Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
Retour
© Passant n°48 [avril 2004 - juin 2004]
Imprimer l'article© Passant n°48 [avril 2004 - juin 2004]
Vers un mouvement de la permanence culturelle
e mouvement des intermittents serait-il dans l’impasse ? Apparem-ment, oui. La réforme du régime d’assurance-chômage, telle que décidée par les partenaires de l’UNEDIC puis agréée par le gouvernement, sera appliquée à compter du 1er janvier 2004. Et ce malgré les annulations de festivals cet été, les journées d’action qui se succèdent depuis la rentrée, les forums et les prises de position des organisations syndicales et professionnelles les plus représentatives du secteur culturel, les tribunes des journaux où des voix autorisées – celles d’artistes de renom, de responsables de grandes maisons, d’intellectuels et de représentants de partis politiques – ne cessent de se faire entendre sur les conséquences néfastes de la réforme et sur la nécessité d’une nouvelle négociation. Rien n’y fait. Le gouvernement a parié sur l’épuisement des coordinations et sur les contradictions internes d’un milieu professionnel aux intérêts divers et souvent divergents. À brève échéance, la lutte sociale risque de se conclure par une défaite. Pour autant, je ne pense pas que ce mouvement soit un échec. Parce qu’il a pris un tour résolument politique et qu’il s’inscrit dans la durée.
En quelques mois, l’inquiétude a creusé profond. Elle ne s’est pas seulement exprimée par une protestation contre des mesures socialement injustes et économiquement dangereuses. Les individus, les compagnies et les lieux de création en feront tous les frais. Cette inquiétude a généré un travail critique de qualité portant à la fois sur les questions techniques (relatives aux modes de financement et à l’organisation du réseau public du spectacle vivant) et sur les enjeux politiques de la crise (le rôle et le statut de l’artiste, la valeur de son activité qui oblige à une mobilisation et une dépense permanentes pour des manifestations et des revenus intermittents). Ce qui été perçu comme le problème de fond pourrait se résumer à ceci : l’autorité publique est devenue incapable de garantir les conditions de production, de protection et d’usage du bien commun. Le malaise dans la culture n’est ni plus ni moins que la traduction bruyante d’un mal être en commun qui mine silencieusement toute la société.
À ce sujet, le philosophe Jean-Luc Nancy, lors des États généraux de la Culture organisés par Jack Ralite en octobre dernier, a proposé une forte méditation sur cette perte du commun qui conduit à ne plus reconnaître la culture comme un bien public. Un bien à la fois économique et éthique. Au sens économique, le bien public est le produit d’un art et d’une technique de faire des choses en commun. Ces choses, dans l’économie des personnes – celle qui tient compte de la valeur des échanges symboliques – peuvent être investies comme le bien de tous sans être la propriété d’aucun. Au sens éthique, le bien public acquiert ainsi valeur de boussole (et non pas de norme) dans l’art de conduire nos vies. Il favorise de surcroît un savoir-être-en-commun prenant consistance de nos singularités. Et Jean-Luc Nancy de rappeler deux conditions nécessaires à cette dialectique du commun et du singulier. D’abord nous débarrasser de l’illusion d’une nature commune à retrouver dans un lointain et mythique passé ou à faire advenir dans un futur idéal, à l’horizon d’une hypothétique fin de l’Histoire. Ensuite accepter qu’il soit de la responsabilité du pouvoir public d’organiser symboliquement l’autorité d’une gestion mesurée du commun. Sens de la mesure qui implique également un devoir d’abstention de l’intervention publique dans le domaine du singulier. Sur le terrain de
l’art et de la culture, cette problématique est notre quotidien.
Nous sommes aux premières loges pour constater que nous vivons une période où l’articulation du commun et du public est férocement mise à mal. Parce qu’elle est trop souvent dépréciée dans le discours politique (dans les partis de droite pour en faire un argument de vente, dans une partie de la gauche pour faire acte de contrition) et surtout systématiquement bafouée par un marché qui dénie aux pouvoirs publics le droit d’imposer des limites à l’expansion du capitalisme. Soulignons au passage que si le mot capitalisme est devenu tabou c’est que son emprise va au-delà de l’économie des choses pour s’étendre à l’économie des personnes. Il s’est naturalisé. N’en déplaise à ceux qui soutenaient la possibilité de maintenir le distinguo, nous sommes bel et bien dans une totale confusion, humainement tragique et culturellement désastreuse, entre économie de marché et société de marché. D’où l’urgence et le devoir absolu de s’opposer à une offensive idéologique sans précédent qui n’épargne aucun secteur d’activité.
Je m’en tiendrai au secteur de la culture. Examinons ce qui a eu lieu avec le « dossier de l’intermittence », avant de nous interroger sur la mutation en cours dans le fonctionnement et les missions du ministère de la Culture et de la Communication. Successivement, le président de la République, le Premier ministre et le ministre de la Culture se sont défaussés de toute responsabilité sur un dossier jugé hors champ de l’intervention publique. Cette affaire-là était et devait rester celle de l’UNEDIC. L’État ne pouvant se mêler de tout, il convenait de faire confiance au dialogue social. Voilà synthétisées, sans caricaturer, les positions prises en haut lieu. Et il est difficile de croire qu’à ce niveau, le problème posé par le mouvement des intermittents n’ait pas été appréhendé dans toute sa complexité. Chacun savait très bien que la critique de cette réforme était fondée, et qu’un gros lièvre risquait d’être levé : qu’en serait-il de la politique culturelle de l’État avec les prochaines lois de décentralisation ? L’heure n’était donc plus à jouer les arbitres. À défaut, il fut proposé d’organiser des assises régionales et nationales de la Culture. Cette invitation au débat eût été recevable si le gouvernement avait témoigné d’une volonté de créer les conditions pour une véritable négociation. Il était en son pouvoir d’imposer le principe d’un moratoire pour la mise en application de la réforme. Le temps nécessaire à une concertation avec les représentants des professions concernées (dont aucun ne conteste qu’il faille réformer voire instituer un autre système) et à la préparation d’une loi d’orientation soumise aux élus de la nation.
C’est un autre choix qui a été fait. Ne nous y trompons pas, le calcul politique est justifié par l’ambition de transformer radicalement le rôle de l’Etat. Soucieux de satisfaire aux exigences pressantes du Medef, le gouvernement s’emploie à mettre en œuvre le grand dessein de « la refondation sociale » inspiré sinon imposé par le nouvel ordre économique mondial. Le ministère de la Culture doit y prendre sa part. Pour commencer, il réorganisera et simplifiera les grandes directions au niveau central (patrimoine, spectacle et divers) pour alléger en même temps l’administration déconcentrée en région (les DRAC). Ensuite, il se recentrera sur sa mission première : défense et illustration de l’excellence. Enfin, le moment venu, il adoptera une dénomination plus adéquate : ministère du Management culturel et des Commémorations nationales. Cette fiction polémique ne fait ici que souligner ce qui déjà s’entend ici ou là dans les propos tenus par des élus et certains fonctionnaires de l’administration de la culture. Les uns et les autres ne seraient pas fâchés d’en finir au plus vite avec cette pandémie du culturel imputée à Jack Lang. N’est-ce pas lui qui, non content d’avoir brouillé les frontières entre les disciplines, a dispersé les moyens du ministère vers l’éducation, la santé, le social, la politique de la ville, l’aménagement et le développement des territoires..? De la sorte, il a suscité des vocations artistiques douteuses comme en témoigne l’inflation ruineuse pour l’UNEDIC des prétendants à l’intermittence. CQFD.
Bien sûr, même si quelques-uns en rêvent, il ne s’agit pas de revenir à un ministère des Beaux-Arts. Le pouvoir a une conception plus moderne du changement : juste remettre un peu d’ordre, clarifier les priorités, rationaliser les choix budgétaires et gagner en efficacité ; promouvoir un management culturel à visage humain. La décentralisation devrait y aider. Le ministère se consacrera aux œuvres majeures, aux artistes emblématiques ou prometteurs et aux grands établissements qui, sous sa tutelle, concourront au rayonnement de la France. Pour le peuple, il organisera toutes les commémorations utiles à l’entretien d’une fierté nationale et néanmoins républicaine. Aux collectivités territoriales de se coltiner les artistes régionaux et les équipements de proximité. Notion commode que celle de la proximité. Elle nourrit l’espérance d’aller vers la démocratie locale pour dissimuler le déclin de la solidarité nationale et l’avènement d’un pouvoir public à responsabilité limitée. Mais je me laisse aller à noircir le tableau. Dans une démocratie, les changements prennent rarement une forme aussi grossière et brutale. C’est beaucoup plus nuancé et progressif. Les situations sont examinées au cas par cas. Comme pour les plans sociaux dans les restructurations d’entreprises. On a prévu des mesures compensatoires ainsi que des reconversions assorties de formations adaptées. Tout va bien, dormez tranquille.
Alors que faire ? Que faire pour ne pas en rester à cette impression de défaite, pour ne pas déprimer et abandonner le combat. Surtout nous dire, sans sous-estimer l’adversaire, que ce que nous avons produit comme témoignages, réflexions et propositions est loin d’être un échec. C’est un mouvement de pensée (d’émergence de nouvelles dispositions de la pensée) qui prend corps depuis quelques mois. Il nous faut l’outiller politiquement et continuer de l’alimenter par des échanges sur nos situations concrètes. Dans tous leurs aspects : artistique, institutionnel, financier, administratif. Dire ce que nous fabriquons, comment et pour qui. Afin de ne pas céder au sentiment de la faute d’exister. C’est vital. Et par tous les moyens, produisons de l’association. En croisant nos expériences, portons le débat dans les organisations syndicales et les partis politiques, sans craindre d’oser des concepts philosophiques. Parce que nous sommes aussi attaqués sur le terrain de la langue. Les notions de lien social et de solidarité, de dialogue et de concertation, de réforme et d’intérêt général ont été confisquées et vidées de leur sens pour servir une stratégie sécuritaire qui nous est présentée comme la suprême mission de l’Etat. Commencement de la terreur.
En ces temps électoraux, la question culturelle ne doit pas être absente. Il faut impérativement articuler cette question au projet de loi sur la décentralisation. Les Départements et les Régions ont à prendre position sur une nouvelle répartition des compétences qui ne dédouane pas l’Etat de ses responsabilités. Les politiques publiques de la culture sont à cet égard un bon exemple. Elles ne peuvent pas se définir exclusivement en termes budgétaires. Elles obligent à énoncer d’autres critères et à discuter du sens donné à l’investissement culturel pour soutenir la création, mieux diffuser les œuvres et accompagner les initiatives qui font entrer l’art dans la vie. Retour à notre question initiale, celle de l’être-en-commun par la médiation de la culture comme bien public. Et puisqu’il faut provisoirement conclure, cette inquiétude qui a creusé si profond en nous tous a eu le mérite de faire entrer davantage la société dans la chose artistique, de nous apprendre à nous compter pour résister à la douce barbarie du néolibéralisme, et, paradoxalement, à faire naître un mouvement pour la permanence culturelle. Revendiquer ce besoin de permanence est aussi indispensable que de poursuivre le travail critique sur la réforme de l’intermittence. Pour amener les collectivités publiques à prendre la mesure des moyens qui permettraient d’être à la hauteur de « l’exception culturelle ». Ce combat n’est pas réservé aux techniciens et aux artistes. Il est à partager avec tous ceux qui dans la société pressentent l’urgence de passer à une autre culture du politique.
En quelques mois, l’inquiétude a creusé profond. Elle ne s’est pas seulement exprimée par une protestation contre des mesures socialement injustes et économiquement dangereuses. Les individus, les compagnies et les lieux de création en feront tous les frais. Cette inquiétude a généré un travail critique de qualité portant à la fois sur les questions techniques (relatives aux modes de financement et à l’organisation du réseau public du spectacle vivant) et sur les enjeux politiques de la crise (le rôle et le statut de l’artiste, la valeur de son activité qui oblige à une mobilisation et une dépense permanentes pour des manifestations et des revenus intermittents). Ce qui été perçu comme le problème de fond pourrait se résumer à ceci : l’autorité publique est devenue incapable de garantir les conditions de production, de protection et d’usage du bien commun. Le malaise dans la culture n’est ni plus ni moins que la traduction bruyante d’un mal être en commun qui mine silencieusement toute la société.
À ce sujet, le philosophe Jean-Luc Nancy, lors des États généraux de la Culture organisés par Jack Ralite en octobre dernier, a proposé une forte méditation sur cette perte du commun qui conduit à ne plus reconnaître la culture comme un bien public. Un bien à la fois économique et éthique. Au sens économique, le bien public est le produit d’un art et d’une technique de faire des choses en commun. Ces choses, dans l’économie des personnes – celle qui tient compte de la valeur des échanges symboliques – peuvent être investies comme le bien de tous sans être la propriété d’aucun. Au sens éthique, le bien public acquiert ainsi valeur de boussole (et non pas de norme) dans l’art de conduire nos vies. Il favorise de surcroît un savoir-être-en-commun prenant consistance de nos singularités. Et Jean-Luc Nancy de rappeler deux conditions nécessaires à cette dialectique du commun et du singulier. D’abord nous débarrasser de l’illusion d’une nature commune à retrouver dans un lointain et mythique passé ou à faire advenir dans un futur idéal, à l’horizon d’une hypothétique fin de l’Histoire. Ensuite accepter qu’il soit de la responsabilité du pouvoir public d’organiser symboliquement l’autorité d’une gestion mesurée du commun. Sens de la mesure qui implique également un devoir d’abstention de l’intervention publique dans le domaine du singulier. Sur le terrain de
l’art et de la culture, cette problématique est notre quotidien.
Nous sommes aux premières loges pour constater que nous vivons une période où l’articulation du commun et du public est férocement mise à mal. Parce qu’elle est trop souvent dépréciée dans le discours politique (dans les partis de droite pour en faire un argument de vente, dans une partie de la gauche pour faire acte de contrition) et surtout systématiquement bafouée par un marché qui dénie aux pouvoirs publics le droit d’imposer des limites à l’expansion du capitalisme. Soulignons au passage que si le mot capitalisme est devenu tabou c’est que son emprise va au-delà de l’économie des choses pour s’étendre à l’économie des personnes. Il s’est naturalisé. N’en déplaise à ceux qui soutenaient la possibilité de maintenir le distinguo, nous sommes bel et bien dans une totale confusion, humainement tragique et culturellement désastreuse, entre économie de marché et société de marché. D’où l’urgence et le devoir absolu de s’opposer à une offensive idéologique sans précédent qui n’épargne aucun secteur d’activité.
Je m’en tiendrai au secteur de la culture. Examinons ce qui a eu lieu avec le « dossier de l’intermittence », avant de nous interroger sur la mutation en cours dans le fonctionnement et les missions du ministère de la Culture et de la Communication. Successivement, le président de la République, le Premier ministre et le ministre de la Culture se sont défaussés de toute responsabilité sur un dossier jugé hors champ de l’intervention publique. Cette affaire-là était et devait rester celle de l’UNEDIC. L’État ne pouvant se mêler de tout, il convenait de faire confiance au dialogue social. Voilà synthétisées, sans caricaturer, les positions prises en haut lieu. Et il est difficile de croire qu’à ce niveau, le problème posé par le mouvement des intermittents n’ait pas été appréhendé dans toute sa complexité. Chacun savait très bien que la critique de cette réforme était fondée, et qu’un gros lièvre risquait d’être levé : qu’en serait-il de la politique culturelle de l’État avec les prochaines lois de décentralisation ? L’heure n’était donc plus à jouer les arbitres. À défaut, il fut proposé d’organiser des assises régionales et nationales de la Culture. Cette invitation au débat eût été recevable si le gouvernement avait témoigné d’une volonté de créer les conditions pour une véritable négociation. Il était en son pouvoir d’imposer le principe d’un moratoire pour la mise en application de la réforme. Le temps nécessaire à une concertation avec les représentants des professions concernées (dont aucun ne conteste qu’il faille réformer voire instituer un autre système) et à la préparation d’une loi d’orientation soumise aux élus de la nation.
C’est un autre choix qui a été fait. Ne nous y trompons pas, le calcul politique est justifié par l’ambition de transformer radicalement le rôle de l’Etat. Soucieux de satisfaire aux exigences pressantes du Medef, le gouvernement s’emploie à mettre en œuvre le grand dessein de « la refondation sociale » inspiré sinon imposé par le nouvel ordre économique mondial. Le ministère de la Culture doit y prendre sa part. Pour commencer, il réorganisera et simplifiera les grandes directions au niveau central (patrimoine, spectacle et divers) pour alléger en même temps l’administration déconcentrée en région (les DRAC). Ensuite, il se recentrera sur sa mission première : défense et illustration de l’excellence. Enfin, le moment venu, il adoptera une dénomination plus adéquate : ministère du Management culturel et des Commémorations nationales. Cette fiction polémique ne fait ici que souligner ce qui déjà s’entend ici ou là dans les propos tenus par des élus et certains fonctionnaires de l’administration de la culture. Les uns et les autres ne seraient pas fâchés d’en finir au plus vite avec cette pandémie du culturel imputée à Jack Lang. N’est-ce pas lui qui, non content d’avoir brouillé les frontières entre les disciplines, a dispersé les moyens du ministère vers l’éducation, la santé, le social, la politique de la ville, l’aménagement et le développement des territoires..? De la sorte, il a suscité des vocations artistiques douteuses comme en témoigne l’inflation ruineuse pour l’UNEDIC des prétendants à l’intermittence. CQFD.
Bien sûr, même si quelques-uns en rêvent, il ne s’agit pas de revenir à un ministère des Beaux-Arts. Le pouvoir a une conception plus moderne du changement : juste remettre un peu d’ordre, clarifier les priorités, rationaliser les choix budgétaires et gagner en efficacité ; promouvoir un management culturel à visage humain. La décentralisation devrait y aider. Le ministère se consacrera aux œuvres majeures, aux artistes emblématiques ou prometteurs et aux grands établissements qui, sous sa tutelle, concourront au rayonnement de la France. Pour le peuple, il organisera toutes les commémorations utiles à l’entretien d’une fierté nationale et néanmoins républicaine. Aux collectivités territoriales de se coltiner les artistes régionaux et les équipements de proximité. Notion commode que celle de la proximité. Elle nourrit l’espérance d’aller vers la démocratie locale pour dissimuler le déclin de la solidarité nationale et l’avènement d’un pouvoir public à responsabilité limitée. Mais je me laisse aller à noircir le tableau. Dans une démocratie, les changements prennent rarement une forme aussi grossière et brutale. C’est beaucoup plus nuancé et progressif. Les situations sont examinées au cas par cas. Comme pour les plans sociaux dans les restructurations d’entreprises. On a prévu des mesures compensatoires ainsi que des reconversions assorties de formations adaptées. Tout va bien, dormez tranquille.
Alors que faire ? Que faire pour ne pas en rester à cette impression de défaite, pour ne pas déprimer et abandonner le combat. Surtout nous dire, sans sous-estimer l’adversaire, que ce que nous avons produit comme témoignages, réflexions et propositions est loin d’être un échec. C’est un mouvement de pensée (d’émergence de nouvelles dispositions de la pensée) qui prend corps depuis quelques mois. Il nous faut l’outiller politiquement et continuer de l’alimenter par des échanges sur nos situations concrètes. Dans tous leurs aspects : artistique, institutionnel, financier, administratif. Dire ce que nous fabriquons, comment et pour qui. Afin de ne pas céder au sentiment de la faute d’exister. C’est vital. Et par tous les moyens, produisons de l’association. En croisant nos expériences, portons le débat dans les organisations syndicales et les partis politiques, sans craindre d’oser des concepts philosophiques. Parce que nous sommes aussi attaqués sur le terrain de la langue. Les notions de lien social et de solidarité, de dialogue et de concertation, de réforme et d’intérêt général ont été confisquées et vidées de leur sens pour servir une stratégie sécuritaire qui nous est présentée comme la suprême mission de l’Etat. Commencement de la terreur.
En ces temps électoraux, la question culturelle ne doit pas être absente. Il faut impérativement articuler cette question au projet de loi sur la décentralisation. Les Départements et les Régions ont à prendre position sur une nouvelle répartition des compétences qui ne dédouane pas l’Etat de ses responsabilités. Les politiques publiques de la culture sont à cet égard un bon exemple. Elles ne peuvent pas se définir exclusivement en termes budgétaires. Elles obligent à énoncer d’autres critères et à discuter du sens donné à l’investissement culturel pour soutenir la création, mieux diffuser les œuvres et accompagner les initiatives qui font entrer l’art dans la vie. Retour à notre question initiale, celle de l’être-en-commun par la médiation de la culture comme bien public. Et puisqu’il faut provisoirement conclure, cette inquiétude qui a creusé si profond en nous tous a eu le mérite de faire entrer davantage la société dans la chose artistique, de nous apprendre à nous compter pour résister à la douce barbarie du néolibéralisme, et, paradoxalement, à faire naître un mouvement pour la permanence culturelle. Revendiquer ce besoin de permanence est aussi indispensable que de poursuivre le travail critique sur la réforme de l’intermittence. Pour amener les collectivités publiques à prendre la mesure des moyens qui permettraient d’être à la hauteur de « l’exception culturelle ». Ce combat n’est pas réservé aux techniciens et aux artistes. Il est à partager avec tous ceux qui dans la société pressentent l’urgence de passer à une autre culture du politique.