Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°48 [avril 2004 - juin 2004]
© Passant n°48 [avril 2004 - juin 2004]
par Paola Balzarro
Imprimer l'articleAu nom du tigre
C’est lui, là-bas au fond, avec les lunettes et l’écharpe marron. A le voir ainsi on dirait un enfant comme les autres, non ? Là, il est même en train de se bagarrer avec ses camarades, et pour lui, pas de traitement particulier, non : il en prend et il en donne sans ménagements, comme tous les autres. Si, il est sans doute un peu boudeur (regarde ! Il a déjà pris un air offensé et il est en train de s’éloigner) mais enfin, va trouver un enfant qui ne fasse pas de caprices de temps en temps, au cours préparatoire en particulier, avec toutes ces nouveautés à ingurgiter d’un seul coup, maîtresses, horaires, devoirs, mais il n’y a rien à faire, pour apprendre à lire et à écrire en partant de zéro, il faut bien faire un peu d’exercice à la maison voilà tout.
Lui, en plus, ils ne l’ont même pas mis à l’école maternelle, ce qui, à y repenser maintenant, n’a certainement pas été une bonne idée. En tout cas, c’est arrivé après ses deux premiers mois d’école.
La dame là, qui l’a pris par la main, c’est sa grand-mère. C’est la patronne de la parfumerie juste à l’angle, moi je la connais bien et c’est elle qui m’a raconté toute l’histoire.
Qui sait pourquoi Livia ne m’en a jamais parlé… quand je le lui ai raconté, elle a fait une tête bizarre et elle a dit qu’elle le savait déjà mais elle n’a rien voulu ajouter. C’est drôle, non ? On imagine qu’une chose pareille va troubler de jeunes enfants, et qu’ils courront immédiatement la rapporter, ne serait-ce que pour avoir une explication. Mais pas du tout en fait. Bouches finement cousues. D’un autre côté, c’est vrai qu’elle est maintenant au CM1, et les bizarreries des enfants plus petits (c’est normal) lui glissent dessus.
Pourtant, on a parfois l’impression qu’ils ont entre eux une espèce de pacte secret pour nous cacher quelque chose, comme si en réalité ils en savaient beaucoup plus que ce qu’ils veulent nous faire croire et comme s’ils se protégeaient mutuellement.
Comme ce jour terrible, à la mer, quand Luca avait deux ans (je te l’ai raconté, non ?) et que nous l’avons cherché partout pendant plus d’une heure, et rien : il avait disparu dans le néant. Et cette folle de Livia qui avait déjà sept ans, et qui aurait donc dû se rendre un peu compte, a fait semblant d’être elle aussi désespérée et de le chercher avec nous, et lorsque à la fin nous l’avons trouvé, bien caché, tapi derrière les cabines, ils se sont mis à rire tous les deux, car ils nous avaient fait une farce, tu comprends ?
Et la chose la plus incroyable, quand j’y repense, c’est précisément cette expression bouleversée qu’avait Livia tandis que nous cherchions son frère, tu aurais dû la voir, cette tête à claques, elle aurait dupé n’importe qui. Bref, pour dire qu’avec les petits on ne peut jamais savoir, parfois ils font ça sous ton nez quand tu t’y attends le moins.
Et donc la seule version que je connais, moi, de l’histoire d’Eugenio, c’est celle de sa grand-mère, qui, en tout cas, me semble être une personne digne de foi et qui s’en était déjà aperçue depuis un certain temps qu’il y avait quelque chose de tordu, avec cette chinoise.
C’est le concierge qui l’avait faite rentrer dans sa maison, lui qui, on l’a découvert plus tard, ne la connaissait pas bien non plus, au fond.
Avant, il paraît qu’elle travaillait dans une teinturerie, toujours au noir évidemment, car le permis de séjour (ça c’est sûr) elle ne l’a jamais eu. Et donc pas de papiers, pas de nom, et pas même une ville d’origine certaine. Elle disait venir de Nankin mais qu’en sait-on, elle était peut-être d’un village perdu ou carrément de Taiwan, va savoir.
Elle se faisait appeler Lia, parce que son nom était trop difficile à prononcer pour les italiens. Et elle disait avoir 20 ans ce qui est d’ailleurs probable, moi je l’ai vue plusieurs fois quand j’emmenais Eugenio à l’école, elle avait vraiment l’air d’une fillette. Petite mais pas laide, au contraire, bien proportionnée, avec une petite tête ronde et lisse comme celle d’une poupée. Et toujours coiffée de deux tresses serrées et fines, elle semblait avoir tout juste quitté le collège.
On voyait bien que l’enfant l’adorait, même si au début (on me l’a dit) tout n’a pas été rose : quand il l’a trouvée dans sa maison, du jour au lendemain, il a fait un massacre, il a même cassé ses lunettes, en les jetant par terre. Et il semble que la chinoise lui ait bel et bien flanqué une paire de gifles, c’est du moins ce que soutenaient l’enfant et sa grand-mère, qui le croyait toujours et qui, de toutes façons, était déjà sur le point d’intervenir. Et puis, après quelques jours, comme par miracle, les choses ont commencé à s’aplanir : un soir la mère est rentrée à la maison et, au lieu de l’habituel champ de bataille, elles les a trouvés tous les deux par terre en train de dessiner bien gentiment.
Eugenio, qui avait un peu plus de cinq ans, était en train de finir de colorier un tigre gigantesque, entièrement rayé de rose et de jaune, sur un morceau de carton d’un mètre de long. Et Lia, avec un feutre, remplissait d’idéogrammes le ciel violet clair. C’est, paraît-il, un très beau dessin, d’autant que l’enfant (quand il veut) sait vraiment y faire avec les couleurs.
Et c’était celui qu’il avait réussi le mieux, de sorte que ses parents le lui laissèrent accrocher au-dessus du lit, en dépit de sa taille. Et lui, du reste, n’aurait jamais accepté de se séparer du dessin. Car c’était maintenant son symbole : selon l’horoscope chinois, il était né dans l’année du tigre.
Et cette histoire de l’enfant tigre a continué un bon bout de temps : il s’amusait à rugir à travers la maison, il tendait des pièges, il avait même commencé à manger sa viande sans trop faire d’histoires.
La grand-mère n’arrivait pas à digérer l’affaire de l’horoscope, chinois ou pas, parce que ça la dérangeait qu’un petit garçon de cinq ans se remplisse la tête de bêtises, vu qu’à cet âge-là ils confondent déjà suffisamment la réalité et l’imaginaire, sans qu’il soit besoin d’y rajouter superstitions, magie, et autres idées loufoques.
Mais cela convenait aux parents, vu qu’après tout, Eugenio s’était sensiblement calmé.
Le matin il jouait dans la maison, tout gentil, et l’après-midi il allait se promener avec Lia. Le hic au fond, avec du recul, c’est justement cela : où l’entraînait-elle, la chinoise, quand ils disparaissaient pendant des heures et qu’ils rentraient à la nuit tombée, tout juste à temps pour préparer le dîner.
Quelles personnes lui faisait-elle rencontrer, que fabriquait-elle avec celles-ci, et pourquoi le garçon semblait-il si content de ces promenades, alors qu’avant, pour le tirer hors de la maison, il fallait promettre monts et merveilles ?
Selon moi, il voyait certainement d’autres enfants. Tu sais comment ils font les chinois, ils en cachent par dizaines dans les sous-sol, pour fabriquer des chaussures et des sacs à main, en toute illégalité évidemment, je ne dis pas qu’il les mettent au turbin par méchanceté, mais à l’école, s’ils sont clandestins, ils ne peuvent pas y aller, et alors autant qu’il donnent un coup de main à leur famille, sans trop se faire voir au dehors.
C’est tout à fait logique, si tu y réfléchis bien. L’idée du groupe d’enfants, c’est moi qui l’ai eue, mais elle expliquerait beaucoup de choses. Et alors, pendant qu’Eugenio jouait avec les petits chinois, Lia vaquait à ses affaires. Dieu seul sait de quoi il s’agissait : pas forcément des histoires louches de contrebande ou de drogue, comme le pense maintenant la grand-mère de l’enfant. Peut-être rencontrait-elle son fiancé, ou faisait-elle un brin de conversation avec sa famille (en supposant qu’il s’agissait vraiment d’oncles et de cousins) ou bien avait-elle un autre travail, pour gagner plus rapidement l’argent dont elle avait besoin.
Ce qui est certain, de toutes façons, c’est qu’il s’agissait d’un secret. Et cela, Eugenio l’avait très bien compris. Pas une seule fois, au cours de ces six mois, il n’a laissé échapper un mot de trop, aucune allusion, pas un geste qui puisse trahir sa Lia.
A la maison on ne lui posait pas beaucoup de questions, car ils voyaient bien que répondre le mettait de mauvaise humeur. Et puis, franchement, ils étaient à mille lieues de suspecter quelque chose de mal. Si on l’interrogeait (en passant)1 sur le dessin animé qu’il disait avoir vu au cinéma, dans l’après-midi, Eugenio débitait habituellement un flot d’intrigues et de personnages sans queue ni tête, ce qui (pour les parents) prouvait seulement sa volonté d’étonner à tout prix. Et puis, de fait, l’enfant était serein, on voyait qu’il allait bien, et il n’y avait donc pas de motif d’inquiétude. Au contraire, ils étaient bien contents d’avoir enfin trouvé la bonne nounou.
C’est incroyable, non ? Parfois, c’est quand tout semble aller bien que pointe doucement le désordre.
Et pour ces deux malheureux le coup a été encore plus dur, car ils avaient enfin retrouvé une certaine harmonie, du moins en apparence : lui, qui depuis deux ans fréquentait une autre femme, avait décidé de couper les ponts ainsi son épouse pouvait un peu souffler, même si à l’entendre elle ne faisait plus grand cas de leur mariage, et qu’ils restaient ensemble seulement pour l’enfant.
Bref, ils s’étaient rapprochés, et ils avaient même décidé d’aller passer quelques jours à Londres. C’est d’ailleurs ce qui a déclenché tout le désastre.
Tu vois ces voyages qu’on réserve de chez soi avec l’ordinateur, avion, hôtel, et même le restaurant, à un prix cassé, pas de vol régulier ni de suite à quatre étoiles, bien sûr, mais s’il se forme un groupe suffisant ils donnent leur accord et c’est parti ?
Et bien, ces deux-là, ils avaient pourtant de quoi se payer des vacances décentes, mais lui s’était mis dans la tête de faire comme ça, car il s’amusait à surfer entre les offres, un clic par ici, un clic par là, genre chasse au trésor, persuadé, avec son flair, de suivre la piste de la bonne affaire.
Et à la fin, d’une certaine façon, il l’avait trouvée, puisqu’il avait déniché un séjour incroyable, dans le genre six cent mille tout compris. Enfin, ils partent tranquilles et contents, rassurés quant à l’enfant, qui les salue à peine, occupé qu’il est à réviser avec Lia tout son répertoire de grimaces et de grognements. Ciao ciao, et ils s’envolent.
Tout va pour le mieux : à Londres il fait même beau, ils appellent à la maison matin et soir, pas de problème.
Le troisième jour, le coup de massue.
En rentrant à l’hôtel ils trouvent un message : il y a eu des embrouilles avec les réservations, tout un micmac, en fait il faut qu’ils partent tout de suite, sinon ils finissent sur une liste d’attente de plusieurs kilomètres, avec le risque de passer toute la journée du lendemain à l’aéroport.
Consultation rapide et plaintes d’usage, ils ferment leurs valises et partent. Morale de l’histoire, ils arrivent à la maison en pleine nuit.
A peine descendus du taxi ils s’aperçoivent qu’il y a quelque chose d’étrange. Les lumières du salon, comme celles de leur chambre, sont allumées.
Déjà dans l’escalier ils entendent la musique et le tapage. Ils ouvrent grand la porte et voient, dans un nuage de fumée, un tas de chinois, hommes et femmes, tous à moitié saouls, qui vautré par terre, qui débraillé les pieds sur le divan.
Ils restent bouche bée, tandis que Lia bondit pour éteindre la chaîne hi-fi. Tout d’un coup, silence. Durant un instant, personne ne dit rien, ni la jeune fille, ni eux, ni la compagnie des invités. Puis la mère se précipite dans la chambre d’Eugenio et le serre très fort dans ses bras, quand ç’aurait été bien mieux de le laisser dormir et c’est tout, peut-être qu’il ne se serait rendu compte de rien. Une fois la surprise passée, le père, lui, commence à hurler. Tu dois y mettre le sentiment d’être envahi, le sentiment de la confiance trahie, y mettre aussi le stress du voyage, et puis l’attitude de ces gens qui le regardent avec des visages si inexpressifs qu’on ne peut déterminer s’ils sont idiots, ivres, ou d’une insolence sans borne.
Le fait est qu’il explose de colère, il en saisit un par le col et le remet sur ses pieds. L’autre, alors, se retourne avec fureur, comme s’il venait de se réveiller subitement, il lui donne un coup sur le bras, ils sont sur le point d’en venir vraiment aux mains lorsque deux compères lui sautent dessus et le retiennent ; là, ils crient tous, mais surtout le maître de maison qui leur hurle de virer leurs fesses vite fait ou il appelle la police.
Il commence à en pousser une paire vers la sortie (la porte est restée ouverte), deux jeunes filles à moitié nues s’éclipsent hors de la chambre à coucher, les autres saisissent l’allusion et abandonnent la place en toute hâte, ramassant au vol leurs affaires, alors que le père de famille ne semble pas se calmer, et s’emporte même de plus en plus, il est désormais en proie au démon, il braille des mots encore jamais entendus dans sa bouche.
Entre temps, Eugenio est apparu au seuil du salon avec sa mère, et il regarde avec des yeux exorbités cet homme enragé.
Lia, qu’il traite de salope et pire encore, finit, elle-aussi, dans la tornade de cette fureur funeste. Elle, ne répond rien, mais Eugenio, à ce moment-là, s’élance contre son père.
Il le roue de coups de poing et de coups de pied, comme s’il était lui aussi en proie à une crise, une de celles qui lui venaient dans son jeune âge, quand il écumait et qu’on devait lui donner des cachets. La mère tente de les séparer, l’enfant tombe par terre, tandis que le père hurle qu’il est temps d’en finir, c’en est assez de ces hordes de sauvages qui s’infiltrent partout dès qu’on leur laisse une ouverture, hors de ma maison et de ma famille, il faut faire place nette.
Couché par terre, Eugenio agrippe son pantalon et lui mord la jambe. Ils me l’ont transformé en bête lui aussi, dit le père. Il se précipite dans la chambre de l’enfant, arrache le tigre du mur, il le déchire rageusement en morceaux, comme s’il était en train de le dévorer, il jette par terre les lambeaux colorés et les éparpille à travers la pièce à coups de pied.
Eugenio se débat, sa mère essaie de le maintenir immobile : coudes, claques et crachats partout.
Entre temps les chinois se sont évaporés. Lia, elle aussi, s’est dissoute dans le néant, sans un mot. Tu imagines un peu la nuit, dans cette maison. Eugenio calmé à coups de gouttes, les parents avec les yeux exorbités jusqu’au matin.
Le jour suivant débarque une parfaite inconnue qui affirme être la cousine de Lia. Elle prend ses affaires, retire la paye, que les deux autres lui mettent en main, pour clore le chapitre une bonne fois pour toutes et ne plus y penser.
Ils se préparent à ramasser les morceaux et à reprendre une vie normale, s’accordant un délai raisonnable pour digérer ce sabbat nocturne.
Ils ne s’aperçoivent pas qu’Eugenio a quelque chose d’étrange. Ou plutôt, ils s’aperçoivent qu’au début il ne parle pas, mais ils pensent qu’au fond c’est une réaction au choc presque forcée.
Mais les heures passent, et l’enfant reste muet. Une journée entière. Deux. Le troisième jour, à l’aube, il le trouve en train de grommeler tout seul dans le salon. Ils le secouent, haussent le ton, et à la fin il se met à parler. Mais on dirait des sons dépourvus de sens. Ils insistent. Eugenio continue à répondre avec ces cris étranges. Ils essaient par tous les moyens de lui faire cesser ce jeu, ils s’efforcent de le faire raisonner, ils le cajolent, ils crient et une gifle part aussi.
Rien. Il continue comme ça. Toute la journée, celle du lendemain, et la suivante. Il n’arrête même pas à l’école, avec ses camarades, la maîtresse, et les concierges. Même avec le directeur, qui décide de le faire voir par le psychologue. Inutile, évidemment.
Car, tu l’auras compris, Eugenio désormais s’exprime seulement en chinois.
Du vrai chinois, hein, il ne fait pas semblant. Il doit l’avoir appris au cours de ses après-midi mystérieux, lorsqu’il disparaissait avec Lia jusqu’au soir. Ils absorbent, les enfants, comme des éponges. Il leur en faut peu pour avaler le monde, quand il nous faudrait à nous plus de dix ans. Et ils n’ont pitié de personne, sûrement pas de leurs parents.
Car ces deux malheureux ne savent plus quoi faire maintenant, ils l’ont supplié à genoux d’arrêter ça. Ils le couvrent de cadeaux, le trimballent, dépensent une fortune pour le neurologue qui tente de le soigner. Sous l’effet du désespoir, ils se sont même mis à donner la chasse à Lia, espérant la faire revenir ou au moins la convaincre de rencontrer l’enfant.
Mais c’est comme un trou noir. Pouf : disparue ! D’elle, il n’y a plus trace, on ne connaît pas son vrai nom, ni son adresse, ni une bribe d’histoire certaine.
Le gardien, qui se sent en faute, ne sait plus où se mettre : la femme qui la lui avait présentée est partie et Lia est donc peut-être partie aussi.
Imagine un peu la malédiction pour les parents : ils font le tour des restaurants chinois et des commerces du quartier, à la recherche d’un indice. Mais ce sont des gens difficiles, qui se méfient : ils se sont refermés aussitôt autour de la jeune fille, effaçant toutes les pistes, car d’après moi ils savent très bien ce qu’est devenue Lia, mais ils ne le diront jamais à ces deux-là, plus ils insistent et pire c’est. Comme chercher une bague dans la mer. Plus on brasse l’eau, et plus elle coule.
De temps à autre, tout au moins, ils rencontrent une personne disposée à parler avec l’enfant.
Pourvu qu’elle aille vers lui, car d’habitude Eugenio reste sur sa réserve. L’autre jour, pourtant, dans une espèce de supermarché oriental, ils ont trouvé un type avec lequel il s’est entendu. Un jeune homme grassouillet qui souriait beaucoup mais qui (d’après les parents) n’a pas traduit tout ce que l’enfant racontait. Mais il a dit quelque chose. Eugenio, paraît-il, lui a raconté son histoire. Et écoute un peu ce qu’il en est ressorti. Il prétend qu’il ne parle pas l’italien parce qu’il a été adopté. Qu’il a cent frères et quarante sœurs, mais qu’on ne le laisse pas les voir. Il craint qu’ils ne soient morts. Il dit que sa vraie mère n’avait pas assez d’argent pour le garder, et qu’elle est partie travailler au loin. Mais qu’elle ne l’a pas oublié et qu’elle reviendra bientôt, pour le racheter et le ramener à la maison.
Lui, en plus, ils ne l’ont même pas mis à l’école maternelle, ce qui, à y repenser maintenant, n’a certainement pas été une bonne idée. En tout cas, c’est arrivé après ses deux premiers mois d’école.
La dame là, qui l’a pris par la main, c’est sa grand-mère. C’est la patronne de la parfumerie juste à l’angle, moi je la connais bien et c’est elle qui m’a raconté toute l’histoire.
Qui sait pourquoi Livia ne m’en a jamais parlé… quand je le lui ai raconté, elle a fait une tête bizarre et elle a dit qu’elle le savait déjà mais elle n’a rien voulu ajouter. C’est drôle, non ? On imagine qu’une chose pareille va troubler de jeunes enfants, et qu’ils courront immédiatement la rapporter, ne serait-ce que pour avoir une explication. Mais pas du tout en fait. Bouches finement cousues. D’un autre côté, c’est vrai qu’elle est maintenant au CM1, et les bizarreries des enfants plus petits (c’est normal) lui glissent dessus.
Pourtant, on a parfois l’impression qu’ils ont entre eux une espèce de pacte secret pour nous cacher quelque chose, comme si en réalité ils en savaient beaucoup plus que ce qu’ils veulent nous faire croire et comme s’ils se protégeaient mutuellement.
Comme ce jour terrible, à la mer, quand Luca avait deux ans (je te l’ai raconté, non ?) et que nous l’avons cherché partout pendant plus d’une heure, et rien : il avait disparu dans le néant. Et cette folle de Livia qui avait déjà sept ans, et qui aurait donc dû se rendre un peu compte, a fait semblant d’être elle aussi désespérée et de le chercher avec nous, et lorsque à la fin nous l’avons trouvé, bien caché, tapi derrière les cabines, ils se sont mis à rire tous les deux, car ils nous avaient fait une farce, tu comprends ?
Et la chose la plus incroyable, quand j’y repense, c’est précisément cette expression bouleversée qu’avait Livia tandis que nous cherchions son frère, tu aurais dû la voir, cette tête à claques, elle aurait dupé n’importe qui. Bref, pour dire qu’avec les petits on ne peut jamais savoir, parfois ils font ça sous ton nez quand tu t’y attends le moins.
Et donc la seule version que je connais, moi, de l’histoire d’Eugenio, c’est celle de sa grand-mère, qui, en tout cas, me semble être une personne digne de foi et qui s’en était déjà aperçue depuis un certain temps qu’il y avait quelque chose de tordu, avec cette chinoise.
C’est le concierge qui l’avait faite rentrer dans sa maison, lui qui, on l’a découvert plus tard, ne la connaissait pas bien non plus, au fond.
Avant, il paraît qu’elle travaillait dans une teinturerie, toujours au noir évidemment, car le permis de séjour (ça c’est sûr) elle ne l’a jamais eu. Et donc pas de papiers, pas de nom, et pas même une ville d’origine certaine. Elle disait venir de Nankin mais qu’en sait-on, elle était peut-être d’un village perdu ou carrément de Taiwan, va savoir.
Elle se faisait appeler Lia, parce que son nom était trop difficile à prononcer pour les italiens. Et elle disait avoir 20 ans ce qui est d’ailleurs probable, moi je l’ai vue plusieurs fois quand j’emmenais Eugenio à l’école, elle avait vraiment l’air d’une fillette. Petite mais pas laide, au contraire, bien proportionnée, avec une petite tête ronde et lisse comme celle d’une poupée. Et toujours coiffée de deux tresses serrées et fines, elle semblait avoir tout juste quitté le collège.
On voyait bien que l’enfant l’adorait, même si au début (on me l’a dit) tout n’a pas été rose : quand il l’a trouvée dans sa maison, du jour au lendemain, il a fait un massacre, il a même cassé ses lunettes, en les jetant par terre. Et il semble que la chinoise lui ait bel et bien flanqué une paire de gifles, c’est du moins ce que soutenaient l’enfant et sa grand-mère, qui le croyait toujours et qui, de toutes façons, était déjà sur le point d’intervenir. Et puis, après quelques jours, comme par miracle, les choses ont commencé à s’aplanir : un soir la mère est rentrée à la maison et, au lieu de l’habituel champ de bataille, elles les a trouvés tous les deux par terre en train de dessiner bien gentiment.
Eugenio, qui avait un peu plus de cinq ans, était en train de finir de colorier un tigre gigantesque, entièrement rayé de rose et de jaune, sur un morceau de carton d’un mètre de long. Et Lia, avec un feutre, remplissait d’idéogrammes le ciel violet clair. C’est, paraît-il, un très beau dessin, d’autant que l’enfant (quand il veut) sait vraiment y faire avec les couleurs.
Et c’était celui qu’il avait réussi le mieux, de sorte que ses parents le lui laissèrent accrocher au-dessus du lit, en dépit de sa taille. Et lui, du reste, n’aurait jamais accepté de se séparer du dessin. Car c’était maintenant son symbole : selon l’horoscope chinois, il était né dans l’année du tigre.
Et cette histoire de l’enfant tigre a continué un bon bout de temps : il s’amusait à rugir à travers la maison, il tendait des pièges, il avait même commencé à manger sa viande sans trop faire d’histoires.
La grand-mère n’arrivait pas à digérer l’affaire de l’horoscope, chinois ou pas, parce que ça la dérangeait qu’un petit garçon de cinq ans se remplisse la tête de bêtises, vu qu’à cet âge-là ils confondent déjà suffisamment la réalité et l’imaginaire, sans qu’il soit besoin d’y rajouter superstitions, magie, et autres idées loufoques.
Mais cela convenait aux parents, vu qu’après tout, Eugenio s’était sensiblement calmé.
Le matin il jouait dans la maison, tout gentil, et l’après-midi il allait se promener avec Lia. Le hic au fond, avec du recul, c’est justement cela : où l’entraînait-elle, la chinoise, quand ils disparaissaient pendant des heures et qu’ils rentraient à la nuit tombée, tout juste à temps pour préparer le dîner.
Quelles personnes lui faisait-elle rencontrer, que fabriquait-elle avec celles-ci, et pourquoi le garçon semblait-il si content de ces promenades, alors qu’avant, pour le tirer hors de la maison, il fallait promettre monts et merveilles ?
Selon moi, il voyait certainement d’autres enfants. Tu sais comment ils font les chinois, ils en cachent par dizaines dans les sous-sol, pour fabriquer des chaussures et des sacs à main, en toute illégalité évidemment, je ne dis pas qu’il les mettent au turbin par méchanceté, mais à l’école, s’ils sont clandestins, ils ne peuvent pas y aller, et alors autant qu’il donnent un coup de main à leur famille, sans trop se faire voir au dehors.
C’est tout à fait logique, si tu y réfléchis bien. L’idée du groupe d’enfants, c’est moi qui l’ai eue, mais elle expliquerait beaucoup de choses. Et alors, pendant qu’Eugenio jouait avec les petits chinois, Lia vaquait à ses affaires. Dieu seul sait de quoi il s’agissait : pas forcément des histoires louches de contrebande ou de drogue, comme le pense maintenant la grand-mère de l’enfant. Peut-être rencontrait-elle son fiancé, ou faisait-elle un brin de conversation avec sa famille (en supposant qu’il s’agissait vraiment d’oncles et de cousins) ou bien avait-elle un autre travail, pour gagner plus rapidement l’argent dont elle avait besoin.
Ce qui est certain, de toutes façons, c’est qu’il s’agissait d’un secret. Et cela, Eugenio l’avait très bien compris. Pas une seule fois, au cours de ces six mois, il n’a laissé échapper un mot de trop, aucune allusion, pas un geste qui puisse trahir sa Lia.
A la maison on ne lui posait pas beaucoup de questions, car ils voyaient bien que répondre le mettait de mauvaise humeur. Et puis, franchement, ils étaient à mille lieues de suspecter quelque chose de mal. Si on l’interrogeait (en passant)1 sur le dessin animé qu’il disait avoir vu au cinéma, dans l’après-midi, Eugenio débitait habituellement un flot d’intrigues et de personnages sans queue ni tête, ce qui (pour les parents) prouvait seulement sa volonté d’étonner à tout prix. Et puis, de fait, l’enfant était serein, on voyait qu’il allait bien, et il n’y avait donc pas de motif d’inquiétude. Au contraire, ils étaient bien contents d’avoir enfin trouvé la bonne nounou.
C’est incroyable, non ? Parfois, c’est quand tout semble aller bien que pointe doucement le désordre.
Et pour ces deux malheureux le coup a été encore plus dur, car ils avaient enfin retrouvé une certaine harmonie, du moins en apparence : lui, qui depuis deux ans fréquentait une autre femme, avait décidé de couper les ponts ainsi son épouse pouvait un peu souffler, même si à l’entendre elle ne faisait plus grand cas de leur mariage, et qu’ils restaient ensemble seulement pour l’enfant.
Bref, ils s’étaient rapprochés, et ils avaient même décidé d’aller passer quelques jours à Londres. C’est d’ailleurs ce qui a déclenché tout le désastre.
Tu vois ces voyages qu’on réserve de chez soi avec l’ordinateur, avion, hôtel, et même le restaurant, à un prix cassé, pas de vol régulier ni de suite à quatre étoiles, bien sûr, mais s’il se forme un groupe suffisant ils donnent leur accord et c’est parti ?
Et bien, ces deux-là, ils avaient pourtant de quoi se payer des vacances décentes, mais lui s’était mis dans la tête de faire comme ça, car il s’amusait à surfer entre les offres, un clic par ici, un clic par là, genre chasse au trésor, persuadé, avec son flair, de suivre la piste de la bonne affaire.
Et à la fin, d’une certaine façon, il l’avait trouvée, puisqu’il avait déniché un séjour incroyable, dans le genre six cent mille tout compris. Enfin, ils partent tranquilles et contents, rassurés quant à l’enfant, qui les salue à peine, occupé qu’il est à réviser avec Lia tout son répertoire de grimaces et de grognements. Ciao ciao, et ils s’envolent.
Tout va pour le mieux : à Londres il fait même beau, ils appellent à la maison matin et soir, pas de problème.
Le troisième jour, le coup de massue.
En rentrant à l’hôtel ils trouvent un message : il y a eu des embrouilles avec les réservations, tout un micmac, en fait il faut qu’ils partent tout de suite, sinon ils finissent sur une liste d’attente de plusieurs kilomètres, avec le risque de passer toute la journée du lendemain à l’aéroport.
Consultation rapide et plaintes d’usage, ils ferment leurs valises et partent. Morale de l’histoire, ils arrivent à la maison en pleine nuit.
A peine descendus du taxi ils s’aperçoivent qu’il y a quelque chose d’étrange. Les lumières du salon, comme celles de leur chambre, sont allumées.
Déjà dans l’escalier ils entendent la musique et le tapage. Ils ouvrent grand la porte et voient, dans un nuage de fumée, un tas de chinois, hommes et femmes, tous à moitié saouls, qui vautré par terre, qui débraillé les pieds sur le divan.
Ils restent bouche bée, tandis que Lia bondit pour éteindre la chaîne hi-fi. Tout d’un coup, silence. Durant un instant, personne ne dit rien, ni la jeune fille, ni eux, ni la compagnie des invités. Puis la mère se précipite dans la chambre d’Eugenio et le serre très fort dans ses bras, quand ç’aurait été bien mieux de le laisser dormir et c’est tout, peut-être qu’il ne se serait rendu compte de rien. Une fois la surprise passée, le père, lui, commence à hurler. Tu dois y mettre le sentiment d’être envahi, le sentiment de la confiance trahie, y mettre aussi le stress du voyage, et puis l’attitude de ces gens qui le regardent avec des visages si inexpressifs qu’on ne peut déterminer s’ils sont idiots, ivres, ou d’une insolence sans borne.
Le fait est qu’il explose de colère, il en saisit un par le col et le remet sur ses pieds. L’autre, alors, se retourne avec fureur, comme s’il venait de se réveiller subitement, il lui donne un coup sur le bras, ils sont sur le point d’en venir vraiment aux mains lorsque deux compères lui sautent dessus et le retiennent ; là, ils crient tous, mais surtout le maître de maison qui leur hurle de virer leurs fesses vite fait ou il appelle la police.
Il commence à en pousser une paire vers la sortie (la porte est restée ouverte), deux jeunes filles à moitié nues s’éclipsent hors de la chambre à coucher, les autres saisissent l’allusion et abandonnent la place en toute hâte, ramassant au vol leurs affaires, alors que le père de famille ne semble pas se calmer, et s’emporte même de plus en plus, il est désormais en proie au démon, il braille des mots encore jamais entendus dans sa bouche.
Entre temps, Eugenio est apparu au seuil du salon avec sa mère, et il regarde avec des yeux exorbités cet homme enragé.
Lia, qu’il traite de salope et pire encore, finit, elle-aussi, dans la tornade de cette fureur funeste. Elle, ne répond rien, mais Eugenio, à ce moment-là, s’élance contre son père.
Il le roue de coups de poing et de coups de pied, comme s’il était lui aussi en proie à une crise, une de celles qui lui venaient dans son jeune âge, quand il écumait et qu’on devait lui donner des cachets. La mère tente de les séparer, l’enfant tombe par terre, tandis que le père hurle qu’il est temps d’en finir, c’en est assez de ces hordes de sauvages qui s’infiltrent partout dès qu’on leur laisse une ouverture, hors de ma maison et de ma famille, il faut faire place nette.
Couché par terre, Eugenio agrippe son pantalon et lui mord la jambe. Ils me l’ont transformé en bête lui aussi, dit le père. Il se précipite dans la chambre de l’enfant, arrache le tigre du mur, il le déchire rageusement en morceaux, comme s’il était en train de le dévorer, il jette par terre les lambeaux colorés et les éparpille à travers la pièce à coups de pied.
Eugenio se débat, sa mère essaie de le maintenir immobile : coudes, claques et crachats partout.
Entre temps les chinois se sont évaporés. Lia, elle aussi, s’est dissoute dans le néant, sans un mot. Tu imagines un peu la nuit, dans cette maison. Eugenio calmé à coups de gouttes, les parents avec les yeux exorbités jusqu’au matin.
Le jour suivant débarque une parfaite inconnue qui affirme être la cousine de Lia. Elle prend ses affaires, retire la paye, que les deux autres lui mettent en main, pour clore le chapitre une bonne fois pour toutes et ne plus y penser.
Ils se préparent à ramasser les morceaux et à reprendre une vie normale, s’accordant un délai raisonnable pour digérer ce sabbat nocturne.
Ils ne s’aperçoivent pas qu’Eugenio a quelque chose d’étrange. Ou plutôt, ils s’aperçoivent qu’au début il ne parle pas, mais ils pensent qu’au fond c’est une réaction au choc presque forcée.
Mais les heures passent, et l’enfant reste muet. Une journée entière. Deux. Le troisième jour, à l’aube, il le trouve en train de grommeler tout seul dans le salon. Ils le secouent, haussent le ton, et à la fin il se met à parler. Mais on dirait des sons dépourvus de sens. Ils insistent. Eugenio continue à répondre avec ces cris étranges. Ils essaient par tous les moyens de lui faire cesser ce jeu, ils s’efforcent de le faire raisonner, ils le cajolent, ils crient et une gifle part aussi.
Rien. Il continue comme ça. Toute la journée, celle du lendemain, et la suivante. Il n’arrête même pas à l’école, avec ses camarades, la maîtresse, et les concierges. Même avec le directeur, qui décide de le faire voir par le psychologue. Inutile, évidemment.
Car, tu l’auras compris, Eugenio désormais s’exprime seulement en chinois.
Du vrai chinois, hein, il ne fait pas semblant. Il doit l’avoir appris au cours de ses après-midi mystérieux, lorsqu’il disparaissait avec Lia jusqu’au soir. Ils absorbent, les enfants, comme des éponges. Il leur en faut peu pour avaler le monde, quand il nous faudrait à nous plus de dix ans. Et ils n’ont pitié de personne, sûrement pas de leurs parents.
Car ces deux malheureux ne savent plus quoi faire maintenant, ils l’ont supplié à genoux d’arrêter ça. Ils le couvrent de cadeaux, le trimballent, dépensent une fortune pour le neurologue qui tente de le soigner. Sous l’effet du désespoir, ils se sont même mis à donner la chasse à Lia, espérant la faire revenir ou au moins la convaincre de rencontrer l’enfant.
Mais c’est comme un trou noir. Pouf : disparue ! D’elle, il n’y a plus trace, on ne connaît pas son vrai nom, ni son adresse, ni une bribe d’histoire certaine.
Le gardien, qui se sent en faute, ne sait plus où se mettre : la femme qui la lui avait présentée est partie et Lia est donc peut-être partie aussi.
Imagine un peu la malédiction pour les parents : ils font le tour des restaurants chinois et des commerces du quartier, à la recherche d’un indice. Mais ce sont des gens difficiles, qui se méfient : ils se sont refermés aussitôt autour de la jeune fille, effaçant toutes les pistes, car d’après moi ils savent très bien ce qu’est devenue Lia, mais ils ne le diront jamais à ces deux-là, plus ils insistent et pire c’est. Comme chercher une bague dans la mer. Plus on brasse l’eau, et plus elle coule.
De temps à autre, tout au moins, ils rencontrent une personne disposée à parler avec l’enfant.
Pourvu qu’elle aille vers lui, car d’habitude Eugenio reste sur sa réserve. L’autre jour, pourtant, dans une espèce de supermarché oriental, ils ont trouvé un type avec lequel il s’est entendu. Un jeune homme grassouillet qui souriait beaucoup mais qui (d’après les parents) n’a pas traduit tout ce que l’enfant racontait. Mais il a dit quelque chose. Eugenio, paraît-il, lui a raconté son histoire. Et écoute un peu ce qu’il en est ressorti. Il prétend qu’il ne parle pas l’italien parce qu’il a été adopté. Qu’il a cent frères et quarante sœurs, mais qu’on ne le laisse pas les voir. Il craint qu’ils ne soient morts. Il dit que sa vraie mère n’avait pas assez d’argent pour le garder, et qu’elle est partie travailler au loin. Mais qu’elle ne l’a pas oublié et qu’elle reviendra bientôt, pour le racheter et le ramener à la maison.
(1) En français dans le texte.