très politisés. Du côté de mon père, mes grands-parents étaient des anciens socialos qui étaient passés entre les mains des fascistes dans les années 20 et 30 et qui ont ingurgité pas mal de litres d’huile de ricin. Mon grand-père, on pouvait lui parlait de tout sauf des fascistes. J’ai vu aussi mon grand-père maternel travailler la terre pour vivre dans une pièce de 9m2, payé au lance-pierre, mendier un litre de lait et un kilo de farine pour faire du pain… Ça a eu une influence, mais je n’ai pas vraiment d’éducation politique.
Qu’est-ce qui a été déterminant pour vous ?
Une chose m’a marqué. À l’âge de douze ans, j’avais séché l’école avec des copains et on s’était promené place du Dôme à Milan. Je ne le savais pas, j’avais douze ans, c’était le lieu où les néofascistes régnaient en maîtres. Je me promenais avec mes copains, habillé comme c’était la mode à l’époque, avec un manteau militaire. On a été entourés par quatre gaillards dont un m’a pointé un couteau dans le dos en me disant : tu sais que c’est très risqué de se promener ici habillé comme ça. Et là j’ai eu la peur de ma vie ! Je pense que je me suis dit à ce moment-là : des peurs comme ça, je ne veux plus en avoir ! Après, dans mon histoire, les choses se sont mises en place quand je suis arrivé au lycée, en 1972. Il y avait beaucoup de discussions, d’initiatives de la part des jeunes, une envie de reconquérir des espaces, une mise en discussion de l’enseignement… enfin comme 68 en France.
Quel est le paysage politique à ce moment-là ?
Au début des années 60, toute la classe ouvrière qui sortait de la guerre, qui avait reconstruit le pays et évincé les fascistes voyait que la richesse recommençait à circuler. Ils demandaient une participation au développement et tout ce qu’ils ont ramassé, c’est les organisations néofascistes qui agressaient les militants syndicaux et politiques. Cette espèce de retour des fascistes a obligé une bonne partie du mouvement à se donner les moyens de se protéger.
Avant d’entrer dans les Brigades rouges, quelle était votre activité politique ?
Les Brigades rouges, ce n’est pas une rupture dans ma vie. C’est l’évolution logique de quelqu’un qui a commencé à faire de la politique vers l’âge de 14 ans, qui a milité dans les organisations étudiantes. Après, j’ai fait l’armée où il y avait ceux que l’on appelait les prolétaires en uniformes. Ensuite, c’était l’usine, le parti communiste, le syndicat, les luttes… et après, évidemment, il y a eu une évolution dans cette période historique qui m’a amené à entrer en contact avec une organisation politico-militaire qui était les Brigades rouges. C’était comme ça pour beaucoup de gens, même pour les créateurs qui étaient ingénieurs chez Siemens, à la Breda… Ils ne sont pas tombés là-dedans comme ça, un jour, en se réveillant… C’était une évolution dans l’organisation du mouvement ouvrier parce qu’il y avait une répression. L’État était constitué de la Démocratie chrétienne avec Andreotti, avec les tentatives de coups d’État, avec l’activité des services secrets dans la stratégie de la tension… C’est pas les BR qui ont créé la situation en Italie.
Vous faisiez partie de la branche politique des BR ?
C’était un ensemble, les responsabilités n’étaient pas séparées. Il y avait les deux aspects. On organise le débat, le développement des idées… et en même temps, parce qu’on sait qu’en face, on va avoir de la réaction, on est obligé de se donner les moyens de se défendre avec des gens qui s’occupent des armes et des actions. La rupture, elle se fera avec Moro. Là, les BR considèrent que le moment est venu de porter le coup au cœur de l’État.
C’est aussi le moment où les groupes d’extrême droite commettent des attentats aveugles et tuent finalement plus de gens que les organisations militaires d’extrême gauche.
Oui, ils ont fait le choix de créer une situation de tension pour que les gens normaux demandent plus de sécurité, plus de pouvoir pour la police à cause des bombes et des attentats. La stratégie de la tension, c’était les services secrets avec le gouvernement. Si le pouvoir ouvrier avait pris plus d’ampleur et le parti communiste plus de responsabilité, ils étaient prêts à faire sauter le pays. Ce qu’ils ont fait à Piazza Fontana en 1969, ils l’auraient fait tous les jours dans tout le pays !
De quoi vous a-t-on accusé et pour quoi avez-vous été condamné en Italie ?
Le problème judiciaire en Italie, c’est que du moment que vous n’êtes pas repenti, automatiquement, on vous met sur le dos toutes les activités qui étaient propres à votre organisation. Il n’y a même pas à chercher où sont mes responsabilités, ça ne les intéresse pas. Si vous êtes repenti, c’est bon, vous pouvez avoir fait les pires saloperies, il n’y a pas de souci ; vous êtes pas repenti, on vous met tout sur le dos. Je veux bien assumer des responsabilités face à la justice, mais il faut qu’il y ait l’autorité morale qui soit capable de juger. C’est là que la bataille pour l’amnistie devient intéressante parce que l’amnistie permet de parler tranquillement et ouvertement des responsabilités de chacun.
Selon vous, le gouvernement n’a pas cette autorité morale ?
On a un Premier ministre qui est propriétaire de 90% des moyens de communication et qui était dans la loge P2, un vice-premier ministre qui sort des rangs de l’extrême droite responsable de par ses liens avec les services secrets des années d’attentats et de meurtre, et un troisième, Umberto Bossi, un xénophobe qui pousse le pays vers la guerre civile… Franchement, si ces gens-là me demandent des comptes, j’ai du mal à leur en donner.
Vous êtes le seul de la colonne milanaise Walter Alasia à être sorti d’Italie, est-ce que vous comprenez les repentis ?
Sur le plan humain, je peux comprendre. C’est quelqu’un qui voit devant lui des années de prison, on lui propose de s’en sortir en disant tout ce qu’il sait et tout ce qu’il ne sait pas, ce qu’il peut imaginer… Ce que je regrette, c’est que cette attitude clôture toute discussion. Ça légitime le pouvoir en place, comme si les repentis disaient la vérité et il n’y a plus de débats judiciaire et historique. Tout historien sait très bien que sur un événement il y a plusieurs approches et plusieurs points de vue. C’est sûr que je regrette tous les morts, mais tous les morts, il n’y a pas des morts qui valent plus et des morts qui valent rien. Je regrette tous les morts. Une pratique qui en effet peut-être aujourd’hui je me rends compte… mais enfin… je me rends compte que c’était peut-être pas la meilleure chose qu’on a à faire et à laisser à nos enfants… mais je regrette, on se retrouve dans des situations où franchement l’autodéfense passe peut-être par… c’est ça jusqu’où on peut… ça dépend pourquoi on agit, le problème est là. Personnel-lement, je n’ai pas fait ce que j’ai fait pour m’enrichir, je l’ai fait parce que je croyais à quelque chose qui était en principe de s’occuper du bonheur des autres. C’était peut-être prétentieux, d’accord, mais c’était ça.
Vous êtes inquiet après l’arrestation de Cesare Battisti ?
Avec Cesare, sur le plan juridique, on est dans le même cas de figure. Il a déjà eu un avis défavorable pour une histoire de contumace, comme moi en 1998. Sur le plan juridique, je ne suis pas inquiet pour Cesare mais par contre, je ne connais pas la volonté politique de l’État français. Si la volonté politique est autre que la volonté juridique, c’est sûr que j’ai de quoi m’inquiéter.
Pourquoi un tel acharnement du gouvernement italien ?
Je pense qu’ils ont toujours envie de marquer le fait qu’une partie de la société italienne qui a perdu une bataille l’a perdue pour toujours. Le mouvement revendicatif de cette époque ne doit avoir aucun droit de citer dans la société italienne. Ils veulent dire qu’on n’oublie pas quelqu’un qui essaie de remettre en discussion un État. En plus, il y a en Italie des forts mouvements de contestation à commencer par des altermondialistes, et dans les syndicats, les mouvements autonomes… Il y a des peurs disons d’une reprise des luttes sociales. Donc on coupe les jambes aux mouvements en leur montrant que de toute façon, il n’y a pas de voie alternative à celle que Berlusconi propose avec son système. C’est une reprise en main de la société italienne pour couper toute velléité de contestation.
En France, il fut arrêté en 1984 et la justice rendit pour la première fois, en 1986, un avis de non-extradition. Réfugié et travaillant dans la région de Bordeaux, il fut pourtant arrêté une seconde fois, en 1998. Les policiers bordelais vinrent l’interpeller sans ménagement alors qu’il accompagnait sa fille à l’école maternelle. La demande d’extradition italienne avait été relancée par les accords de Schengen. Après un séjour de prison et dix mois de procédure, il obtint gain de cause pour la seconde fois, la cour d’appel de Bordeaux refusant l’extradition en raison notamment de la procédure italienne qui ne permet pas à un condamné par contumace d’être à nouveau jugé en cas de retour.
Il a ensuite recouvré la liberté et, même si la France lui a refusé par deux fois la nationalité, il se sent dorénavant plus Français qu’Italien. Soutenant Cesare Battisti, il raconte ici une partie de son itinéraire, à un moment précis de l’histoire italienne, et les raisons pour lesquelles son pays d’origine n’a selon lui aucune autorité morale pour demander l’extradition des anciens des années de plomb.
De quel milieu social êtes-vous originaire ?
Ma mère était ouvrière dans une grande surface et mon père était technicien chez Olivetti. J’habitais Sesto San Giovanni, la banlieue rouge de Milan. Pendant la guerre, on l’appelait la Stalingrad italienne. C’était une ville qui faisait 100 000 habitants la nuit et 400 000 le jour avec les ouvriers qui venaient travailler dans les grandes usines. Mes parents n’étaient pas très politisés. Du côté de mon père, mes grands-parents étaient des anciens socialos qui étaient passés entre les mains des fascistes dans les années 20 et 30 et qui ont ingurgité pas mal de litres d’huile de ricin. Mon grand-père, on pouvait lui parlait de tout sauf des fascistes. J’ai vu aussi mon grand-père maternel travailler la terre pour vivre dans une pièce de 9m2, payé au lance-pierre, mendier un litre de lait et un kilo de farine pour faire du pain… Ça a eu une influence, mais je n’ai pas vraiment d’éducation politique.
Qu’est-ce qui a été déterminant pour vous ?
Une chose m’a marqué. À l’âge de douze ans, j’avais séché l’école avec des copains et on s’était promené place du Dôme à Milan. Je ne le savais pas, j’avais douze ans, c’était le lieu où les néofascistes régnaient en maîtres. Je me promenais avec mes copains, habillé comme c’était la mode à l’époque, avec un manteau militaire. On a été entourés par quatre gaillards dont un m’a pointé un couteau dans le dos en me disant : tu sais que c’est très risqué de se promener ici habillé comme ça. Et là j’ai eu la peur de ma vie ! Je pense que je me suis dit à ce moment-là : des peurs comme ça, je ne veux plus en avoir ! Après, dans mon histoire, les choses se sont mises en place quand je suis arrivé au lycée, en 1972. Il y avait beaucoup de discussions, d’initiatives de la part des jeunes, une envie de reconquérir des espaces, une mise en discussion de l’enseignement… enfin comme 68 en France.
Quel est le paysage politique à ce moment-là ?
Au début des années 60, toute la classe ouvrière qui sortait de la guerre, qui avait reconstruit le pays et évincé les fascistes voyait que la richesse recommençait à circuler. Ils demandaient une participation au développement et tout ce qu’ils ont ramassé, c’est les organisations néofascistes qui agressaient les militants syndicaux et politiques. Cette espèce de retour des fascistes a obligé une bonne partie du mouvement à se donner les moyens de se protéger.
Avant d’entrer dans les Brigades rouges, quelle était votre activité politique ?
Les Brigades rouges, ce n’est pas une rupture dans ma vie. C’est l’évolution logique de quelqu’un qui a commencé à faire de la politique vers l’âge de 14 ans, qui a milité dans les organisations étudiantes. Après, j’ai fait l’armée où il y avait ceux que l’on appelait les prolétaires en uniformes. Ensuite, c’était l’usine, le parti communiste, le syndicat, les luttes… et après, évidemment, il y a eu une évolution dans cette période historique qui m’a amené à entrer en contact avec une organisation politico-militaire qui était les Brigades rouges. C’était comme ça pour beaucoup de gens, même pour les créateurs qui étaient ingénieurs chez Siemens, à la Breda… Ils ne sont pas tombés là-dedans comme ça, un jour, en se réveillant… C’était une évolution dans l’organisation du mouvement ouvrier parce qu’il y avait une répression. L’État était constitué de la Démocratie chrétienne avec Andreotti, avec les tentatives de coups d’État, avec l’activité des services secrets dans la stratégie de la tension… C’est pas les BR qui ont créé la situation en Italie.
Vous faisiez partie de la branche politique des BR ?
C’était un ensemble, les responsabilités n’étaient pas séparées. Il y avait les deux aspects. On organise le débat, le développement des idées… et en même temps, parce qu’on sait qu’en face, on va avoir de la réaction, on est obligé de se donner les moyens de se défendre avec des gens qui s’occupent des armes et des actions. La rupture, elle se fera avec Moro. Là, les BR considèrent que le moment est venu de porter le coup au cœur de l’État.
C’est aussi le moment où les groupes d’extrême droite commettent des attentats aveugles et tuent finalement plus de gens que les organisations militaires d’extrême gauche.
Oui, ils ont fait le choix de créer une situation de tension pour que les gens normaux demandent plus de sécurité, plus de pouvoir pour la police à cause des bombes et des attentats. La stratégie de la tension, c’était les services secrets avec le gouvernement. Si le pouvoir ouvrier avait pris plus d’ampleur et le parti communiste plus de responsabilité, ils étaient prêts à faire sauter le pays. Ce qu’ils ont fait à Piazza Fontana en 1969, ils l’auraient fait tous les jours dans tout le pays !
De quoi vous a-t-on accusé et pour quoi avez-vous été condamné en Italie ?
Le problème judiciaire en Italie, c’est que du moment que vous n’êtes pas repenti, automatiquement, on vous met sur le dos toutes les activités qui étaient propres à votre organisation. Il n’y a même pas à chercher où sont mes responsabilités, ça ne les intéresse pas. Si vous êtes repenti, c’est bon, vous pouvez avoir fait les pires saloperies, il n’y a pas de souci ; vous êtes pas repenti, on vous met tout sur le dos. Je veux bien assumer des responsabilités face à la justice, mais il faut qu’il y ait l’autorité morale qui soit capable de juger. C’est là que la bataille pour l’amnistie devient intéressante parce que l’amnistie permet de parler tranquillement et ouvertement des responsabilités de chacun.
Selon vous, le gouvernement n’a pas cette autorité morale ?
On a un Premier ministre qui est propriétaire de 90% des moyens de communication et qui était dans la loge P2, un vice-premier ministre qui sort des rangs de l’extrême droite responsable de par ses liens avec les services secrets des années d’attentats et de meurtre, et un troisième, Umberto Bossi, un xénophobe qui pousse le pays vers la guerre civile… Franchement, si ces gens-là me demandent des comptes, j’ai du mal à leur en donner.
Vous êtes le seul de la colonne milanaise Walter Alasia à être sorti d’Italie, est-ce que vous comprenez les repentis ?
Sur le plan humain, je peux comprendre. C’est quelqu’un qui voit devant lui des années de prison, on lui propose de s’en sortir en disant tout ce qu’il sait et tout ce qu’il ne sait pas, ce qu’il peut imaginer… Ce que je regrette, c’est que cette attitude clôture toute discussion. Ça légitime le pouvoir en place, comme si les repentis disaient la vérité et il n’y a plus de débats judiciaire et historique. Tout historien sait très bien que sur un événement il y a plusieurs approches et plusieurs points de vue. C’est sûr que je regrette tous les morts, mais tous les morts, il n’y a pas des morts qui valent plus et des morts qui valent rien. Je regrette tous les morts. Une pratique qui en effet peut-être aujourd’hui je me rends compte… mais enfin… je me rends compte que c’était peut-être pas la meilleure chose qu’on a à faire et à laisser à nos enfants… mais je regrette, on se retrouve dans des situations où franchement l’autodéfense passe peut-être par… c’est ça jusqu’où on peut… ça dépend pourquoi on agit, le problème est là. Personnel-lement, je n’ai pas fait ce que j’ai fait pour m’enrichir, je l’ai fait parce que je croyais à quelque chose qui était en principe de s’occuper du bonheur des autres. C’était peut-être prétentieux, d’accord, mais c’était ça.
Vous êtes inquiet après l’arrestation de Cesare Battisti ?
Avec Cesare, sur le plan juridique, on est dans le même cas de figure. Il a déjà eu un avis défavorable pour une histoire de contumace, comme moi en 1998. Sur le plan juridique, je ne suis pas inquiet pour Cesare mais par contre, je ne connais pas la volonté politique de l’État français. Si la volonté politique est autre que la volonté juridique, c’est sûr que j’ai de quoi m’inquiéter.
Pourquoi un tel acharnement du gouvernement italien ?
Je pense qu’ils ont toujours envie de marquer le fait qu’une partie de la société italienne qui a perdu une bataille l’a perdue pour toujours. Le mouvement revendicatif de cette époque ne doit avoir aucun droit de citer dans la société italienne. Ils veulent dire qu’on n’oublie pas quelqu’un qui essaie de remettre en discussion un État. En plus, il y a en Italie des forts mouvements de contestation à commencer par des altermondialistes, et dans les syndicats, les mouvements autonomes… Il y a des peurs disons d’une reprise des luttes sociales. Donc on coupe les jambes aux mouvements en leur montrant que de toute façon, il n’y a pas de voie alternative à celle que Berlusconi propose avec son système. C’est une reprise en main de la société italienne pour couper toute velléité de contestation.