Sortie du DVD de Notre Monde
Notre Monde Notre Monde (2013, 119') un film de Thomas LacosteRassemblant plus de 35 intervenants, philosophes, sociologues, économistes, magistrats, médecins, universitaires et écrivains, Notre Monde propose un espace d’expression pour travailler, comme nous y enjoint Jean–Luc Nancy à « une pensée commune ». Plus encore qu’un libre espace de parole, Notre Monde s’appuie sur un ensemble foisonnant de propositions concrètes pour agir comme un rappel essentiel, individuel et collectif : « faites de la politique » et de préférence autrement.
Retour
© Passant n°50 [octobre 2004 - décembre 2004]
Imprimer l'article© Passant n°50 [octobre 2004 - décembre 2004]
Tu le désires
Je me dis oui tu le désires. J’entre dans sa bouche. J’applique ma langue contre
la sienne, je m’applique, oui, je me dis, c’est bien, serre-le très fort, montre-lui que oui,
tu veux. Frotte ton corps contre le sien, avec ta jambe, caresse sa jambe.
Les fleurs dans le tableau sont trop bleues, d’un bleu qui noie tout, l’arbre, l’oiseau
sur l’arbre et la petite maison en pierre. Le tableau est accroché sur le grand mur,
en face du lit.
Il se dit je la désire trop, j’aimerais tant la désirer mieux, il se dit, elle m’embrasse
trop fort, comment peut-elle oser entrer si profondément dans ma bouche, il se dit
elle ne me laisse plus le choix, je dois la prendre.
Le lustre pend comme un vieux débris qu’on n’éclaire jamais. Ici, on n’allume pas.
Je me dis tant pis, cette fois tant pis, on ira jusqu’au bout. Je me dis oui, son sexe entrera dans le mien. Je me souviens. Il avait avoué qu’il aimait que la femme soit sur
lui, je me souviens, nous l’avions forcé à le dire, un soir de beuverie. Il l’avait dit en riant et en me regardant. Alors, je vais sur lui.
Sur le papier peint, les biches ne sont pas effrayées. Aucune d’elles ne tourne la tête vers le buisson où se trouvent deux chasseurs qui les guettent. L’oiseau qui déploie ses ailes ne les alerte pas.
Il se dit elle fait tout avec sa tête, je n’ai plus de place, elle m’étouffe, il se dit, je vais
la pousser sur le côté, je vais essayer autrement. Mais autrement, ça ne marche pas non plus. Elle prend mon sexe avec sa main, il se dit non, elle a tout guidé, mais pas ça, pas mon sexe.
Il y a des biches partout, et des chasseurs, et un oiseau, les mêmes biches, les mêmes
chasseurs, le même oiseau.
Je me dis, il retire sa main, il ne veut pas que je l’aide. Il veut que son sexe entre
naturellement dans le mien, sans que je le tienne. Je me dis aide-le autrement, soupire. Mais pas trop, ne l’effraie pas. Attends, non, il se retourne, il n’en peut plus de ne pas
pouvoir. Ne l’abandonne pas.
Il se dit je ne pourrai pas. Son odeur me fait peur, sa bouche me fait peur, son sexe
me fait peur. Je ne peux pas.
Les rideaux sont lourds. Ici, les rideaux restent tirés, pour ne pas déranger la poussière.
Je me dis je vais le sucer. J’ai envie de pleurer parce que, plus qu’un désir, c’est une idée. Je me dis, je vais l’embrasser, et puis embrasser son cou, et puis sa poitrine, et puis son ventre. Je vais descendre, et je vais prendre son sexe dans ma bouche.
Une goutte d’eau, à intervalles longs, mais réguliers, frappe le métal du lave-mains.
Il se dit elle est en train de me sucer. Oui, c’est bon, se dit-il. Pourtant, mon sexe ne veut pas, mon sexe est mou. La bonne volonté qu’elle met pour le faire durcir l’écœure
un peu. Une curieuse impression qu’elle le tète. Il se dit, ce doit être la première fois qu’elle suce un sexe aussi désespérant, qu’elle prend à pleine bouche l’impuissance
d’un homme. Cet homme, c’est moi, se dit-il, et il se met à la haïr. Quand elle se retire,
il lui demande pourtant de continuer à sucer. Il se dit, mon sexe est une langue, un peu plus grosse, un peu plus tendre, un peu plus docile.
Les biches ne fuient pas, les chasseurs ne tirent pas, l’oiseau ne s’envole pas. Tous figés, ils attendent, répartis à l’infini sur les murs de la chambre.
Je me dis son sexe ne durcira pas. Un instant, je lui sais gré de ne pas durcir. Je l’aime ainsi. Je pourrai m’endormir. Mais non, je me dis, pas cette fois, ne lâche pas… ou bien tu perds tout.
la sienne, je m’applique, oui, je me dis, c’est bien, serre-le très fort, montre-lui que oui,
tu veux. Frotte ton corps contre le sien, avec ta jambe, caresse sa jambe.
Les fleurs dans le tableau sont trop bleues, d’un bleu qui noie tout, l’arbre, l’oiseau
sur l’arbre et la petite maison en pierre. Le tableau est accroché sur le grand mur,
en face du lit.
Il se dit je la désire trop, j’aimerais tant la désirer mieux, il se dit, elle m’embrasse
trop fort, comment peut-elle oser entrer si profondément dans ma bouche, il se dit
elle ne me laisse plus le choix, je dois la prendre.
Le lustre pend comme un vieux débris qu’on n’éclaire jamais. Ici, on n’allume pas.
Je me dis tant pis, cette fois tant pis, on ira jusqu’au bout. Je me dis oui, son sexe entrera dans le mien. Je me souviens. Il avait avoué qu’il aimait que la femme soit sur
lui, je me souviens, nous l’avions forcé à le dire, un soir de beuverie. Il l’avait dit en riant et en me regardant. Alors, je vais sur lui.
Sur le papier peint, les biches ne sont pas effrayées. Aucune d’elles ne tourne la tête vers le buisson où se trouvent deux chasseurs qui les guettent. L’oiseau qui déploie ses ailes ne les alerte pas.
Il se dit elle fait tout avec sa tête, je n’ai plus de place, elle m’étouffe, il se dit, je vais
la pousser sur le côté, je vais essayer autrement. Mais autrement, ça ne marche pas non plus. Elle prend mon sexe avec sa main, il se dit non, elle a tout guidé, mais pas ça, pas mon sexe.
Il y a des biches partout, et des chasseurs, et un oiseau, les mêmes biches, les mêmes
chasseurs, le même oiseau.
Je me dis, il retire sa main, il ne veut pas que je l’aide. Il veut que son sexe entre
naturellement dans le mien, sans que je le tienne. Je me dis aide-le autrement, soupire. Mais pas trop, ne l’effraie pas. Attends, non, il se retourne, il n’en peut plus de ne pas
pouvoir. Ne l’abandonne pas.
Il se dit je ne pourrai pas. Son odeur me fait peur, sa bouche me fait peur, son sexe
me fait peur. Je ne peux pas.
Les rideaux sont lourds. Ici, les rideaux restent tirés, pour ne pas déranger la poussière.
Je me dis je vais le sucer. J’ai envie de pleurer parce que, plus qu’un désir, c’est une idée. Je me dis, je vais l’embrasser, et puis embrasser son cou, et puis sa poitrine, et puis son ventre. Je vais descendre, et je vais prendre son sexe dans ma bouche.
Une goutte d’eau, à intervalles longs, mais réguliers, frappe le métal du lave-mains.
Il se dit elle est en train de me sucer. Oui, c’est bon, se dit-il. Pourtant, mon sexe ne veut pas, mon sexe est mou. La bonne volonté qu’elle met pour le faire durcir l’écœure
un peu. Une curieuse impression qu’elle le tète. Il se dit, ce doit être la première fois qu’elle suce un sexe aussi désespérant, qu’elle prend à pleine bouche l’impuissance
d’un homme. Cet homme, c’est moi, se dit-il, et il se met à la haïr. Quand elle se retire,
il lui demande pourtant de continuer à sucer. Il se dit, mon sexe est une langue, un peu plus grosse, un peu plus tendre, un peu plus docile.
Les biches ne fuient pas, les chasseurs ne tirent pas, l’oiseau ne s’envole pas. Tous figés, ils attendent, répartis à l’infini sur les murs de la chambre.
Je me dis son sexe ne durcira pas. Un instant, je lui sais gré de ne pas durcir. Je l’aime ainsi. Je pourrai m’endormir. Mais non, je me dis, pas cette fois, ne lâche pas… ou bien tu perds tout.
Ce texte a déjà fait l’objet d’une publication dans Le Passant Ordinaire (L'amour, n° 30, août 2000). Il est republié ici à l’occasion du dixième anniversaire de la revue. N.D.L.R.