Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
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© Passant n°50 [octobre 2004 - décembre 2004]
© Passant n°50 [octobre 2004 - décembre 2004]
par Philippe Rouy
Imprimer l'articleA Couple of Days
Gerry, un film de Gus Van SantGerry,
De nous, un jour ils reparleront. De nous et de ces déserts que nous avons traversés.
Accablés par notre destinée, ils s’interrogeront. Comment avons-nous pu si loin dériver ? D’un simple chemin de randonnée faire une telle immensité ?
Eux-mêmes écrasés par ces paysages hostiles, ils s’indigneront de notre peu de sens
du tragique. Aurions-nous véritablement pris ce désert mortifère pour un jeu d’arcade grandeur nature, à la conquête d’un royaume de Thèbes virtuel ?
Cette prime indolence leur sera insupportable.
Pour se rassurer alors, ils ramèneront cette traversée à un suicide – quelques jours d’une agonie volontaire et concertée. Et comme preuve de ce qu’ils avancent, ils brandiront notre mutisme prémonitoire lorsque nous étions encore dans la voiture.
En route vers la Vallée de la Mort…
Mais ils se heurteront encore à notre désinvolture – et à un petit tas de sable dérisoire, patiemment érigé pour amortir une chute de plusieurs mètres. Puis finalement ils en souriront. Comme nous.
Ils en souriront, parce qu’ils savent qu’à ce dérisoire-là ils doivent leur survie.
Sur la nature de notre relation, ils viendront également buter. Frères, amis, amants ?
Ils douteront de notre homonymie et nous imagineront comme le mirage de l’autre. Accrochés qu’ils sont à ce lieu commun littéraire : le désert est une expérience
métaphysique propice à l’autoconfrontation.
Sans indice probant, ils s’en tiendront alors au couple, au duo, et nous donneront des rôles respectifs – une typologie indispensable à la bonne marche du monde : un meneur et un mené, un pragmatique et un rêveur. Et rapidement ils s’apercevront de la réversibilité de leur schématisme.
Ils nous inventeront peut-être une sexualité masquée. Ils verront dans notre passage
par une zone d’accouplement animal une métaphore explicite et trouveront dans notre ultime et seule étreinte la confirmation probable de leur fragile hypothèse.
Mais de notre fin non plus ils ne pourront se satisfaire – de cette étreinte létale aux
contours flous : Gerry par Gerry aimé, Gerry par Gerry abandonné, Gerry par Gerry tué, Gerry par Gerry délivré…
Sans fin ils chercheront dans notre voyage un but caché, une signification secrète
qu’ils n’auraient pas su voir. À toutes leurs interrogations nous resterons silencieux.
Et comme nous, ils continueront à marcher sur des étendues de sel...
De la poussière, de la rocaille, de la lumière et des nuages, nous n’attendions rien.
Du chemin parcouru non plus. Nous savions seulement qu’il nous fallait marcher, gravir, s’arrêter, descendre, et marcher à nouveau.
Mais nous étions deux pour le faire.
Nous étions deux, voilà tout.
Nous étions deux.
Et l’un de nous est mort ce matin.
Mais lequel ?
Gerry
De nous, un jour ils reparleront. De nous et de ces déserts que nous avons traversés.
Accablés par notre destinée, ils s’interrogeront. Comment avons-nous pu si loin dériver ? D’un simple chemin de randonnée faire une telle immensité ?
Eux-mêmes écrasés par ces paysages hostiles, ils s’indigneront de notre peu de sens
du tragique. Aurions-nous véritablement pris ce désert mortifère pour un jeu d’arcade grandeur nature, à la conquête d’un royaume de Thèbes virtuel ?
Cette prime indolence leur sera insupportable.
Pour se rassurer alors, ils ramèneront cette traversée à un suicide – quelques jours d’une agonie volontaire et concertée. Et comme preuve de ce qu’ils avancent, ils brandiront notre mutisme prémonitoire lorsque nous étions encore dans la voiture.
En route vers la Vallée de la Mort…
Mais ils se heurteront encore à notre désinvolture – et à un petit tas de sable dérisoire, patiemment érigé pour amortir une chute de plusieurs mètres. Puis finalement ils en souriront. Comme nous.
Ils en souriront, parce qu’ils savent qu’à ce dérisoire-là ils doivent leur survie.
Sur la nature de notre relation, ils viendront également buter. Frères, amis, amants ?
Ils douteront de notre homonymie et nous imagineront comme le mirage de l’autre. Accrochés qu’ils sont à ce lieu commun littéraire : le désert est une expérience
métaphysique propice à l’autoconfrontation.
Sans indice probant, ils s’en tiendront alors au couple, au duo, et nous donneront des rôles respectifs – une typologie indispensable à la bonne marche du monde : un meneur et un mené, un pragmatique et un rêveur. Et rapidement ils s’apercevront de la réversibilité de leur schématisme.
Ils nous inventeront peut-être une sexualité masquée. Ils verront dans notre passage
par une zone d’accouplement animal une métaphore explicite et trouveront dans notre ultime et seule étreinte la confirmation probable de leur fragile hypothèse.
Mais de notre fin non plus ils ne pourront se satisfaire – de cette étreinte létale aux
contours flous : Gerry par Gerry aimé, Gerry par Gerry abandonné, Gerry par Gerry tué, Gerry par Gerry délivré…
Sans fin ils chercheront dans notre voyage un but caché, une signification secrète
qu’ils n’auraient pas su voir. À toutes leurs interrogations nous resterons silencieux.
Et comme nous, ils continueront à marcher sur des étendues de sel...
De la poussière, de la rocaille, de la lumière et des nuages, nous n’attendions rien.
Du chemin parcouru non plus. Nous savions seulement qu’il nous fallait marcher, gravir, s’arrêter, descendre, et marcher à nouveau.
Mais nous étions deux pour le faire.
Nous étions deux, voilà tout.
Nous étions deux.
Et l’un de nous est mort ce matin.
Mais lequel ?
Gerry