Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°48 [avril 2004 - juin 2004]
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par La Rédaction
Imprimer l'articleLe passant a aimé
Jean-Marc Berlière
Le crime de Soleilland.
Les journalistes et l’assassin.
Paris, Tallandier, 2003, 240 p.
La peine de mort fut abolie, en France, par la commission du budget, le 5 juillet 1906 : d’un trait, elle avait effacé de la loi de finances les gages du bourreau et les frais de guillotine. La discussion parlementaire sur la peine capitale ne laissait alors aucun doute quant à son issue. La peine de mort fut pourtant rétablie, mais par voie de presse. Le 8 décembre 1908, les députés avaient cédé aux exhortations des journaux à grands tirages, et finalement refusé l’abolition. Aucun changement de majorité, pourtant. Mais un viol et un crime odieux, celui d’Albert Soleilland, commis en janvier 1907, sur la jeune fille de onze ans dont il avait la garde. L’impressionnant petit ouvrage de J.-M. Berlière restitue au plus près des sources la place de cet événement tragique au milieu d’une sourde bataille, dont l’opinion était l’enjeu, entre députés ou président de la République, abolitionnistes, et journaux à grands tirages. Les uns pensaient gouverner par le Suffrage, mais les autres dressaient, par la massification de la diffusion, l’opinion en tribunal. Le récit de cet événement oublié, le crime de Soleilland, montre de manière spectaculaire une société se saisir du crime en politique. Et les archives émouvantes, reproduites in extenso, comme le rapport de police sur Soleilland, les lettres de soutien à sa femme ou aux victimes par les citoyens-lecteurs de journaux, les discours de Barrès ou Jaurès, ont ce cachet d’hier, mais semblent venir d’aujourd’hui.
F.J.
Lionel Bourg
La faute à Ferré
L’Escampette, 2003, 36 p.
« Il faisait sombre dans la salle. Le rideau s’ouvrit. Le type debout chantait. J’avais seize ans, quinze ou dix-sept. Je n’en suis jamais revenu. » La scène se passe à Saint-Étienne, au milieu des années 60. Lionel Bourg, lycéen, tuait un incommensurable ennui « en gueulant comme un putois » les vers de Cendrars, de Villon et d’Apollinaire. « Rien ne m’arrachait à moi. Au deuil. A la mélancolie. Au mutisme. » Quand, dans la salle des Mutilés du Travail, débarque ce type aux yeux de chien battu, éructant ces mots qui habillent la révolte, font décoller la souffrance et offrent des frères en désespoir. Ce type qui hurle « écoute-moi Lazare » et fait se dresser les moribonds. Lève toi et marche, crie, hurle, bats-toi, aime ! « La vie est là avec ses poumons de flanelle » dit Léo.
« C’est ta faute, Léo, c’est ta faute. Et comment prétendre n’en avoir été bouleversé, il y avait ta voix, c’était trop tard, elle avait sorti les couteaux. » Un beau chemin de traverse s’est alors offert aux pas de Bourg, le marcheur, l’arpenteur de colline et de mots. Léo lui a ouvert la boîte de pandore de cette « sombre innocence » : l’écriture qui ne l’a plus lâché, maîtresse exigeante et généreuse. C’est « ta faute si l’on n’est pas sérieux quand on a cinquante ans et pas mal de poussières, ta faute si tout ridés, fatigués, nous tenant par la main pour ne pas culbuter, nous sommes dans les ascenseurs ces pâles camarades, sans fric, sans papier, sans bande à cul ni notaire, qui tirent une carte alors qu’ils savent qu’ils sont toujours perdants, ta faute, si nous rêvons enfin et si, dans la dimension X, les portes de secours que tu laissas battantes s’ouvrent à jamais maintenant sur des nuées d’étoiles… ». Adieu Léo.
Merci Lionel.
J.-F.M.
Patrick Espagnet s’est tiré, bordel !
Crématorium de Mérignac, un lundi matin pourri de janvier. On est là, nombreux, blafards, à embrasser des copains pas vus depuis longtemps, à se saluer, discrètement, d’un signe de tête. Putain ! Que l’on préférerait être ailleurs ! On est pourtant venu à cette cérémonie religieuse qui l’aurait bien fait ricaner, lui, à la messe, y’a que le vin qui l’aurait tenté Dans ce décor qui ne ressemble à rien, normal, la mort ça ressemble à rien, on se demande ce qu’il aurait pu sentir, humer, écrire. Pas la peine, aujourd’hui, c’est lui qui part en fumée et nous qui peinons autour de quelques mots bien torchés par un confrère.
Il s’est tiré avec son mal de vivre, entre sa tendresse pour les ami(e)s aussi massive que cette détresse qui le jetait dans une ivresse devenue sa compagne et son destin. Bordel ! Il venait de publier coup sur coup 4 bouquins qui résument dorénavant tout son panthéon, les femmes1, les toros, le rugby, les bistrots. Des poèmes et de magnifiques textes courts qui seuls nous relient à lui.
J.-F. M.
(1) Dernier en date : Madones, poèmes accompagnant des photos de Frédéric Desmesure, chez Atlantica. Les autres ont été chroniqués ici même.
Jean-Louis Lauqué
La Loi et l’ordre
Paris, L’Harmattan, Collection « Nouvelles Etudes Anthropolo-giques », 2003, 231 p.
L’auteur est psychologue-clinicien et exerce dans une association de Prévention Spécialisée dont il a été le co-fondateur en 1974. L’ouvrage ne transige pas. Il est fait d’un seul bois. C’est la pensée de Pierre Legendre qui est ici rappelée dans un texte précis qui nous dit pourquoi l’idéologie et les pratiques sécuritaires nous mettent en danger. L’auteur explique de façon claire que la logique de la loi n’est pas celle de l’ordre, et discute à partir de nombreux exemples des enjeux de fond de la prévention spécialisée. L’ouvrage critique l’idéal de « proximité » qui justifie les surveillances et les contrôles des classes dites « dangereuses ». Il rappelle ce qu’il en est d’une « éthique du désir » sur laquelle s’appuie une prévention non répressive.
P.B.
Keith Dixon
Frédéric Lebaron
Abélard
Trois ouvrages ont paru en décembre 2003 chez un nouvel éditeur, les éditions du Croquant (www.editions-croquant.org ou dans toutes les bonnes librairies), dans une collection animée par l’association « Raisons d’agir ». Savoir/agir, telle est donc la bannière de ladite collection ; savoir pour agir ou savoir agir, les deux dimensions de la réflexion et de l’action ne pouvant être, au final, dissociées.
L’ouvrage signé aujourd’hui par Keith Dixon, Professeur de Civilisation Britannique à l’Université de Lyon 2, est d’une certaine manière le troisième panneau du triptyque consacré à la diffusion de l’idéologie néolibérale dans la « vieille Europe ». « Les Evangélistes du marché » (Seuil/Raisons d’Agir 1998) mettait en lumière l’action des « think tanks » dans l’élaboration du prêt-à-penser néolibéral, sous Thatcher, puis dans sa diffusion, bien au-delà des milieux conservateurs, au cœur même du « nouveau » parti travailliste anglais. Cette filiation entre Margaret Thatcher et Anthony Blair faisait d’ailleurs l’objet du deuxième opus, « Un digne héritier », paru en 2000, toujours dans la collection Raisons d’agir du Seuil. Dans cette troisième livraison La Mule de Troie. Blair, l’Europe et le nouvel ordre américain Keith Dixon montre comment désormais ce néolibéralisme anglo-américain de « deuxième génération », adaptation du thatchéro-reaganisme, s’exporte sur le continent (européen), et en particulier en France, sans user d’ailleurs de savants stratagèmes : d’où l’image retenue, d’une Mule, plutôt que d’un cheval, de Troie, ce qui n’enlève rien au danger de l’offensive, la Mule continuant à avancer, creusant chaque jour un peu plus le sillon de cette « troisième voie » libérale, triste utopie pour ce nouveau siècle.
Frédéric Lebaron, sociologue à l’Université d’Amiens, dans Le Savant, le politique et la mondialisation, montre que la mondialisation, au-delà de ses formes et de ses effets économiques, est aussi une rhétorique, permettant de convertir les populations au dogme économique libéral, en le naturalisant. Une rhétorique donc, portée par des hommes politiques, mais aussi par des experts auto-consacrés, économistes, journalistes, journalistes économiques, heureusement contrée par le mouvement « altermondialiste ».
L’emprise du néolibéralisme s’étend donc, bien qu’elle suscite des résistances, et gagne même des espaces qui échappaient au libéralisme traditionnel : Universitas calamitatum ! Abélard, figure intellectuelle du Moyen Age, et désormais pseudonyme d’un collectif d’universitaires, se dresse depuis décembre 2003 contre ces modernisateurs porteurs d’un « plan d’ajustement structurel » pour les Universités, réforme qui, loin d’apporter un quelconque progrès dans la démocratisation du système, vise avant tout sa transformation marchande. Dans Universitas calamitatum : Le Livre noir des réformes universitaires, Abélard démonte ainsi les justifications avancées par les modernisateurs, en termes d’ouverture internationale, de pédagogie et de professionnalisation, dévoilant alors leurs intérêts propres dans le processus en cours qui voit les universités se rapprocher, elles aussi, du modèle
de l’entreprise.
Anna Traney
Revue Urbanisme
N°331, juillet-août 2003, Dossier « La fête en ville ».
A regarder : les très belles photographies de Patrick Tourneboeuf. A lire : le texte magnifique qui les accompagne de Thierry Paquot (maître d’œuvre de cette revue faite d’explorations et d’analyses de l’urbain comme façonnage du monde où nous vivons). Le dossier consacré à la fête en ville montre les multiples facettes d’activités programmées ou « spontanées », braderies, gay-pride ou festivals, mise en images, en lumières, et mises en scènes expriment les soucis de montrer qu’on s’amuse, qu’on en a le droit ou qu’il le faut. La fête, on le comprend bien à lire en creux l’ensemble des articles, a toujours une part d’ambiguïté : désordre ordonné, liesse contrôlée, célébration de l’autorité qui en effet autorise le « débordement ». Mais aussi, au-delà d’un temps particulier où les contraintes seraient mises entre parenthèses, un moment d’existence du quotidien. Non pas une évasion, mais une pratique de l’urbain. L’excellent texte d’Aurélie Chêne « Parcours de teufeurs » prend alors un sens particulier. La fête en ville, ce ne sont pas que les flonflons ou les pratiques para-sportives de la moyenne bourgeoisie sur roulettes. Il n’y a pas que les rollers dans la vie. Il y a surtout, dans certaines pratiques, le sens que prend la passion d’exister, la volonté de vivre.
P.B.
Le crime de Soleilland.
Les journalistes et l’assassin.
Paris, Tallandier, 2003, 240 p.
La peine de mort fut abolie, en France, par la commission du budget, le 5 juillet 1906 : d’un trait, elle avait effacé de la loi de finances les gages du bourreau et les frais de guillotine. La discussion parlementaire sur la peine capitale ne laissait alors aucun doute quant à son issue. La peine de mort fut pourtant rétablie, mais par voie de presse. Le 8 décembre 1908, les députés avaient cédé aux exhortations des journaux à grands tirages, et finalement refusé l’abolition. Aucun changement de majorité, pourtant. Mais un viol et un crime odieux, celui d’Albert Soleilland, commis en janvier 1907, sur la jeune fille de onze ans dont il avait la garde. L’impressionnant petit ouvrage de J.-M. Berlière restitue au plus près des sources la place de cet événement tragique au milieu d’une sourde bataille, dont l’opinion était l’enjeu, entre députés ou président de la République, abolitionnistes, et journaux à grands tirages. Les uns pensaient gouverner par le Suffrage, mais les autres dressaient, par la massification de la diffusion, l’opinion en tribunal. Le récit de cet événement oublié, le crime de Soleilland, montre de manière spectaculaire une société se saisir du crime en politique. Et les archives émouvantes, reproduites in extenso, comme le rapport de police sur Soleilland, les lettres de soutien à sa femme ou aux victimes par les citoyens-lecteurs de journaux, les discours de Barrès ou Jaurès, ont ce cachet d’hier, mais semblent venir d’aujourd’hui.
F.J.
Lionel Bourg
La faute à Ferré
L’Escampette, 2003, 36 p.
« Il faisait sombre dans la salle. Le rideau s’ouvrit. Le type debout chantait. J’avais seize ans, quinze ou dix-sept. Je n’en suis jamais revenu. » La scène se passe à Saint-Étienne, au milieu des années 60. Lionel Bourg, lycéen, tuait un incommensurable ennui « en gueulant comme un putois » les vers de Cendrars, de Villon et d’Apollinaire. « Rien ne m’arrachait à moi. Au deuil. A la mélancolie. Au mutisme. » Quand, dans la salle des Mutilés du Travail, débarque ce type aux yeux de chien battu, éructant ces mots qui habillent la révolte, font décoller la souffrance et offrent des frères en désespoir. Ce type qui hurle « écoute-moi Lazare » et fait se dresser les moribonds. Lève toi et marche, crie, hurle, bats-toi, aime ! « La vie est là avec ses poumons de flanelle » dit Léo.
« C’est ta faute, Léo, c’est ta faute. Et comment prétendre n’en avoir été bouleversé, il y avait ta voix, c’était trop tard, elle avait sorti les couteaux. » Un beau chemin de traverse s’est alors offert aux pas de Bourg, le marcheur, l’arpenteur de colline et de mots. Léo lui a ouvert la boîte de pandore de cette « sombre innocence » : l’écriture qui ne l’a plus lâché, maîtresse exigeante et généreuse. C’est « ta faute si l’on n’est pas sérieux quand on a cinquante ans et pas mal de poussières, ta faute si tout ridés, fatigués, nous tenant par la main pour ne pas culbuter, nous sommes dans les ascenseurs ces pâles camarades, sans fric, sans papier, sans bande à cul ni notaire, qui tirent une carte alors qu’ils savent qu’ils sont toujours perdants, ta faute, si nous rêvons enfin et si, dans la dimension X, les portes de secours que tu laissas battantes s’ouvrent à jamais maintenant sur des nuées d’étoiles… ». Adieu Léo.
Merci Lionel.
J.-F.M.
Patrick Espagnet s’est tiré, bordel !
Crématorium de Mérignac, un lundi matin pourri de janvier. On est là, nombreux, blafards, à embrasser des copains pas vus depuis longtemps, à se saluer, discrètement, d’un signe de tête. Putain ! Que l’on préférerait être ailleurs ! On est pourtant venu à cette cérémonie religieuse qui l’aurait bien fait ricaner, lui, à la messe, y’a que le vin qui l’aurait tenté Dans ce décor qui ne ressemble à rien, normal, la mort ça ressemble à rien, on se demande ce qu’il aurait pu sentir, humer, écrire. Pas la peine, aujourd’hui, c’est lui qui part en fumée et nous qui peinons autour de quelques mots bien torchés par un confrère.
Il s’est tiré avec son mal de vivre, entre sa tendresse pour les ami(e)s aussi massive que cette détresse qui le jetait dans une ivresse devenue sa compagne et son destin. Bordel ! Il venait de publier coup sur coup 4 bouquins qui résument dorénavant tout son panthéon, les femmes1, les toros, le rugby, les bistrots. Des poèmes et de magnifiques textes courts qui seuls nous relient à lui.
J.-F. M.
(1) Dernier en date : Madones, poèmes accompagnant des photos de Frédéric Desmesure, chez Atlantica. Les autres ont été chroniqués ici même.
Jean-Louis Lauqué
La Loi et l’ordre
Paris, L’Harmattan, Collection « Nouvelles Etudes Anthropolo-giques », 2003, 231 p.
L’auteur est psychologue-clinicien et exerce dans une association de Prévention Spécialisée dont il a été le co-fondateur en 1974. L’ouvrage ne transige pas. Il est fait d’un seul bois. C’est la pensée de Pierre Legendre qui est ici rappelée dans un texte précis qui nous dit pourquoi l’idéologie et les pratiques sécuritaires nous mettent en danger. L’auteur explique de façon claire que la logique de la loi n’est pas celle de l’ordre, et discute à partir de nombreux exemples des enjeux de fond de la prévention spécialisée. L’ouvrage critique l’idéal de « proximité » qui justifie les surveillances et les contrôles des classes dites « dangereuses ». Il rappelle ce qu’il en est d’une « éthique du désir » sur laquelle s’appuie une prévention non répressive.
P.B.
Keith Dixon
Frédéric Lebaron
Abélard
Trois ouvrages ont paru en décembre 2003 chez un nouvel éditeur, les éditions du Croquant (www.editions-croquant.org ou dans toutes les bonnes librairies), dans une collection animée par l’association « Raisons d’agir ». Savoir/agir, telle est donc la bannière de ladite collection ; savoir pour agir ou savoir agir, les deux dimensions de la réflexion et de l’action ne pouvant être, au final, dissociées.
L’ouvrage signé aujourd’hui par Keith Dixon, Professeur de Civilisation Britannique à l’Université de Lyon 2, est d’une certaine manière le troisième panneau du triptyque consacré à la diffusion de l’idéologie néolibérale dans la « vieille Europe ». « Les Evangélistes du marché » (Seuil/Raisons d’Agir 1998) mettait en lumière l’action des « think tanks » dans l’élaboration du prêt-à-penser néolibéral, sous Thatcher, puis dans sa diffusion, bien au-delà des milieux conservateurs, au cœur même du « nouveau » parti travailliste anglais. Cette filiation entre Margaret Thatcher et Anthony Blair faisait d’ailleurs l’objet du deuxième opus, « Un digne héritier », paru en 2000, toujours dans la collection Raisons d’agir du Seuil. Dans cette troisième livraison La Mule de Troie. Blair, l’Europe et le nouvel ordre américain Keith Dixon montre comment désormais ce néolibéralisme anglo-américain de « deuxième génération », adaptation du thatchéro-reaganisme, s’exporte sur le continent (européen), et en particulier en France, sans user d’ailleurs de savants stratagèmes : d’où l’image retenue, d’une Mule, plutôt que d’un cheval, de Troie, ce qui n’enlève rien au danger de l’offensive, la Mule continuant à avancer, creusant chaque jour un peu plus le sillon de cette « troisième voie » libérale, triste utopie pour ce nouveau siècle.
Frédéric Lebaron, sociologue à l’Université d’Amiens, dans Le Savant, le politique et la mondialisation, montre que la mondialisation, au-delà de ses formes et de ses effets économiques, est aussi une rhétorique, permettant de convertir les populations au dogme économique libéral, en le naturalisant. Une rhétorique donc, portée par des hommes politiques, mais aussi par des experts auto-consacrés, économistes, journalistes, journalistes économiques, heureusement contrée par le mouvement « altermondialiste ».
L’emprise du néolibéralisme s’étend donc, bien qu’elle suscite des résistances, et gagne même des espaces qui échappaient au libéralisme traditionnel : Universitas calamitatum ! Abélard, figure intellectuelle du Moyen Age, et désormais pseudonyme d’un collectif d’universitaires, se dresse depuis décembre 2003 contre ces modernisateurs porteurs d’un « plan d’ajustement structurel » pour les Universités, réforme qui, loin d’apporter un quelconque progrès dans la démocratisation du système, vise avant tout sa transformation marchande. Dans Universitas calamitatum : Le Livre noir des réformes universitaires, Abélard démonte ainsi les justifications avancées par les modernisateurs, en termes d’ouverture internationale, de pédagogie et de professionnalisation, dévoilant alors leurs intérêts propres dans le processus en cours qui voit les universités se rapprocher, elles aussi, du modèle
de l’entreprise.
Anna Traney
Revue Urbanisme
N°331, juillet-août 2003, Dossier « La fête en ville ».
A regarder : les très belles photographies de Patrick Tourneboeuf. A lire : le texte magnifique qui les accompagne de Thierry Paquot (maître d’œuvre de cette revue faite d’explorations et d’analyses de l’urbain comme façonnage du monde où nous vivons). Le dossier consacré à la fête en ville montre les multiples facettes d’activités programmées ou « spontanées », braderies, gay-pride ou festivals, mise en images, en lumières, et mises en scènes expriment les soucis de montrer qu’on s’amuse, qu’on en a le droit ou qu’il le faut. La fête, on le comprend bien à lire en creux l’ensemble des articles, a toujours une part d’ambiguïté : désordre ordonné, liesse contrôlée, célébration de l’autorité qui en effet autorise le « débordement ». Mais aussi, au-delà d’un temps particulier où les contraintes seraient mises entre parenthèses, un moment d’existence du quotidien. Non pas une évasion, mais une pratique de l’urbain. L’excellent texte d’Aurélie Chêne « Parcours de teufeurs » prend alors un sens particulier. La fête en ville, ce ne sont pas que les flonflons ou les pratiques para-sportives de la moyenne bourgeoisie sur roulettes. Il n’y a pas que les rollers dans la vie. Il y a surtout, dans certaines pratiques, le sens que prend la passion d’exister, la volonté de vivre.
P.B.