Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°48 [avril 2004 - juin 2004]
© Passant n°48 [avril 2004 - juin 2004]
par Lionel Larré
Imprimer l'articleL’écriture comme acte de résistance
Parmi les « mécanismes de contrôle »1 que les classes dominantes et dirigeantes imposent à l’ensemble d’une société, il en est qui se jouent dans le langage, comme l’ont déjà très bien montré philosophes et sociologues2. Il suffit de s’arrêter quelques minutes sur la facilité avec laquelle une expression comme « la France d’en bas » s’est fait une place dans la langue quotidienne, en moins de deux ans, pour se rendre compte de la puissance investie dans le langage, une puissance que savent manier ceux qui cherchent à imposer une autorité sur ceux qui s’en accommodent bon gré mal gré. Avec l’aide complaisante et efficace des grands médias, l’expression « la France d’en bas » est à ce point en place dans le langage que même les premiers concernés, ceux désignés par cette locution dégradante, s’en font les relais à leur tour, jusqu’à s’en faire une étiquette, comme s’il n’était nul besoin de la remettre en question. D’accepter une étiquette imposée à accepter une condition imposée, il n’y a souvent qu’un pas, dont le franchissement peut être évité par un acte qui se veut action résistante.
Lorsque les populations dites « des marges » – des populations qui recoupent très souvent celles dites « d’en bas » – se mettent à écrire, elles produisent des actes de résistance, dans une écriture politique, c’est-à-dire une écriture qui, au moins, examine les relations de pouvoirs et de contrôles, de contre-pouvoirs et de résistances, qui se jouent dans toute société, et au plus, les remet tout à fait en question. Pourtant, lorsque les marges écrivent, elles ne cherchent pas forcément à se substituer au centre. Elles cherchent le plus souvent à se rendre simplement visibles du segment de la société qui le représente. Elles résistent à la disparition totale de leur monde, disparition que le centre veut imposer au bénéfice de l’avènement d’un autre monde. L’écriture amérindienne aux Etats-Unis est le paradigme d’une action littéraire qui résiste aux pouvoirs investis dans le langage par le colonisateur euro-américain, une action qui se veut réaction à des définitions qui furent imposées tant et si bien que certains des clichés dont les Indiens furent affublés au début de la colonisation de leurs territoires perdurent encore aujourd’hui.
Lorsque Européens et Amérindiens se rencontrèrent, le seul moyen d’appréhender cet événement exceptionnel fut d’interpréter les signes qui s’offraient à la perception des uns et des autres. D’abord des signes physiques, et des comportements, que l’Autre interprétait avec plus ou moins d’exactitude et de bonne volonté, puis des langues, beaucoup plus difficiles à déchiffrer. Les deux groupes, pourtant, se retrouvaient soudain contraints de partager un même espace géographique, et se voyaient par conséquent dans l’obligation d’interagir, notamment de communiquer, chose ardue si les individus obéissent à deux espaces sémiotiques, deux systèmes de signes – et d’interprétation de ces derniers – très différents l’un de l’autre. Il a donc fallu qu’un langage commun s’impose entre les deux groupes. Lorsque c’est le langage du nouvel arrivant qui finit par faire autorité, nous assistons à un des gestes colonisateurs les plus efficaces.
Les débuts du long procédé d’imposition de définitions remontent au premier des colons arrivés dans le « Nouveau Monde ». Ainsi Christophe Colomb qui, tout en sachant que les peuples et les lieux visités étaient déjà nommés par les autochtones, les renommait systématiquement, se les appropriant ainsi – au nom des autorités pour qui il était en mission, Dieu et la reine d’Espagne – et affirmant de fait sa domination et celle d’un monde qui imposait ainsi sa matrice sémiotique sur celle qui avait pourtant cours depuis des millénaires avant cette rencontre extraordinaire. Les exemples de réticence au signe de l’Autre (le signe indigène) et d’imposition du signe colonisateur sont nombreux dans les écrits mêmes de Colomb : « A la première [île] que j’ai rencontrée, j’ai donné le nom de San Salvador, en hommage à Sa Haute Majesté qui merveilleusement m’a donné tout ceci. Les Indiens appellent cette île Guanahani. J’ai nommé la deuxième île Santa Maria de Concepcion, la troisième Fernandina, la quatrième Isabela, la cinquième Juana, et ainsi à chacune d’elle j’ai donné un nom nouveau »3. De ces actes de dénominations et de renominations, Gerald Vizenor, auteur anishinaabe, dirait qu’ils sont « despotiques »4. Ils signalent la non-reconnaissance de la viabilité du signe préexistant à l’arrivée de l’Homme Européen. Todorov montre très bien les mécanismes qui consistent à ne pas reconnaître le signe de l’Autre afin de mieux le soumettre. Si l’Autre, après avoir fait montre, au premier contact, de signes physiques différents – codes vestimentaires et couleur de peau – ne produit pas un système de signes langagiers cohérent à l’oreille de l’Européen lorsque cherche à s’établir un deuxième type de contact plus élaboré – la communication verbale – alors la réaction spontanée est de l’imaginer inférieur. S’il est un homme, c’est un barbare ; s’il ne parle pas notre langue, c’est qu’il n’en parle aucune, ou qu’il ne sait pas parler.
Très rapidement, on imposa pour désigner les indigènes d’Amérique les définitions de « sauvages païens », de « barbares sanguinaires » et tout simplement d’êtres « incultes », définitions d’autant plus définitives qu’elles étaient appliquées par un langage qui, de toute façon, s’imposait comme le seul à faire autorité dans cet espace à conquérir et à redéfinir selon ce que les colonisateurs avaient cœur d’en faire. Dans ce monde reconfiguré, notamment dans et par le langage, il n’y avait guère de place pour l’Indien, que l’on chercha donc à effacer. Non par un génocide systématique, certes, mais tout du moins par une métamorphose qui se voulait radicale puisqu’elle consistait à « tuer l’Indien à l’intérieur pour sauver l’homme »5, c’est-à-dire faire du sauvage un propriétaire terrien, du païen un chrétien et de l’inculte, un être éduqué. En un mot, comme le voulait la terminologie de l’époque, il fallait transformer le « barbare » en un être « civilisé ».
Les Amérindiens qui trouvaient cette métamorphose, et les méthodes utilisées pour la mettre en œuvre, discutables, se sont dans un premier temps trouvés confrontés à la fois au besoin et à l’impossibilité de faire entendre leur voix. La rencontre de l’Euro-Américain et de l’Amérindien fut en effet la confrontation de deux espaces sémiotiques radicalement différents, dont les signes en circulation avaient du mal à se rencontrer. L’autobiographie de Sarah Winnemucca Hopkins illustre la situation inextricable dans laquelle se retrouvaient alors les Indiens, notamment ceux qui cherchaient à communiquer avec les colons. Lorsque le Chef Winnemucca accueille ses « frères blancs » à bras ouverts – signe physique qu’il exécute réellement pour indiquer qu’il vient à leur rencontre sans armes – les intrus ne savent pas interpréter ce signe (ou ne cherchent pas à le faire) et manifestent immédiatement méfiance et violence. La position de Sarah Winnemucca elle-même fut des plus inconfortables. Eduquée à l’école des Blancs, où l’envoya son grand-père, elle devint interprète. Cet emploi la coinça entre deux systèmes de signification dont les modes de fonctionnement n’auraient pu être plus incompatibles. En effet, en plus de la barrière des langues, c’est le mot parlé qui faisait autorité chez les Indiens, le mot parlé qui faisait réalité, alors qu’il n’avait aucune force, aux yeux du colonisateur, face au mot écrit. Bien des tromperies, des promesses non tenues, des traités bafoués furent les conséquences de cette différence de statut entre l’écrit et l’oral. Sarah, comme bien d’autres interprètes amérindiens, fut instrumentalisée par les autorités militaires et gouvernementales, qui lui faisaient traduire des promesses orales qui ne reflétaient en rien ce qu’exprimaient les contrats écrits. A cause de la forte signifiance que ses congénères accordaient au mot parlé, elle fut considérée responsable de ses paroles et, par conséquent, accusée par les siens de leur mentir et de les trahir alors qu’elle ne faisait que traduire les mensonges des Blancs.
C’est en quelque sorte deux types de grilles de lecture et de compréhension du monde différents qui se retrouvèrent face à face, soudain, sur l’ensemble du continent américain. Dans la nouvelle grille de lecture venue d’Europe, la véritable justice et l’inconditionnelle liberté individuelle dont puisse jamais jouir l’être humain passait par la propriété privée ; la seule religion qui permît un authentique lien au divin était le christianisme ; le véritable savoir était le savoir scientifique (le reste n’était que superstition). S’il est arrivé que quelques chefs indiens parmi les plus rebelles et les plus guerriers ont appelé de leurs prières le départ, voire l’éradication, de l’Homme Blanc, la plupart du temps, ils ne demandaient que la possibilité de lire le monde selon leur propre interprétation. Pour beaucoup, partir en quête du divin dans la solitude des hautes montagnes et des profondes forêts n’était pas incompatible avec la co-existence du christianisme. Pour les Indiens, deux mondes pouvaient tout à fait co-habiter. Pour les Euro-Américains, c’était impensable, déjà.
Pourtant, pour faire comprendre cela à l’Homme Blanc, il a fallu que l’Indien s’approprie le langage de ce dernier, puisque celui-ci ne voulait entendre que celui-là. Il paraît donc facile à certains de voir dans cette appropriation une soumission de l’Indien aux règles de représentation du monde et de communication, en anglais et à l’écrit, de l’Homme Blanc. Il s’est agi en fait d’une adaptation vitale aux armes de l’ennemi. Si ce dernier imposait son pouvoir et son autorité dans un langage, c’était dans ce même langage qu’il fallait créer contre-pouvoirs et résistances. Pour affronter l’ennemi, il fallait le rencontrer sur le même champ de bataille et avec les mêmes armes. Si bien qu’aujourd’hui, lorsque l’on s’étonne encore qu’il existe une littérature écrite par des Indiens, ils répondent qu’il va bien falloir comprendre un jour que l’anglais est la langue de la très grande majorité des Indiens aux Etats-Unis. C’est ce que m’expliquait Craig Womack, auteur et enseignant à l’université d’Oklahoma, qui réaffirme l’évidence que l’anglais est sa langue maternelle, comme elle l’est de nombreux autres Amérindiens, qui n’en parlent aucune autre.
Dès le XVIIIe siècle, les Indiens se mettent donc à produire du discours écrit en anglais. Certains de ces écrits sont des manifestations bio-historiques, dans le sens où ils sont des autobiographies d’individus dont les corps mêmes furent impliqués dans les mouvements incontrôlés de l’Histoire, une Histoire qu’il faut raconter sous un angle différent de la version colonisatrice qui fait autorité, une Histoire qu’il faut raconter depuis le point de vue de ceux que l’on ne veut pas écouter, et qui se trouvent ainsi obligés d’écrire. Ainsi, Black Hawk, grand guerrier de la tribu des Sacs et Fox, raconte les raisons qui le poussèrent à prendre les armes contre l’Homme Blanc ; Charles Alexander Eastman, auteur sioux, raconte le massacre de Wounded Knee, dont il fut un témoin, et Sarah Winnemucca Hopkins raconte les nombreuses déportations dont sa tribu, les Paiutes, fut l’objet. Pour ces auteurs, l’action ne se réduit pas à l’écriture. Celle-ci n’est que l’aboutissement d’une résistance physique qu’ils menèrent toute leur vie, que ce soit par les armes (Black Hawk) ou par l’action militante et lobbyiste (Eastman et Winnemucca). L’écriture est plutôt le dernier recours, celui qui permet de toucher le plus grand public possible, pour répandre un message de façon plus efficace.
Un des premiers objectifs de l’écriture amérindienne est donc de corriger les préjugés véhiculés dans le discours colonisateur, le seul en circulation avant que des individus indiens se mettent à produire le leur. Ainsi, Charles Eastman écrit pour affirmer que le massacre de Wounded Knee ne fut pas la conséquence d’une « révolte indienne », et que les problèmes venaient de « politiciens malhonnêtes qui, par l’intermédiaire de leurs agents, volèrent les Indiens, puis les maltraitèrent, et enfin, dans un moment de panique, firent appel aux troupes pour les supprimer »6 Dans un tel contexte, l’écriture est politique, dans le sens où les auteurs issus de minorités ethniques écrasées par une puissance coloniale endossent le rôle de porte-parole des leurs. Leurs ouvrages, qu’ils insèrent dans le flot de discours produit par la classe dominante et colonisatrice, se font les échos des souffrances de leurs peuples, de leurs revendications, et des griefs qu’ils nourrissent contre l’Homme Blanc.
Un autre objectif est d’opposer aux représentations que l’Homme Blanc produit de l’Indien un autre type de représentations, celles de l’Homme Blanc produites par l’Indien. Chez Eastman, par exemple, le soldat blanc est vu comme un être peureux qui ne se bat jamais pour sa gloire individuelle, comme le fait le guerrier sioux, mais seulement parce qu’il obéit aux ordres d’un chef, qui dirige une masse militaire. Dans certaines tribus, on craignait le cannibalisme des Blancs. Dans les années 1840, les membres de l’expédition Donner, qui cherchaient à rejoindre la Californie à travers les Rocheuses, furent piégés par l’hiver et les survivants furent contraints de se nourrir des cadavres de leurs compagnons. C’est lors de la même décennie que les Paiutes, qui occupaient les territoires traversés par l’expédition, eurent leurs premiers contacts avec les Blancs, et l’aventure des malheureux aventuriers nourrit l’imaginaire des Indiens. Dans un renversement ironique, Sarah Winnemucca évoque les histoires que les parents paiutes racontaient à leurs enfants pour qu’ils se tiennent sages et à distance des hommes blancs : « Il y avait une histoire affreuse que l’on racontait aux enfants. Nos mères nous racontaient que les Blancs tuaient tout le monde et mangeaient leurs victimes. C’est pourquoi nous avions très peur d’eux »7. L’anthropophagie devint donc une caractéristique de l’Homme Blanc aux yeux de certains Indiens. Associée à l’horreur qu’inspiraient la pâleur de leur peau et la pilosité de leur visage, les hommes blancs étaient vite relégués au rang de bêtes immondes dans l’esprit de ceux qui les rencontraient pour la première fois.
Tous les auteurs amérindiens du XIXe siècle rendent compte de ces représentations dans leurs écrits, et racontent également les actes barbares perpétrés par les colons, notamment les violences sexuelles que les hommes blancs faisaient subir aux femmes indiennes. L’écrivain indien tend ainsi un miroir à l’Homme Blanc, qui est son lecteur, et lui renvoie les procédés de déshumanisation qu’il affectionne tant.
C’est ainsi que le contenu des premiers écrits indiens n’est jamais un aveu de totale soumission. Ils sont surtout, enfin, des affirmations d’identités qui ne veulent pas disparaître sous la chape sémiotique qu’est la représentation du monde euro-américaine. Il fallait s’emparer des outils de représentation qui faisaient autorité dans le monde euro-américain afin de proposer ses propres représentations de soi, ne pas laisser l’Homme Blanc représenter l’Indien comme il l’entendait. Comme le dit un personnage de Salman Rushdie – issu d’une autre situation post-coloniale – pour expliquer la métamorphose monstrueuse qu’il est en train de subir, « Ils nous décrivent. C’est tout. Ils ont le pouvoir de description, et nous succombons aux images qu’ils élaborent »8.
Ainsi, à l’image des Amérindiens, s’emparer du pouvoir de description est un acte de survie pour des individus dont les cultures et les identités sont menacées. S’emparer du pouvoir de description est le geste qui permet de ne pas accepter sans les remettre en question des définitions imposées par les dominants qui maintiennent les dominés dans leur condition. S’emparer du pouvoir de description, c’est insinuer d’autres définitions dans la circulation des signes qui composent la grille de lecture du monde dominante. S’emparer des outils de signification dominants ne revient pas systématiquement à se soumettre à ses règles. C’est peut-être également un moyen de les subvertir, d’insuffler du nouveau signifié dans le signifiant dominant. C’est ce que veut dire l’auteur Sherman Alexie, lorsqu’il répond à une spectatrice euro-américaine qui lui demande pourquoi il insiste autant pour se faire appeler Indian, qui « est tellement péjoratif », au lieu de Native (terme politiquement correct pour désigner les Indiens aux Etats-Unis, en mettant l’accent sur leur préséance sur ce territoire) : « Ecoutez, ce mot nous appartient maintenant. Nous sommes Indiens. Ca n’a rien à voir avec les Indiens d’Inde. Nous ne sommes pas Amérindiens. Nous sommes Indiens […]. Le mot est à nous. Il nous appartient et nous ne le lâcherons pas ». L’action la plus efficace n’est pas d’inventer un nouveau terme qui du même coup vouerait à l’oubli les erreurs primordiales de l’Homme Blanc lorsqu’il imposa le terme
de Indian à l’indigène d’Amérique, et les connotations négatives dont il est chargé. Remplacer ce terme par un autre reviendrait à oublier combien de racisme il a véhiculé pendant longtemps. Du temps de la conquête de l’ouest, ce vocable faisait automatiquement référence à l’être sanguinaire et inculte qui hantait l’imagination des pionniers. L’action efficace est d’en subvertir le sens, garder le signifiant comme un stigmate de la colonisation oppressive, mais y insuffler un autre signifié, une autre définition à laquelle l’Indien ne succomberait plus puisqu’il en aurait la maîtrise.
Dans les termes de N. Scott Momaday, auteur kiowa, les Indiens doivent s’imaginer dans le langage afin de survivre dans leurs identités. L’écriture est un acte de construction, et ce sont leurs propres identités que les auteurs de minorités cherchent à composer ou recomposer dans leur écriture. Pour Momaday, l’identité n’est pas simplement un état de fait ; elle est le résultat d’un acte conscient et soigneusement échafaudé, qui aboutit parfois à un écrit, mais pas nécessairement. Ce geste identitaire, il le décrit chez sa mère, dont l’héritage cherokee lui procura « une attitude de défiance, une attitude qu’elle assumait avec élégance et satisfaction, une attitude qui la caractérisait. Elle imaginait qui elle était. Cet acte d’imagination fut, je crois, parmi les événements les plus significatifs de la jeunesse de ma mère, comme il devint plus tard un acte essentiel des plus importants pour moi-même »9. La résolution dont nous parle ici Momaday est un peu plus qu’une simple prise de conscience d’une identité ; c’est une acceptation volontaire de celle-ci ; c’est un engagement dans une identité dont on veut faire montre, que l’on veut revendiquer, que l’on veut mettre sur le devant de la scène interculturelle. C’est clairement un acte de résistance à l’identité que l’Autre veut imposer sur celui dont il cherche à dénier la véritable identité.
Cependant, les auteurs amérindiens ne cherchent pas à survivre dans des identités qui seraient figées dans un passé précolombien idyllique. Ce qui fait les identités des Indiens aujourd’hui est un métissage culturel, très souvent un métissage ancestral, et ce sont ces nouvelles identités, faites de modernité et de traditions, qu’ils cherchent à réinventer dans le discours. Les identités qu’ils reconstruisent ainsi sont vivantes, ont évolué avec le temps et cherchent à être en phase avec leur époque. La résolution identitaire décrite plus haut par Momaday est un acte qui se trouve parachevée dans la sphère littéraire par le geste autobiographique, geste hautement autosocialisant et auto-humanisant, devenu nécessaire dans une société de plus en plus déshumanisée, au sens où des facteurs (économiques, financiers, etc) qui dépassent l’humain occupent une place de plus en plus prédominante, une société dans laquelle il appartient de plus en plus à l’humain de recréer lui-même le lien social, afin de lutter contre une exclusion qui s’imposerait d’elle-même de par l’absence de rôle attribué à l’individu de façon déterminée.
Lorsque les populations dites « des marges » – des populations qui recoupent très souvent celles dites « d’en bas » – se mettent à écrire, elles produisent des actes de résistance, dans une écriture politique, c’est-à-dire une écriture qui, au moins, examine les relations de pouvoirs et de contrôles, de contre-pouvoirs et de résistances, qui se jouent dans toute société, et au plus, les remet tout à fait en question. Pourtant, lorsque les marges écrivent, elles ne cherchent pas forcément à se substituer au centre. Elles cherchent le plus souvent à se rendre simplement visibles du segment de la société qui le représente. Elles résistent à la disparition totale de leur monde, disparition que le centre veut imposer au bénéfice de l’avènement d’un autre monde. L’écriture amérindienne aux Etats-Unis est le paradigme d’une action littéraire qui résiste aux pouvoirs investis dans le langage par le colonisateur euro-américain, une action qui se veut réaction à des définitions qui furent imposées tant et si bien que certains des clichés dont les Indiens furent affublés au début de la colonisation de leurs territoires perdurent encore aujourd’hui.
Lorsque Européens et Amérindiens se rencontrèrent, le seul moyen d’appréhender cet événement exceptionnel fut d’interpréter les signes qui s’offraient à la perception des uns et des autres. D’abord des signes physiques, et des comportements, que l’Autre interprétait avec plus ou moins d’exactitude et de bonne volonté, puis des langues, beaucoup plus difficiles à déchiffrer. Les deux groupes, pourtant, se retrouvaient soudain contraints de partager un même espace géographique, et se voyaient par conséquent dans l’obligation d’interagir, notamment de communiquer, chose ardue si les individus obéissent à deux espaces sémiotiques, deux systèmes de signes – et d’interprétation de ces derniers – très différents l’un de l’autre. Il a donc fallu qu’un langage commun s’impose entre les deux groupes. Lorsque c’est le langage du nouvel arrivant qui finit par faire autorité, nous assistons à un des gestes colonisateurs les plus efficaces.
Les débuts du long procédé d’imposition de définitions remontent au premier des colons arrivés dans le « Nouveau Monde ». Ainsi Christophe Colomb qui, tout en sachant que les peuples et les lieux visités étaient déjà nommés par les autochtones, les renommait systématiquement, se les appropriant ainsi – au nom des autorités pour qui il était en mission, Dieu et la reine d’Espagne – et affirmant de fait sa domination et celle d’un monde qui imposait ainsi sa matrice sémiotique sur celle qui avait pourtant cours depuis des millénaires avant cette rencontre extraordinaire. Les exemples de réticence au signe de l’Autre (le signe indigène) et d’imposition du signe colonisateur sont nombreux dans les écrits mêmes de Colomb : « A la première [île] que j’ai rencontrée, j’ai donné le nom de San Salvador, en hommage à Sa Haute Majesté qui merveilleusement m’a donné tout ceci. Les Indiens appellent cette île Guanahani. J’ai nommé la deuxième île Santa Maria de Concepcion, la troisième Fernandina, la quatrième Isabela, la cinquième Juana, et ainsi à chacune d’elle j’ai donné un nom nouveau »3. De ces actes de dénominations et de renominations, Gerald Vizenor, auteur anishinaabe, dirait qu’ils sont « despotiques »4. Ils signalent la non-reconnaissance de la viabilité du signe préexistant à l’arrivée de l’Homme Européen. Todorov montre très bien les mécanismes qui consistent à ne pas reconnaître le signe de l’Autre afin de mieux le soumettre. Si l’Autre, après avoir fait montre, au premier contact, de signes physiques différents – codes vestimentaires et couleur de peau – ne produit pas un système de signes langagiers cohérent à l’oreille de l’Européen lorsque cherche à s’établir un deuxième type de contact plus élaboré – la communication verbale – alors la réaction spontanée est de l’imaginer inférieur. S’il est un homme, c’est un barbare ; s’il ne parle pas notre langue, c’est qu’il n’en parle aucune, ou qu’il ne sait pas parler.
Très rapidement, on imposa pour désigner les indigènes d’Amérique les définitions de « sauvages païens », de « barbares sanguinaires » et tout simplement d’êtres « incultes », définitions d’autant plus définitives qu’elles étaient appliquées par un langage qui, de toute façon, s’imposait comme le seul à faire autorité dans cet espace à conquérir et à redéfinir selon ce que les colonisateurs avaient cœur d’en faire. Dans ce monde reconfiguré, notamment dans et par le langage, il n’y avait guère de place pour l’Indien, que l’on chercha donc à effacer. Non par un génocide systématique, certes, mais tout du moins par une métamorphose qui se voulait radicale puisqu’elle consistait à « tuer l’Indien à l’intérieur pour sauver l’homme »5, c’est-à-dire faire du sauvage un propriétaire terrien, du païen un chrétien et de l’inculte, un être éduqué. En un mot, comme le voulait la terminologie de l’époque, il fallait transformer le « barbare » en un être « civilisé ».
Les Amérindiens qui trouvaient cette métamorphose, et les méthodes utilisées pour la mettre en œuvre, discutables, se sont dans un premier temps trouvés confrontés à la fois au besoin et à l’impossibilité de faire entendre leur voix. La rencontre de l’Euro-Américain et de l’Amérindien fut en effet la confrontation de deux espaces sémiotiques radicalement différents, dont les signes en circulation avaient du mal à se rencontrer. L’autobiographie de Sarah Winnemucca Hopkins illustre la situation inextricable dans laquelle se retrouvaient alors les Indiens, notamment ceux qui cherchaient à communiquer avec les colons. Lorsque le Chef Winnemucca accueille ses « frères blancs » à bras ouverts – signe physique qu’il exécute réellement pour indiquer qu’il vient à leur rencontre sans armes – les intrus ne savent pas interpréter ce signe (ou ne cherchent pas à le faire) et manifestent immédiatement méfiance et violence. La position de Sarah Winnemucca elle-même fut des plus inconfortables. Eduquée à l’école des Blancs, où l’envoya son grand-père, elle devint interprète. Cet emploi la coinça entre deux systèmes de signification dont les modes de fonctionnement n’auraient pu être plus incompatibles. En effet, en plus de la barrière des langues, c’est le mot parlé qui faisait autorité chez les Indiens, le mot parlé qui faisait réalité, alors qu’il n’avait aucune force, aux yeux du colonisateur, face au mot écrit. Bien des tromperies, des promesses non tenues, des traités bafoués furent les conséquences de cette différence de statut entre l’écrit et l’oral. Sarah, comme bien d’autres interprètes amérindiens, fut instrumentalisée par les autorités militaires et gouvernementales, qui lui faisaient traduire des promesses orales qui ne reflétaient en rien ce qu’exprimaient les contrats écrits. A cause de la forte signifiance que ses congénères accordaient au mot parlé, elle fut considérée responsable de ses paroles et, par conséquent, accusée par les siens de leur mentir et de les trahir alors qu’elle ne faisait que traduire les mensonges des Blancs.
C’est en quelque sorte deux types de grilles de lecture et de compréhension du monde différents qui se retrouvèrent face à face, soudain, sur l’ensemble du continent américain. Dans la nouvelle grille de lecture venue d’Europe, la véritable justice et l’inconditionnelle liberté individuelle dont puisse jamais jouir l’être humain passait par la propriété privée ; la seule religion qui permît un authentique lien au divin était le christianisme ; le véritable savoir était le savoir scientifique (le reste n’était que superstition). S’il est arrivé que quelques chefs indiens parmi les plus rebelles et les plus guerriers ont appelé de leurs prières le départ, voire l’éradication, de l’Homme Blanc, la plupart du temps, ils ne demandaient que la possibilité de lire le monde selon leur propre interprétation. Pour beaucoup, partir en quête du divin dans la solitude des hautes montagnes et des profondes forêts n’était pas incompatible avec la co-existence du christianisme. Pour les Indiens, deux mondes pouvaient tout à fait co-habiter. Pour les Euro-Américains, c’était impensable, déjà.
Pourtant, pour faire comprendre cela à l’Homme Blanc, il a fallu que l’Indien s’approprie le langage de ce dernier, puisque celui-ci ne voulait entendre que celui-là. Il paraît donc facile à certains de voir dans cette appropriation une soumission de l’Indien aux règles de représentation du monde et de communication, en anglais et à l’écrit, de l’Homme Blanc. Il s’est agi en fait d’une adaptation vitale aux armes de l’ennemi. Si ce dernier imposait son pouvoir et son autorité dans un langage, c’était dans ce même langage qu’il fallait créer contre-pouvoirs et résistances. Pour affronter l’ennemi, il fallait le rencontrer sur le même champ de bataille et avec les mêmes armes. Si bien qu’aujourd’hui, lorsque l’on s’étonne encore qu’il existe une littérature écrite par des Indiens, ils répondent qu’il va bien falloir comprendre un jour que l’anglais est la langue de la très grande majorité des Indiens aux Etats-Unis. C’est ce que m’expliquait Craig Womack, auteur et enseignant à l’université d’Oklahoma, qui réaffirme l’évidence que l’anglais est sa langue maternelle, comme elle l’est de nombreux autres Amérindiens, qui n’en parlent aucune autre.
Dès le XVIIIe siècle, les Indiens se mettent donc à produire du discours écrit en anglais. Certains de ces écrits sont des manifestations bio-historiques, dans le sens où ils sont des autobiographies d’individus dont les corps mêmes furent impliqués dans les mouvements incontrôlés de l’Histoire, une Histoire qu’il faut raconter sous un angle différent de la version colonisatrice qui fait autorité, une Histoire qu’il faut raconter depuis le point de vue de ceux que l’on ne veut pas écouter, et qui se trouvent ainsi obligés d’écrire. Ainsi, Black Hawk, grand guerrier de la tribu des Sacs et Fox, raconte les raisons qui le poussèrent à prendre les armes contre l’Homme Blanc ; Charles Alexander Eastman, auteur sioux, raconte le massacre de Wounded Knee, dont il fut un témoin, et Sarah Winnemucca Hopkins raconte les nombreuses déportations dont sa tribu, les Paiutes, fut l’objet. Pour ces auteurs, l’action ne se réduit pas à l’écriture. Celle-ci n’est que l’aboutissement d’une résistance physique qu’ils menèrent toute leur vie, que ce soit par les armes (Black Hawk) ou par l’action militante et lobbyiste (Eastman et Winnemucca). L’écriture est plutôt le dernier recours, celui qui permet de toucher le plus grand public possible, pour répandre un message de façon plus efficace.
Un des premiers objectifs de l’écriture amérindienne est donc de corriger les préjugés véhiculés dans le discours colonisateur, le seul en circulation avant que des individus indiens se mettent à produire le leur. Ainsi, Charles Eastman écrit pour affirmer que le massacre de Wounded Knee ne fut pas la conséquence d’une « révolte indienne », et que les problèmes venaient de « politiciens malhonnêtes qui, par l’intermédiaire de leurs agents, volèrent les Indiens, puis les maltraitèrent, et enfin, dans un moment de panique, firent appel aux troupes pour les supprimer »6 Dans un tel contexte, l’écriture est politique, dans le sens où les auteurs issus de minorités ethniques écrasées par une puissance coloniale endossent le rôle de porte-parole des leurs. Leurs ouvrages, qu’ils insèrent dans le flot de discours produit par la classe dominante et colonisatrice, se font les échos des souffrances de leurs peuples, de leurs revendications, et des griefs qu’ils nourrissent contre l’Homme Blanc.
Un autre objectif est d’opposer aux représentations que l’Homme Blanc produit de l’Indien un autre type de représentations, celles de l’Homme Blanc produites par l’Indien. Chez Eastman, par exemple, le soldat blanc est vu comme un être peureux qui ne se bat jamais pour sa gloire individuelle, comme le fait le guerrier sioux, mais seulement parce qu’il obéit aux ordres d’un chef, qui dirige une masse militaire. Dans certaines tribus, on craignait le cannibalisme des Blancs. Dans les années 1840, les membres de l’expédition Donner, qui cherchaient à rejoindre la Californie à travers les Rocheuses, furent piégés par l’hiver et les survivants furent contraints de se nourrir des cadavres de leurs compagnons. C’est lors de la même décennie que les Paiutes, qui occupaient les territoires traversés par l’expédition, eurent leurs premiers contacts avec les Blancs, et l’aventure des malheureux aventuriers nourrit l’imaginaire des Indiens. Dans un renversement ironique, Sarah Winnemucca évoque les histoires que les parents paiutes racontaient à leurs enfants pour qu’ils se tiennent sages et à distance des hommes blancs : « Il y avait une histoire affreuse que l’on racontait aux enfants. Nos mères nous racontaient que les Blancs tuaient tout le monde et mangeaient leurs victimes. C’est pourquoi nous avions très peur d’eux »7. L’anthropophagie devint donc une caractéristique de l’Homme Blanc aux yeux de certains Indiens. Associée à l’horreur qu’inspiraient la pâleur de leur peau et la pilosité de leur visage, les hommes blancs étaient vite relégués au rang de bêtes immondes dans l’esprit de ceux qui les rencontraient pour la première fois.
Tous les auteurs amérindiens du XIXe siècle rendent compte de ces représentations dans leurs écrits, et racontent également les actes barbares perpétrés par les colons, notamment les violences sexuelles que les hommes blancs faisaient subir aux femmes indiennes. L’écrivain indien tend ainsi un miroir à l’Homme Blanc, qui est son lecteur, et lui renvoie les procédés de déshumanisation qu’il affectionne tant.
C’est ainsi que le contenu des premiers écrits indiens n’est jamais un aveu de totale soumission. Ils sont surtout, enfin, des affirmations d’identités qui ne veulent pas disparaître sous la chape sémiotique qu’est la représentation du monde euro-américaine. Il fallait s’emparer des outils de représentation qui faisaient autorité dans le monde euro-américain afin de proposer ses propres représentations de soi, ne pas laisser l’Homme Blanc représenter l’Indien comme il l’entendait. Comme le dit un personnage de Salman Rushdie – issu d’une autre situation post-coloniale – pour expliquer la métamorphose monstrueuse qu’il est en train de subir, « Ils nous décrivent. C’est tout. Ils ont le pouvoir de description, et nous succombons aux images qu’ils élaborent »8.
Ainsi, à l’image des Amérindiens, s’emparer du pouvoir de description est un acte de survie pour des individus dont les cultures et les identités sont menacées. S’emparer du pouvoir de description est le geste qui permet de ne pas accepter sans les remettre en question des définitions imposées par les dominants qui maintiennent les dominés dans leur condition. S’emparer du pouvoir de description, c’est insinuer d’autres définitions dans la circulation des signes qui composent la grille de lecture du monde dominante. S’emparer des outils de signification dominants ne revient pas systématiquement à se soumettre à ses règles. C’est peut-être également un moyen de les subvertir, d’insuffler du nouveau signifié dans le signifiant dominant. C’est ce que veut dire l’auteur Sherman Alexie, lorsqu’il répond à une spectatrice euro-américaine qui lui demande pourquoi il insiste autant pour se faire appeler Indian, qui « est tellement péjoratif », au lieu de Native (terme politiquement correct pour désigner les Indiens aux Etats-Unis, en mettant l’accent sur leur préséance sur ce territoire) : « Ecoutez, ce mot nous appartient maintenant. Nous sommes Indiens. Ca n’a rien à voir avec les Indiens d’Inde. Nous ne sommes pas Amérindiens. Nous sommes Indiens […]. Le mot est à nous. Il nous appartient et nous ne le lâcherons pas ». L’action la plus efficace n’est pas d’inventer un nouveau terme qui du même coup vouerait à l’oubli les erreurs primordiales de l’Homme Blanc lorsqu’il imposa le terme
de Indian à l’indigène d’Amérique, et les connotations négatives dont il est chargé. Remplacer ce terme par un autre reviendrait à oublier combien de racisme il a véhiculé pendant longtemps. Du temps de la conquête de l’ouest, ce vocable faisait automatiquement référence à l’être sanguinaire et inculte qui hantait l’imagination des pionniers. L’action efficace est d’en subvertir le sens, garder le signifiant comme un stigmate de la colonisation oppressive, mais y insuffler un autre signifié, une autre définition à laquelle l’Indien ne succomberait plus puisqu’il en aurait la maîtrise.
Dans les termes de N. Scott Momaday, auteur kiowa, les Indiens doivent s’imaginer dans le langage afin de survivre dans leurs identités. L’écriture est un acte de construction, et ce sont leurs propres identités que les auteurs de minorités cherchent à composer ou recomposer dans leur écriture. Pour Momaday, l’identité n’est pas simplement un état de fait ; elle est le résultat d’un acte conscient et soigneusement échafaudé, qui aboutit parfois à un écrit, mais pas nécessairement. Ce geste identitaire, il le décrit chez sa mère, dont l’héritage cherokee lui procura « une attitude de défiance, une attitude qu’elle assumait avec élégance et satisfaction, une attitude qui la caractérisait. Elle imaginait qui elle était. Cet acte d’imagination fut, je crois, parmi les événements les plus significatifs de la jeunesse de ma mère, comme il devint plus tard un acte essentiel des plus importants pour moi-même »9. La résolution dont nous parle ici Momaday est un peu plus qu’une simple prise de conscience d’une identité ; c’est une acceptation volontaire de celle-ci ; c’est un engagement dans une identité dont on veut faire montre, que l’on veut revendiquer, que l’on veut mettre sur le devant de la scène interculturelle. C’est clairement un acte de résistance à l’identité que l’Autre veut imposer sur celui dont il cherche à dénier la véritable identité.
Cependant, les auteurs amérindiens ne cherchent pas à survivre dans des identités qui seraient figées dans un passé précolombien idyllique. Ce qui fait les identités des Indiens aujourd’hui est un métissage culturel, très souvent un métissage ancestral, et ce sont ces nouvelles identités, faites de modernité et de traditions, qu’ils cherchent à réinventer dans le discours. Les identités qu’ils reconstruisent ainsi sont vivantes, ont évolué avec le temps et cherchent à être en phase avec leur époque. La résolution identitaire décrite plus haut par Momaday est un acte qui se trouve parachevée dans la sphère littéraire par le geste autobiographique, geste hautement autosocialisant et auto-humanisant, devenu nécessaire dans une société de plus en plus déshumanisée, au sens où des facteurs (économiques, financiers, etc) qui dépassent l’humain occupent une place de plus en plus prédominante, une société dans laquelle il appartient de plus en plus à l’humain de recréer lui-même le lien social, afin de lutter contre une exclusion qui s’imposerait d’elle-même de par l’absence de rôle attribué à l’individu de façon déterminée.
(1) L’expression est de l’anthropologue Clifford Geertz qui définit ainsi une culture : « un ensemble de mécanismes de contrôle : plans, recettes, règles, instructions (ce que les informaticiens appellent programmes) » (Geertz, Clifford. The Interpretation of Cultures. New York : Basic Books, 1973. 44).
(2) Voir notamment les travaux de Foucault et de Bourdieu, Ce que parler veut dire (Paris : Fayard, 1982).
(3) Lettre à Santangel, février-mars 1493, cité dans Tzvetan Todorov, La Conquête de l’Amérique, 1982, 39.
(4) Vizenor, Gerald. Interior Landscapes : Autobiographical Myths and Metaphors. Minneapolis: University of Nebraska Press, 1990. 17.
(5) Expression attribuée au Capitaine Richard H. Pratt, fondateur de l’école pour Indiens de Carlisle en 1879.
(6) Charles Alexander Eastman (Ohiyesa), From the Woods to Civilization, 117.
(7) Sarah Winnemucca Hopkins, Life Among the Piutes, 11.
(8) Dans Les Versets sataniques.
(9) N. Scott Momaday, The Names, 25.
(2) Voir notamment les travaux de Foucault et de Bourdieu, Ce que parler veut dire (Paris : Fayard, 1982).
(3) Lettre à Santangel, février-mars 1493, cité dans Tzvetan Todorov, La Conquête de l’Amérique, 1982, 39.
(4) Vizenor, Gerald. Interior Landscapes : Autobiographical Myths and Metaphors. Minneapolis: University of Nebraska Press, 1990. 17.
(5) Expression attribuée au Capitaine Richard H. Pratt, fondateur de l’école pour Indiens de Carlisle en 1879.
(6) Charles Alexander Eastman (Ohiyesa), From the Woods to Civilization, 117.
(7) Sarah Winnemucca Hopkins, Life Among the Piutes, 11.
(8) Dans Les Versets sataniques.
(9) N. Scott Momaday, The Names, 25.